À l’occasion de la sortie de leur EP Backyard, à paraître chez Howlin’ Banana Records, on a pris le temps de parler un peu de ce nouveau projet avec les Cosmopaark. Les bordelais.es nous ont parlé de l’esthétique shoegaze, de la fois où ils ont fait la première partie de Ride et de la composition de leur nouvel EP.
LVP : Votre esthétique musicale fait écho aux années 90-2000, avec des références à Gus Van Sant. Est-ce que ces influences sont encore présentes dans Backyard ?
Wanda : L’idée, c’était de s’en séparer doucement. On a encore ce côté années 90 en nous, car on a beaucoup écouté cette musique. Mais on essaie d’apporter des productions plus modernes et de moins puiser dans les années 90. Cela dit, c’est un style qui reste actuel. Même s’il tire ses racines des années 90, il se décline de manière moderne à travers des sous-genres. Donc, on ne veut pas rester figés à faire de la musique des années 90 pour dire “C’était trop cool !“. Avec cet EP, on a évolué, et l’idée d’enregistrer ailleurs et de travailler avec d’autres producteur·rices était justement de sortir de ça.
LVP : Vous aviez une approche plus DIY dans vos précédents disques, non ?
Wanda : Oui, le premier EP était très DIY. Même l’album, s’il a été mixé correctement, restait DIY. Ce n’était pas une volonté de faire du lo-fi, c’était surtout une question d’économie de moyens. Quand tu es un jeune groupe et que tu n’as pas les moyens de payer des studios chers, tu fais avec ce que tu as. C’est un peu ce qui nous est arrivé : on a fait ça à la maison avec nos connaissances. Pour nous, le DIY était en partie un choix, mais surtout une nécessité.
LVP : Tout ça a été fait en DIY à la maison ?
Clément : Oui, c’est ce qui s’est passé, en fait. On a utilisé nos connaissances pour faire ça chez nous. Le DIY, c’est quelque chose que tu peux rechercher, mais pour Cosmopaark, il y avait aussi une question d’économie de moyens.
LVP : Comment s’est passée la rencontre avec Johannes Buff (producteur, entre autres, de Thurston Moore, Lysistrata) ?
Baptiste : On a eu un tremplin grâce à Milo de Fortune, une boîte de management à Paris créée par Amaury, qui joue dans François & The Atlas Mountains. Ils se connaissent bien avec Petit Fantôme (Pierre Loustaunau), qui travaille dans le même studio que Johannes. On a fait une résidence avec eux parce qu’ils travaillent aussi sur le live. Milo, qui nous manageait à l’époque, a beaucoup tourné avec d’autres artistes comme PARK, donc il avait pas mal d’expérience à partager sur la scène.
LVP : Pourquoi avoir choisi Pierre pour la production et Johannes pour l’enregistrement ?
Wanda : Pierre travaille avec Johannes dans leur studio Shorebreaker. Pierre s’occupait plus de la production, et Johannes de l’enregistrement, même s’il a aussi participé à la production. On voulait une touche un peu plus synthétique et pop pour cet EP, en s’éloignant des années 90.
LVP : Vous cherchez à aller vers un son plus pop, alors ?
Wanda : Pas forcément plus pop, mais plus moderne. Nos morceaux sont déjà pop dans la construction, avec des formats assez classiques (couplet-refrain). Mais c’est la production qui fait la différence maintenant : c’est plus clean et léché.
LVP : Vous pensez continuer avec eux pour vos prochains projets ?
Clément : Pourquoi pas ! Ça s’est très bien passé, donc on réfléchit à collaborer de nouveau avec eux pour l’album. Pierre et Johannes ont une sensibilité en production qui nous correspond bien, et ils apportent des choses très intéressantes. On a envie d’aller vers des productions plus léchées et surtout plus aventureuses que ce qu’on a pu faire auparavant. On a envie d’essayer de nouvelles choses, sans forcément aller vers quelque chose de pop, mais plutôt expérimenter.
LVP : Quand tu dis plus aventureux, tu parles de sons, de trucs un peu plus expérimentaux ? Comme vous avez pu faire dans certains titres comme Hole ?
