“Concevoir un single comme un Cheval de Troie” : rencontre facétieuse avec David Numwami
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Auteur·ice : Victor Houillon
15/12/2020

“Concevoir un single comme un Cheval de Troie” : rencontre facétieuse avec David Numwami

David Numwami est comme tout le monde. Un personnage chaleureux, rêveur, qui se lance dans la vie active. A ceci près que lorsque certains enchaînent des stages à Uccle (team Belge) ou des CDD à Montrouge (team ★★), son apprentissage se déroule à Coachella avec Charlotte Gainsbourg ou à la Gaité Lyrique aux côtés de Sébastien Tellier. Non content de tourner avec les références de la French Touch, l’artiste belge dévoile peu à peu son projet perso avec déjà deux singles forts, ou plutôt deux “chevaux de Troie” pour nous attirer dans son monde. Conversation avec un mec à mi-chemin entre de la “musique de papa” et un “truc un peu sucré, rose“.  

Un mec plus timide que ce qu’il essaye de faire croire.

La Vague Parallèle : Bonjour David ! On te retrouve après le festival Qui Va Piano Va Sano, où tu dévoilais tes morceaux seul au piano à l’église de St Merry. Tu en gardes quel souvenir ?

David Numwami : Honnêtement, c’était stressant pour plein de raisons. Déjà, jouer devant des gens, je trouve ça stressant. Mais il y avait ce truc où on enchainait tous sur le même piano plutôt que chacun n’arrive avec ses instruments pour t’emmener dans son monde. J’ai vécu ça comme une audition quand tu grandis. Tu vois, ce moment où tu vois très bien qui s’en sort mieux qu’un autre ? La comparaison est dure à vivre. C’est une super idée mais très difficile à réaliser. Je pense être quelqu’un d’assez détendu de manière générale, mais là je ne me reconnaissais pas trop, j’avais la voix qui tremblotait (rires). Peut-être que c’est ça, mon vrai visage : un mec plus timide que ce qu’il essaye de faire croire. Dans ma musique, j’utilise plein d’artifices qui sont hyper sincères mais qui me permettent de me cacher un peu derrière. Là, c’était juste toi, sans masque, dans une église, avec Dieu derrière toi.

LVP : C’est vrai que ça change drastiquement de tes prods, très douces, avec beaucoup de texture…

DN : Et 300 pistes par chanson !

LVP : Tu fais référence à ta musique comme de la “musique de papa“. Qu’entends-tu exactement par là ?

DN : Ah oui, c’est vrai (rires). Quand je parle de “musique de papa“, je ne parlais pas forcément des deux morceaux que j’ai sortis, qui sont un peu plus pop. Pour moi, c’est de la musique comme Frank Zappa, Weather Report, Jaco Pastorius et tous ces groupes de jazz fusion. De la musique qui s’est arrêtée après les années 80, assez calme, assez intellectuelle au sens où musicalement il se passe des trucs tout le temps. Si tu écoutes Steely Dan, tu dois t’imaginer être un papa. Ça parle à qui à part à un mec qui a eu trois enfants (rires) ? Pink Floyd, aussi !

LVP : Oui, tous les papas du monde ont sorti un vinyle de Pink Floyd à leurs enfants en disant “ça , c’était de la vraie musique“.

DN : C’est ça (rires) ! Quand j’étais ado, j’étais hyper fan de ce rock progressif, Genesis, Pink Floyd entre autres. J’avais un groupe à l’adolescence, où ce n’était que du rock progressif avec des solos de 10 minutes et tout. Je pense personnellement que c’était assez mauvais, on n’avait pas le niveau. Mais quelque chose est resté. Quand j’écoute Beats!, je me rends compte que je n’ai pas pu m’empêcher de mettre un solo de guitare et une petite modulation. Je ne sais pas d’où ça vient, peut-être que j’essaye de faire le malin.

 

LVP : On a tout de même l’impression que ce projet à venir est plus pop que Le Colisée…

DN : Oh tes chaussettes ! Une bleue, une rouge, j’avais pareil hier ! Pardon, je m’égare. Oui, c’est vrai que ces deux morceaux sont un peu plus pop. Mais j’avoue que ce qui viendra ensuite le sera moins. Pour moi, un single doit être un piège. Une façon de faire croire que tu fais de la pop pour que la personne achète ton disque dans les rayons et se dise “c’est quoi ce bordel ?“.

LVP : C’était notamment le cas des groupes de hard rock des 80s ou 90s qui sortaient une ballade par album.

DN : A fond, Scorpion et compagnie (rires) !

