Crash : Les Louanges nous raconte les collisions de sa vie
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
21/01/2022

Crash : Les Louanges nous raconte les collisions de sa vie

| Photo : Alex Blouin & Jodi Heartz

“Si je suis capable d’écrire un poème qui pourrait rentrer dans un texto, j’ai réussi mon job.” Enfant de sa génération et porteur de la nostalgie musicale des plus grand·es, Les Louanges modélise sa pop sous des formes jazz, r’n’b et variété qui se donnent la réplique sur un second album éclectique et dynamique. Crash comme les impacts de la vie qui ne préviennent pas, Crash comme la claque musicale de début d’année qui fait du bien. 

On aurait presque envie de vous parler de l’album de la maturité. Vincent Roberge (de son vrai nom) se détourne du second degré délicieux de ses débuts pour se dévoiler plus personnel que jamais avec son second album. Entre moves de loveur et sujets plus lourds et graves, la plume de l’artiste québécois s’est trempée dans des encres diverses au cours des dernières années. Des situations de vie synthétisées sous forme d’impacts multiples, à l’origine d’un crash général que Les Louanges nous raconte au fil de sonorités pop plurielles. Des nappes enrobantes de Mono à la force sentimentale de Facile, en passant par l’intelligence rythmique parcimonieuse de Bolero ou encore l’efficacité mélodieuse de Chaussée ou Pigeons, cet album offre une profusion maîtrisée de textures diverses.


La Vague Parallèle : L’album s’appelle Crash. Pour toi, c’est un mot à la connotation positive ou négative ?

Les Louanges : Les deux ! J’ai choisi ce nom car cet album symbolise la vie qui m’est rentrée dedans ces trois dernières années. C’était un peu la vraie vie qui commençait pour moi, et chaque chanson représente un petit impact, positif ou négatif. Parce que c’est un peu ça la vie. Et aussi parce que j’ai du mal à vivre au milieu : quand ça va bien c’est fantastique, et quand ça va mal ça frappe fort. C’est comme ça que je suis construit. (rires)

LVP : Dans ton univers, la présence des cuivres, des saxophones et du jazz est centrale, alors que l’effet pop est quand même présent. Comment réussit-on ce grand écart ?

Les Louanges : Je viens du jazz, je l’ai étudié. Mon acolyte avec qui je co-réalise tout est un saxophoniste, donc on a facilement le réflexe de rajouter des sax sur tel ou tel morceau. Le reste du band est composé de jazzmen émérites également, mais qui peuvent triper sur plein d’autres choses. Ce qui nous permet d’expérimenter des mélanges de genre et de faire de la pop tout en gardant une base jazz bien solide qui nous permet une belle liberté.

LVP : Sur quel morceau ressent-on le plus de jazz ?

Les Louanges : Sur le titre Encore, il y a un bridge de saxophone qui induit des harmonies différentes, et sur lequel le petit jazzman en moi est ressorti. Le premier morceau Prologue est clairement inspiré du label Daptone Recordset de ses figures comme Charles BradleyDerrière ce morceau, il y avait cette idée d’un vieux show sixties-seventies avec le band qui arrive, puis un MC qui débarque sur la scène en mode “Venez applaudir Les Louanges !”. Au delà du son, ce premier track a tout un mood jazz avec lequel on a vraiment pu se lâcher.

LVP : L’esprit rétro se retrouve également sur Chérie, un morceau suave et satiné assez étonnant. C’était quoi l’idée de cette vibe vintage sensuelle ?

Les Louanges : C’est une toune que j’aime beaucoup. Après la sortie du premier album, on m’a beaucoup dit que je faisais de la musique sexy alors que ce n’était pas forcément mon intention à l’époque. Et avec Chérie, c’était ma façon de dire “OK, vous dites que je fais de la musique sexy ? Alors je vais vous en faire une vraie.” Je la définis comme du neo eighties, et Toro y Moi m’a pas mal inspiré sur ce registre en travaillant la vaporwave, avec un vrai travail de réinterprétation de toute cette musique yacht rock des années 80. C’était un exercice de style assez fun.

| Photo : Alex Blouin & Jodi Heartz

LVP : Au niveau des textes, on retrouve sur cet album un ton beaucoup plus personnel et premier degré que sur les autres disques. Tu t’es surpris en faisant ça ?

Les Louanges : Sur mes premiers disques, j’étais encore assez jeune. J’avais pas vécu grand chose. Comme tu dis, j’étais davantage sur le second degré avant, j’étais dans la fiction. Pour Crash, j’avais beaucoup de choses à dire et qui provenaient de ma propre vie, donc je les ai laissées couler.