Clément : Oui, tu as l’impression que ça bug avant le refrain. C’est un effet que j’avais déjà travaillé avant d’aller en studio. J’avais envie de pousser le côté digital un peu plus loin, en expérimentant avec des effets comme le beat reduction sur la guitare. C’était un peu dans l’idée d’expérimenter plus pour cet EP. On a été pris par le temps et on a dû réduire nos expérimentations, mais il y avait vraiment cette envie de puiser dans des styles qui ne sont pas forcément liés au shoegaze, pour créer des crossovers originaux.
LVP : Comment s’est passée la composition de Backyard ?
Baptiste: Le fait d’aller en studio avec des personnes très compétentes nous a permis de gagner beaucoup de temps. On a pu expérimenter, mais c’est vrai que Clément (qui compose) aime bien prendre son temps, et là, on a dû tout faire plus rapidement. En moins d’un an, les morceaux étaient écrits, pré-produits et enregistrés, ce qui ne nous était jamais arrivé avant. Cette rapidité nous a obligé à changer nos habitudes, mais c’était une bonne expérience. D’habitude, on les jouait, les modifiait, les laissait reposer, et même parfois on les testait sur scène. Là, on a dit : “Allez, c’est parti !” ce qui nous a fait prendre des décisions qu’on n’aurait pas forcément prises en temps normal. Finalement, ce ne sont pas des morceaux pensés pour le live, mais on est très contents du résultat.
LVP : Ce sont des morceaux qui sont donc plutôt pensés pour le studio ?
Baptiste : Oui, exactement. Ce sont des morceaux qu’on adore, on les trouve vraiment bons, et on ne s’est pas trop demandé si ça allait marcher en live. Peut-être qu’il y en a qui s’y prêteront, mais globalement, ils ont été pensés avec l’idée du studio en tête.
LVP : Comment vous faites pour appréhender un live quand vous avez conçu tout un EP en studio ?
Wanda : On bosse pas mal avec des samplers et d’autres équipements. On n’est pas un trio classique avec juste une batterie, une basse, une guitare et un chant. Par exemple, Baptiste utilise un sampler en live, et moi aussi à un moment donné. La question qu’on se pose, c’est comment on peut traduire tout ça en live tout en restant pertinent. Ce n’est pas juste de recréer les morceaux de manière robotique, mais de faire en sorte que l’émotion passe vraiment sur scène.
Baptiste : Oui, et on est aussi dans une période de transition. Si on veut aller plus loin en termes d’expérimentations en studio, ça pourrait aussi nous amener à utiliser plus de machines en live, à terme. J’utilise un SPD : un sampler qui me permet de lancer des séquences ou des sons pendant les morceaux, comme des synthés ou autres textures qu’on ne pourrait pas jouer en direct autrement. Mais ça pose aussi la question de la perception du public, car tout cela n’est pas toujours visible.
LVP : J’ai vu que vous aviez fait la première partie de Ride. Qu’est-ce que ça vous a fait de partager la scène avec un groupe aussi emblématique ?
Wanda : Moi, je n’étais pas dans le groupe à ce moment-là, mais j’adore Ride, surtout leur premier album Nowhere, que j’ai écouté en boucle. Du coup, j’étais un peu dégoûté de ne pas être là mais bon, peut-être une autre fois !
Clément : Oui, c’était une super expérience. Par contre, on n’a pas eu trop l’occasion de discuter avec eux, c’était pendant un festival avec plusieurs groupes, dont Rendez-vous, avec qui on a plus échangé. Mais c’était très cool de partager la scène avec un monument du shoegaze comme eux. Au moins, certaines personnes nous ont découverts de cette façon. Il y a pas mal de gens qui sont venu·es nous voir après en disant : « Ah, vous étiez en première partie de Ride, non ? » C’est super agréable de savoir qu’iels se souviennent de nous pour ça, surtout qu’on était la première partie. C’était notre premier gros concert, vraiment. Avant ça, on n’avait pas joué dans des grandes salles. C’était un peu impressionnant, un peu surréaliste même, surtout qu’à l’époque, on était vraiment un tout petit groupe avec juste un EP sorti. Donc, c’était fou !