J’aime concevoir un single comme un Cheval de Troie.

LVP : Du coup, Le Fisc de l’Amour, c’est ta ballade ?

DN : Au final, il y aura quand même beaucoup de ballades dans le disque, c’est un truc que j’adore. D’ailleurs, dans le Colisée, il y avait toujours une base pop. Pour l’instant, sur les 16 morceaux que j’ai, je dirais qu’il y en a 7 qui sont assez pop. J’aime concevoir un single comme un Cheval de Troie. Venez dans mon monde, c’est chouette, on s’amuse bien ! Et ensuite, tu mets le disque et c’est super triste. Je ne pense pas que l’album sera particulièrement bizarre, mais il sera très triste.

LVP : Ça veut dire que dès la genèse de Beats!, tu le vois direct comme ce Cheval de Troie ?

DN : Oui ! Je ne commence à enregistrer que quand j’entends le morceau. Souvent, je vais prendre un mois juste à l’imaginer. Les pistes, la façon dont je vais mixer le truc, où intervient telle partie, etc., je note tout ça. Je ne commence à enregistrer que plus tard. Sur Beats!, je me suis direct dit qu’il allait être cool à sortir. D’ailleurs, Beats! a une drôle d’histoire. Avec Joseph, mon manager avec qui je bosse depuis huit ans et avec qui je fonctionne quasiment comme si on formait un groupe, on avait sorti Le Fisc de l’Amour sans forcément penser qu’il allait se passer grand-chose. En vrai, on l’avait déjà sorti il y a deux ans, mais sans clip (rires). C’était vraiment le même morceau, j’ai juste remonté un peu la basse dans le mix. Bref, on se disait que si on faisait 200 vues, c’était cool. Et les retours ont été hyper étonnants. On s’est dit “merde, il faut avancer sur un autre morceau” (rires). A ce moment-là, j’étais en train de réfléchir depuis une semaine à ce morceau Beats!, dont j’ai parlé à Joseph. Sauf que je ne pouvais pas le lui faire écouter parce que je ne l’avais pas encore enregistré. Je savais tout de même dès le début qu’il allait être un single. Et là, sur les 16 morceaux dont je te parle, seuls 5 sont finis, le reste est dans ma tête. J’essaye vraiment de planifier tout ça comme on écrirait sur un tableau au bureau. Ça vient aussi du fait que Le Fisc de l’Amour et certains autres morceaux à venir, ce sont des choses que j’ai enregistrées lorsque je tournais avec Charlotte Gainsbourg. C’est une tournée qui devait durer 15 dates, pour au final en faire une centaine. Partout dans le monde. Putain, c’était dingue. J’étais trop inexpérimenté pour me rendre compte à quel point c’était une chance.

 

LVP : Je suis curieux de savoir comment, en étant jeune, tu te retrouves à tourner avec de sacrées références comme Charlotte Gainsbourg, Nicolas Godin ou Sébastien Tellier.

DN : C’est vraiment grâce à François & the Atlas Mountains. On jouait avec Le Colisée sans forcément voir ça comme un projet ultra sérieux. On était à l’université de philo, entre potes. Et ce groupe nous a vus en concert et m’a proposé de les accompagner le temps d’une tournée. Et c’est vraiment cette tournée qui m’a fait rencontrer des gens. Je suis ensuite rentré chez moi, back to the galère, et on m’a proposé de tourner avec Charlotte parce que son DA m’avait vu jouer avec les François. A partir de là, tout a été plus simple, car c’est une scène serrée. Godin, Tellier, Gainsbourg, SebastiAn, tout le monde se connait.

LVP : Chapeau, tu as en quelque sorte hacké le game !

DN : Oui ! Je trouve ça trop bien. Une fois qu’ils ont trouvé quelqu’un, ils se disent qu’ils vont tout le temps faire appel à lui. Je suis souvent assez étonné qu’ils fassent appel à moi, car il y a beaucoup de bons musiciens, surtout à Paris (rires). J’ai par exemple beaucoup tourné avec le batteur Louis Delhorme qui a joué avec Charlotte, Tellier, Air, Philippe Katerine… Lui aussi est un sacré mercenaire, ou plutôt vieux de la vieille, à ce niveau-là.

LVP : Le fait de tourner avec ces gens-là t’a influencé par rapport à l’esthétique de ton projet ?