LVP : Sur Chaperon, tu abordes le sujet délicat du viol qu’une proche à toi a subi. Comment t’es-tu décidé à l’intégrer tout en te sentant légitime d’en parler ?

Les Louanges : Quand je dis que les chansons s’imposent à moi, c’est typiquement le cas sur celle-ci. C’est un couple d’amis extrêmement proche de moi qui a du traverser cette épreuve. Jamais il n’a été question de m’approprier le traumatisme de la victime, ou de parler au nom de la fille qui a subi l’agression. Par contre, j’ai pu parler du fait que j’étais en première loge des dommages collatéraux. À l’époque je vivais avec son compagnon, et donc je peux raconter comment il a traversé tout ça, comment je l’ai vécu également. Ca parle de vengeance, de haine, de blessure, d’empathie. C’est une chanson de témoin, en quelque sorte.

LVP : Le morceau a une portée sociale lourde, tu avais envie de faire passer un message ou de sensibiliser ?

Les Louanges : Un des pièges de ce genre de chansons, c’est que le message passe par dessus le reste. Et c’est normal. Je n’essaie pas de donner d’explication ou de donner des leçons. J’avais juste un besoin de raconter tout ça. Les récents mouvements féministes, comme #MeToo, ont permis d’ouvrir la discussion et ça pousse les hommes et les garçons, même les plus jeunes, à se remettre en question et à réfléchir davantage : “est-ce que j’ai tout fait correctement ? est-ce qu’il y a des trucs que je peux améliorer ?” Et c’est très positif. Mon militantisme à moi c’est de parler de ces choses-là, de les intégrer dans un album pop. Ça s’arrête là. Et si ça peut faire passer un message, alors c’est tant mieux !

Footballer pensait qu’à sa queue
Qu’on lui coupe son pain
L’homme est un loup pour ses sœurs
Et tu voudrais jouer au chasseur

LVP : On retient aussi Facile, dont la sincérité nous a complètement chamboulé. Des mots simples pour exprimer le chagrin d’amour, c’est ça le secret ?

Les Louanges : Je voulais exprimer mes sentiments avec les mots les plus simples qui soient. Si je suis capable d’écrire un poème qui pourrait rentrer dans un texto, j’ai réussi mon job. Et puis tout le monde peut se reconnaître dans une chanson comme celle-là. Ca ne sert à rien de dire “J’ai le cœur brisé, ma vie est un tourment, des cascades de tristesse s’abattent sur ma tête”. Ici je te parle du fait que ça fait deux jours que je n’ai pas mangé, que j’ai liquidé deux paquets de cigarettes alors que je venais d’arrêter de fumer. Et ça, avec des mots simples, je pense que tout le monde le comprend mieux. C’est ça le chagrin d’amour. Ca n’enlève pas toute la recherche qu’il y a derrière, mais c’est surtout se rappeler que ce qui nous touche c’est ce que l’on comprend, ce sont les choses simples. C’est ça ma sincérité : aller droit au but.

LVP : Sur Dernière, tu te plonges carrément dans le romantisme piano-voix. Tu n’avais pas peur de basculer dans le mielleux avec celui-là ?

Les Louanges : Pas nécessairement. Je crois que le mielleux et l’eau de rose ne sont jamais loin de n’importe quelle chose. Il ne faut pas se l’interdire, mais c’est juste une question de dosage. Cette chanson reste une grande déclaration d’amour, donc si je cherche à éviter le mielleux à tout prix je pourrais échouer à délivrer le message. Et pourtant, ça reste des lignes simples, avec des choses qui pourraient être dites. C’est beaucoup de spontanéité.

LVP : En général, la spontanéité te guide ? Tu n’aimes pas trop intellectualiser les choses quand il s’agit de musique ?

Les Louanges : Quand j’étudiais le jazz, on m’a appris que pour être bon, il fallait à la fois apprendre la technique et savoir l’oublier sur scène. De cette façon, la technique fait partie de toi, mais sur scène ça reste toi qui t’exprimes. Pour Crash, j’ai beaucoup réfléchi à comment je voulais écrire, comment je voulais utiliser la langue. Et ce travail en amont me donne la liberté de pouvoir arriver sur mes morceaux et laisser aller ma tête et mon cœur de façon spontanée. En sachant que tout le bagage de réflexion me guide inconsciemment quand même.


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