Crumb dévoile Ice Melt, l’album au potentiel plus grand que sa réalité
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Auteur·ice : Caroline Bertolini
23/05/2021

Crumb dévoile Ice Melt, l’album au potentiel plus grand que sa réalité

L’indie rock psychédélique de Crumb est de retour dans un nouvel album aussi sombre que révélateur. Après deux EP plutôt bien reçus par la critique, on remarque que le groupe américain opère encore à tâtons. D’abord avec leur premier album Jinx, et maintenant avec Ice Melt, qui trouve sa place dans un rock dormant qui groove et nous réveille avec ses pics d’énervement. Les musicien·nes soignent d’ailleurs leur recrudescence avec un live enregistré à Kingston. On dira que la volonté est là, le potentiel ne manque pas, mais quelque chose ne parvient pas à faire de cet album, ou de ce live, la meilleure chose qu’il nous soit arrivée au mois de mai. Mais peut-être est-ce un album dont il faut bien plus s’imprégner pour en être totalement convaincu·e. Peut-être que pour une fois, il faut se contenter de la sphère générale plutôt que donner raison à la course aux singles. 

En théorie, Ice Melt a tout pour plaire. Mais à la façon dont beaucoup de bacheliers ont tous les ingrédients pour trouver l’âme sœur sans mettre la main dessus, cet album a absolument tout pour nous subjuguer (même notre volonté à s’abandonner à lui), mais ne parvient pas à nous marquer plus longtemps que le temps de l’écoute. Ce projet reste très bon, qualitatif et bien pensé. On y voit la volonté du groupe de se darkiser, tout en gardant son côté doux/décalé qu’on lui connaît. C’est d’ailleurs mis en place dès la cover, qui nous plonge dans un univers glauque et sombre qui hanterait les trypophobes – s’éloignant ainsi du succès indie édulcoré des deux premiers EP. On y retrouve également la voix pleine de souffle de Lila Ramani qui se voit attribuer le rôle de catalyseur sur toutes les productions, pour garder notre attention à son comble.

Il y a tout de même quelques pépites qui se démarquent par leur aplomb et leur ingéniosité sonore, dont les trois morceaux qui apparaissent dans le live à Kingston, dans l’État de New York. Up & Down, qui introduit l’album, est le témoin de la dualité douceur/agacement qui sera le fil rouge du projet. Dans nos oreilles, une délicate construction d’une minute suivie d’une intensité stagnante qui s’arrête net avant un climax tant attendu. Seeds, quant à lui, groove avec un combo basse/batterie qui ne demande que peu de complexité pour nous tenir en haleine. Plutôt symptomatique de l’album, il arbore une libération en fin de chanson où les guitares crient à l’envoûtement. Ice Melt, le titre éponyme, termine le live et l’album avec beaucoup de douceur, ce qui contraste avec la construction des titres du projet, qui relègue systématiquement la partie dreamy au début.

 

Malheureusement, c’est visuellement que Crumb nous perd dans ce live. Le choix des chansons était pourtant propice à délivrer un concert intense et envoûtant, mais ne s’exécute pas de la sorte. Peut-être les lumières auraient pu être mieux réfléchies pour mettre le focus sur la sphère de cet album, cette dernière étant bien plus marquante que chaque son individuellement. Elle aurait mérité d’être mise en avant par une scénographie réfléchie pour nous plonger dans le nouvel univers du groupe. A contrario, on voit se dessiner une dissonance entre ce qu’on entend et ce qu’on voit, un simple live bien étalonné pour donner une impression de rêve éveillé, ce qui ne suffit pas à nous transporter. C’est un choix audacieux que de se concentrer sur une atmosphère générale dans un projet, mais encore faut-il l’assumer jusqu’au bout.

Même s’il est vrai que d’autres morceaux marquent Ice Melt, il est difficile de s’en rappeler plus loin qu’au moment de l’écoute. C’est un peu comme aller à un concert d’une artiste qu’on ne connaît pas, toutes les chansons se ressemblent et on finit par garder un lointain souvenir de la musique. On se rappelle alors avoir adoré la chanson L.A., mais impossible de se souvenir des éléments de ladite chanson, seulement 10 minutes après. Ceux qui échappent un peu à cette règle c’est Trophy et BNR, qui, non sans raison, étaient les singles sortis avant l’album. Trophy est vraiment un morceau incroyable avec ses synthés lancinants, et son “That’s just the way it goes” accentué par les guitares et effets en tout genre – jusqu’au glitch présent dans la production qui ajoute une perturbation nécessaire à ce moment précis.

Ce feeling répétitif ne nous permet pas de distinguer la particularité de chaque chanson. Il serait d’ailleurs aisé de dire que tous les morceaux sont incroyables, mais toujours dans la même recette, ne laissant que peu de place à la singularité ou à la surprise. Et si c’était exactement ce que Crumb convoitait ? Loin de vouloir partir dans la théorie du complot musical, pour certain·es artistes, nager à contre-courant est un choix ingénieux mais parfois incompris. Privilégier le ressenti au détriment de l’attribution pourrait donc s’expliquer, surtout quand les paroles du projet sont la plupart du temps cachées sous des nappes d’instruments et d’effets. Difficile de discerner ce qu’il s’y dit, ou même d’en comprendre le sens et pourtant, par ces shifts dans l’écriture, le groupe grandit.

On le voit avec des morceaux comme Gone, qui parle d’une vieille dame devenue folle, comptant les jours avant son dernier souffle. D’ailleurs ce titre nous a instantanément fait penser aux maître·esse·s du conceptuel : nos adoré·es Beach House. Iels ont façonné la dream pop avec des albums misant sur l’atmosphère, dont Depression Cherry, une masterpiece qui, pour les oreilles non averties, pourrait paraître redondante (on s’excuse d’ores et déjà devant nos divinités pour avoir osé prononcer ces mots). Alors, est-ce qu’à force d’écoutes, le génie du groupe s’abattra sur nous ? Est-ce que Crumb a un plan machiavélique de tous·tes nous soumettre à son culte du conceptuel ?

Le mystère reste entier. Néanmoins, ne dramatisons pas, l’album reste très bon. On y retrouve des productions qui se construisent d’une façon magistrale, semblant un peu confuses à certains moments pour ajouter au sentiment psychédélique qui plane. Les musicien·nes de Crumb parviennent toujours à canaliser cette confusion pour revenir à l’essentiel et nous garder en éveil du début à la fin. Le son est plus mature et se concentre sur un couple basse/batterie qui en fait un combo gagnant, le tout adouci par la guitare et la voix de Lila. Sombre, décalé et précis, ou comment nous emporter dans le monde ténébreux qui a été construit juste pour nous. Alors, on aime ou on n’aime pas la recette répétitive, mais le talent ici est indéniable et on a hâte de voir un live plus travaillé à la Beach House Live at Kings Theater. D’ailleurs on vous laisse avec ça :


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