DN : Mmmh, c’était justement de ça dont je voulais te parler avant de me perdre. En tournant avec Charlotte, j’ai du apprendre à penser les chansons avant de les enregistrer parce que je n’avais pas tout le temps la possibilité d’être avec les instruments. Quand on laissait les instruments sur scène, ou quand on était dans le bus, je devais me résoudre à imaginer les pistes plutôt qu’à les enregistrer, et attendre les moments de pause pour enregistrer. D’ailleurs, je demandais si je pouvais emprunter le matos du live pour enregistrer rapidement dans ma chambre d’hôtel.

Hacker le game, voler le game aussi. C’est une carrière qui a quelque chose du hack.

LVP : Encore une fois, enregistrer sur de tels instruments, c’est hacker le game de manière fantastique !

DN : Ça, j’avoue (rires) ! Putain, surtout que personnellement, l’étendue de mon matos, c’est une guitare classique, une carte son et un ordi. C’est-à-dire vraiment rien. Et je me retrouve avec une méga Stratocaster, une basse, des Mellotrons, de super synthés… Je m’arrangeais avec l’orga du tour pour qu’ils stockent le matos dans ma chambre. C’était vraiment trop bien. Et aussi, non seulement les musiciens sont souvent les mêmes, mais aussi les ingénieurs. Julien Decarne, je le retrouve tout le temps ! Récemment, on avait du super matos pour le live de Tellier à l’Arte Festival. On s’est retrouvés avant les autres au studio pour enregistrer un truc pour moi entre café et croissants. Hacker le game, voler le game aussi (rires). Je ne sais pas à quoi ressemblera ma carrière si elle continue, mais c’est une carrière qui a quelque chose du hack. Je n’ai pas signé dans un label, je n’ai jamais signé de contrat de ma life, et pourtant j’ai joué à Coachella putain (rires).

 

LVP : J’ai l’impression que tu as plus ou moins prévu ton chemin en autodidacte et que tu essayes de t’y fier.

DN : J’essaye d’apprendre. Niveau esthétique, visuel, Instagram, les clips, je me laisse un peu plus freestyler. Ce que je ne me permets pas en musique car je suis assez calculateur, je me le permets dans les autres domaines. Je n’ai même pas spécialement le désir de contrôler cet aspect visuel. Les artworks sont faits par l’illustratrice Camille Potte. J’adore trop ce qu’elle fait, j’avais toujours prévu de faire appel à elle si je faisais un truc sérieux. Mais du coup, visuellement, j’apprends. Je m’amuse. J’ai réalisé le clip de Beats!, mais les prochains clips ne ressembleront pas à ça. Ce n’est pas mon domaine.

LVP : Pardon d’avance pour la question, mais les médias te comparent sans cesse à Laurent Voulzy, pour le coup assez éloigné des références dont tu parlais en début d’interview. À force, ça te saoule ?

DN : Ça ne me saoule pas du tout, parce que je respecte et j’adore ce qu’il fait. C’est juste que je ne l’écoute pas tant que ça. Déjà depuis Le Colisée, on m’en parlait. Je voyais qui c’était mais je n’avais jamais écouté. Je ne sais pas si je vois vraiment le lien entre lui et moi. Par contre, quand je l’ai écouté, ça a fait “woah, c’est trop bien !“. Je pense que l’association se situe dans la voix et les accords, ce truc un peu sucré, rose ou je ne sais pas quoi.

Je vois un double album. Sans rire. Je fais un peu les choses dans le désordre, je crois. En même temps, je fais juste de la musique. Je n’ai pas l’impression de faire une carrière.

LVP : Dernière question, que nous réserves-tu pour 2021 ?

DN : Pour être parfaitement honnête, je vois un double album. Sans rire. Mon manager est un peu moins convaincu, il trouve que ce serait se tirer une balle dans le pied au niveau de l’industrie musicale. Je fais un peu les choses dans le désordre, je crois. En même temps, je fais juste de la musique. C’est ce que je fais depuis que je suis gamin, je n’ai pas l’impression de faire une carrière. De temps en temps, je fais de la musique dans ma chambre, de temps en temps en accompagnant des amis dans un bar, sur une grande scène comme à Coachella ou avec Tellier… Dans ma tête, je fais juste de la musique. Il n’y a pas d’ordre. Je ne me suis pas levé un matin en me disant “OK, je vais faire une carrière. D’abord en faisant un télé-crochet, puis en signant chez un major…“. Il y a juste des notes qui sortent, et le contexte importe assez peu. Et si le double album c’est se tirer une balle dans le pied vis-à-vis de l’industrie musicale, tant pis. Franchement, les labels et autres gens de l’industrie musicale ont parfois juste l’air perdu depuis l’iPod (rires).