Dance Fever : Florence + The Machine délivre un galvanisant testament d’empouvoirement
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
17/05/2022

Dance Fever : Florence + The Machine délivre un galvanisant testament d’empouvoirement

| Photo : Lillie Eiger

Fidèle à sa réputation de monstre d’intensité, Florence + The Machine dévoile Dance Fever, un pur produit de folie des grandeurs et d’esprit mélodramatique qui offre une résonance à nos détours ultrasentimentaux inavouables. Armée de son écriture romantique et rêveuse, la chanteuse nous a concocté des vagues de poésie gothique sur fond de sentimentalisme, d’indépendance, de puissance et d’invitation à l’émancipation. Un disque extatique, à la fois dansant et contemplatif, sur lequel les ruminements pandémiques et intimes de Florence Welch résonnent plus que jamais avec notre condition humaine.

La Britannique offre cette année une galette à la hauteur de son brillant How Big, How Blue, How Beautiful de 2015, en cultivant son personnage et son univers baroques absolument fascinants. Nichée dans une magie fantaisiste que trop peu parviennent à dégainer sans sombrer dans le kitsch, l’artiste ne fait que rarement dans la demi-mesure. Ses shows sont des incantations collectives, des extravagances spirituelles qui vous font surgir des élucubrations universelles en plein concert. Mais c’est ça qui fonctionne si bien chez elle : ce surplus dramatique, cette envie de hurler ses maux, de crier ses chagrins et de les exorciser sur des compositions grandioses et denses.

Une épidémie en entraîne une autre

À la source de ce nouvel album, un événement plutôt interpellant qui aura marqué Strasbourg en 1518 : l’épidémie dansante. Un fait divers aux allures de mythe urbain qui nous raconte comment un groupe de “malades” s’est épuisé jusqu’à la mort en dansant jours et nuits dans les rues de la ville. L’allégorie de comparaison entre la  “choréomanie” du 16ème siècle et la pandémie de Covid que l’on traverse rend cette sortie plus intéressante encore. Face aux tours que nos quotidiens nous réservent, autant danser frénétiquement sur cette vie qui nous traverse, à la mémoire de ces Strasbourgeois·es complètement perché·es.

I hear the music, I feel the beat
And for a moment, when I’m dancing
I am free

Si les co-producteurs de l’album Jack Antonoff et Dave Bayley ont réussi à subtilement enrober l’œuvre d’une couche pop accessible, l’essence de ce nouveau travail reste alternative et la couleur musicale inimitable de Florence Welch voit ses contours baroques amplifiés par des tandems guitare acoustique-percussions impérissables. Dans l’ensemble, elle ne se réinvente pas vraiment, mais décide plutôt d’explorer davantage son terrain de jeu. Quand on voit l’audace d’un morceau comme Daffodil, c’est comme si la maturité emmagasinée au fil des années lui avait permis non seulement de capter l’intensité d’un morceau, mais également de jouer avec comme bon lui semble. Le morceau est un rollercoaster qui évolue crescendo pour éclater en outro sur des éclats de batterie.

La fièvre dansante est assurée par des titres lumineux comme Choreomania ou My Love qui vient déployer la force disco diva de Florence Welch sur des ondes scintillantes qu’il nous tarde de savourer en live, nous époumonant sur les exaltants “Tell me where to put my love” comme si nos vies en dépendaient. Heaven Is Here et King rassemblent les armes fétiches de Welch : lyrics riches de sens et constructions rythmiques engageantes. Les deux se présentent tels des cris de cœur à réciter à plusieurs, outils d’empouvoirement par excellence. Sur le premier, Welch casse le mur de l’intime en abordant la question d’une maternité qu’elle n’a jamais eu l’occasion de vivre, mais contrebalance cet élan de vulnérabilité avec une expression de puissance frissonnante : “I am no mother/I am no bride/I am king”.

But a woman is a changeling, always shifting shape
Just when you think you have it figured out
Something new begins to take

Poésie à fleur de cœur

En décidant de se saisir de l’intimité de ses écrits comme véritable force conductrice, Florence Welch réussit l’exercice de nous parler de choses personnelles en les rendant universelles. Comme ce penchant compulsif et faussement salvateur pour la destruction sur The Bomb : “And break me, shake me, devastatе me/Come herе, baby, tell me that I’m wrong/I don’t love you, I just love the bomb” chante-t-elle sur une ballade acoustique évasive et caressante. Même bouleversement sur Back In Town, crève-cœur inévitable qui commence sur les lignes “Never really been alive before/I always lived in my head” et se conclut sur “I came for the pleasure, but I stayed/Yes, I stayed for the pain.” Florence savait déjà comment parler à notre cœur, elle peut désormais rentrer dedans. Et on en redemande. 

C’est lorsqu’il se fait plus doux et léger que l’album nous gagne. Étonnant pour un disque qui célèbre la frénésie dansante. C’est que contrairement aux malades de la fable de la “choréomanie”, Florence Welch sait que toute catharsis dansante effrénée doit s’accompagner d’un temps de respiration, de recul, d’où le berçant Morning Elvis qui clôture adéquatement l’opus.

Tout au long de Dance Fever, le sens du récit de Florence + The Machine ne flanche jamais. Elle parvient à faire se côtoyer les récits mythologiques troyens de Cassandre et l’histoire anodine (et autobiographique) d’une matinée gueule de bois à Memphis. Le tout sans jamais faire pâlir la poésie de son art, transcendante et authentique. Même si la collection peut sembler disparate et décousue par instants, les titres se répondent d’une façon ou d’une autre pour raconter les déboires sentimentaux d’une génération entière qui trouvera forcément une part d’elle-même dans les lignes de ce cinquième album. Que la magie Florence + The Machine ne s’arrête jamais, et que ses mélodrames excessifs trouvent toujours droit de cité dans notre paysage musical.