Wanda : Ride, c’est un gros nom du shoegaze, même si je trouve qu’ils sont un peu oubliés. Pourtant, c’est un groupe qui mérite plus d’attention, surtout qu’ils ont sorti Nowhere à seulement 17 ans, c’est incroyable !
LVP : Je voulais aussi parler des thèmes de votre EP. Il est mentionné qu’on y parle de la résilience, de l’idée d’avancer. Qu’en pensez-vous ? Et qu’est-ce qui vous a poussés à écrire là-dessus ?
Clément : Oui, c’est moi qui écris les paroles en général. Quand j’ai commencé à écrire pour cet EP, au début, les paroles n’étaient pas folles et étaient très littérales. J’avais écouté beaucoup Daughter, un groupe de folk londonien avec des influences shoegaze, et leurs paroles sont très directes. Mais en relisant, je me suis dit que c’était peut-être trop transparent, et j’ai voulu prendre un peu plus de recul, rendre les paroles plus métaphoriques. Je voulais toujours transmettre un message d’espoir, mais cette fois de manière plus subtile, plus nuancée.
LVP : Quid du shoegaze en France, vous avez l’impression que ça évolue, ou c’est encore un genre un peu niche ?
Wanda : C’est vrai qu’en France, le shoegaze reste assez niche, alors qu’aux États-Unis ou en Angleterre, il y a plus de gens qui écoutent ce genre de musique. Mais ça bouge quand même. Par exemple, je pense à Maxime Dobosz, qui vient d’Angers et qui a un groupe appelé Big Wool. Il y a plein de groupes comme ça en France. Mais ce qui est intéressant, c’est que selon moi, le shoegaze n’est plus vraiment un genre musical à part entière. Aujourd’hui, c’est devenu une ambiance, un mood. Ça fait appel à la nostalgie et c’est une manière de faire de la musique plutôt qu’un style défini par des guitares et des effets comme à l’époque.
Clément : Oui, ça a vraiment évolué depuis les années 2010 avec des groupes comme Nothing ou Whirr. Ils ont apporté une approche plus romantique, presque bucolique. Et si tu le vois comme ça, il y a énormément de groupes en France qui suivent ce mood-là.
Wanda : Avant, il y avait vraiment des codes : les guitares, les effets, ce côté très années 90. Maintenant, c’est plus un cadre rigide, c’est vraiment un mood que tu peux retrouver dans plein de styles. Je me rends compte qu’il y a de plus en plus de groupes qui adoptent ce côté shoegaze sans forcément en respecter les codes traditionnels.
LVP : Et au niveau de la scène française ?
Wanda : Oui, complètement ! L’autre jour, j’ai vu qu’un groupe de Bordeaux, Opinion, qui fait aussi un peu de shoegaze, vient de signer avec Howlin’ Banana. Ils sont rentrés dans une playlist Spotify qui s’appelle Shoegaze France, et c’est fou parce qu’il y a quatre groupes de Bordeaux dedans. Ça reste niche, et on ne joue pas dans des grosses salles, mais il y a ce petit côté communautaire. Ici, c’est vrai qu’on se retrouve entre nous, comme avec Opinion ou Clarence, des potes de Bordeaux. On partage les mêmes références et ça crée un vrai lien, mais au niveau national, je ne ressens pas vraiment une communauté shoegaze forte. C’est plus local.
LVP : Vous préférez que les gens ne catégorisent pas votre musique comme du shoegaze ?
Wanda : Exactement. Je trouve que notre son est tellement pop, avec une approche plus accessible. On ne suit pas vraiment les codes du shoegaze traditionnel. On a des éléments de guitare, mais on ne fait pas du Ride ou du My Bloody Valentine, ce n’est pas du tout dans notre ADN.
LVP : Et alors, comment définiriez-vous votre musique ?
Wanda : Pour être honnête, je pense qu’on fait de l’emo-pop. Personne ne me croit, mais c’est vraiment ce que je ressens !
Je passe le plus clair de mon temps à faire des playlists. Je ride aussi les océans.