Dans cent ans : un moment passé avec Flavien Berger
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Auteur·ice : Paul Mougeot
20/03/2023

Dans cent ans : un moment passé avec Flavien Berger

Avec Flavien Berger, le temps s’étire, s’étiole et se distend. À la fois très rare dans ses apparitions et très influent dans le paysage musical contemporain, l’intrigant musicien est parvenu à susciter une attente considérable autour de son dernier album tout en ayant passé les quatre dernières années à créer et à publier de la musique sous toutes ses formes. On a passé un moment avec lui à l’occasion de la sortie de Dans cent ans, le disque qui vient apporter un point final à sa formidable trilogie sur le temps.

La Vague Parallèle : Hello Flavien, comment ça va ?

Flavien Berger : Franchement, ça va bien ! C’est le mois le plus chargé de ma vie, j’ai des trucs tout le temps, mais ce sont uniquement des trucs géniaux donc tout va bien.

Je viens tout juste de faire une expérience assez intéressante : je figure pour la première fois dans l’un de mes clips. C’est un clip réalisé par Vimala Ponce, une comédienne qui fait aussi du spectacle et qui est issue du monde du cirque. Du coup, j’ai vraiment l’impression d’être un chanteur : je joue dans mon clip, je chante…

L’idée de ce clip m’est venue en dormant. J’avais rêvé qu’un de mes amis avait fait une vidéo de quelqu’un qui était tiré par le haut, avec la caméra qui le suivait tout le long. En me réveillant, je me suis dit qu’il avait eu une super idée, mon pote, et puis je me suis rendu compte que c’était mon idée, puisque je l’avais rêvée. C’est plutôt pour célébrer cette idée que je me suis montré, je n’en avais pas forcément envie. Jusqu’ici, je n’ai pas vraiment incarné ma musique : je ne suis pas sur mes pochettes, je n’apparais pas dans mes clips ni sur mes affiches. Je mets plutôt ma musique en avant mais il se trouve que j’existe et que j’ai un corps, donc il y a un moment où il faut que j’intervienne.

 

LVP : On te retrouve 4 ans après la sortie de Contre-Temps, le deuxième volet de cette trilogie du temps qui trouve une place particulière dans ta discographie. Qu’est-ce qui s’est passé pour toi durant cette période ? Est-ce que tu dirais que tous les projets que tu as menés pendant ce laps de temps ont influé sur la création de ce nouvel album ? 

FB : Je pense que tous mes projets influent et infusent entre deux. Depuis 2018, j’ai sorti deux disques, radio contre-temps et De la friche, et c’est vrai que j’ai travaillé sur beaucoup de projets différents. On s’est aussi mangé un confinement entre temps, il se trouve d’ailleurs que je venais de terminer ma tournée en décembre 2019 avec une affiche qui disait “dernier concert avant une éternité”… C’est assez ironique, tout de même ! Cela dit, je n’avais rien de prévu pour 2020 donc j’ai eu beaucoup de chance. Après, j’ai rencontré Pomme et j’ai réalisé son album, j’ai fait la musique du long-métrage de mon amie Céline Devaux.

Pour moi, tout est assez balisé en fait : je savais que j’allais faire ce troisième album et que ça allait clore cette trilogie autour des explorations.

LVP : Il y a quelques années, tu parlais de l’angoisse que tu pouvais ressentir au moment de sortir un disque. Est-ce que l’expérience aidant, tu vis cette sortie de manière plus sereine que les précédentes ?

FB : Là, je ne me sens pas du tout angoissé. Peut-être que je me cache derrière des stratagèmes mais le plus important pour moi c’était de terminer cet album, d’arriver au bout, de terminer le geste de ce que je voulais raconter. Je m’en fous que ça marche ou pas, pour moi le défi n’est pas là. J’ai la chance de pouvoir dire ça bien sûr, parce que je ne compte pas seulement sur ce disque pour vivre.

En ce moment, je suis plutôt angoissé par ma tournée parce que je commence à avoir beaucoup de morceaux et qu’il y a un live à écrire avec tout ça. Plus il y a de morceaux, plus on peut se tromper, plus on prend le risque de faire les mauvais choix. Donc je me pose beaucoup la question de la manière d’articuler tout ça, de tricoter du lien entre les morceaux. C’est plutôt ça qui me fait vibrer en ce moment.

© Alice Sevilla pour La Vague Parallèle

LVP : On sait que tu accordes une attention particulière à la manière dont tu donnes vie à ta musique sur scène, avec des incursions dans d’autres disciplines artistiques et des mises en scène soignées. Qu’est-ce que tu prévois pour la tournée à venir ?

FB : La mise en scène est prête, j’ai un nouveau système de scénographie, avec la même équipe mais sur des principes différents. Aujourd’hui, les concerts, ce sont des spectacles. Il faut réussir à impressionner, à surprendre, il faut parvenir à trouver des stratagèmes pour sortir des sentiers battus et ne pas tomber dans une scénographie informationnelle. Il ne faut pas envoyer trop d’images aux gens, dans mon cas ce serait dommage.

Pour cette tournée, on a réfléchi à des structures de néons. Il n’y a rien de plus contraignant qu’un néon car la lumière ne peut circuler que dans un sens ou dans l’autre, mais on a réussi à faire de cette contrainte une écriture. Je serai toujours seul sur scène parce que je n’arrive pas à imaginer ma musique jouée par d’autres musiciens ou musiciennes, même si j’aime beaucoup jouer en groupe. Je crois que j’ai encore un tour à faire tout seul en scène.

LVP : Justement, pour en revenir au disque, tu disais tout à l’heure que tu n’incarnais pas forcément ta musique, mais la voix est tout de même davantage mise en avant sur cet album. Est-ce que tu te rapproches davantage de la figure de chanteur pop ?

FB : Oui, c’est clair. Je crois que ça s’est fait assez naturellement, j’ai tout simplement accepté de chanter. J’ai accepté que ça avait une valeur, que c’était quelque chose qui avait une fin en soi et que je n’avais pas besoin de le justifier en manipulant dix mille bidules. J’ai aussi eu des expériences qui m’ont marqué en ce sens : par exemple, j’ai fait un auto-karaoké en 2021 où tout la salle chantait et où je n’avais rien à faire. C’est là que je me suis rendu compte que ça forçait l’humilité parce que mon morceau existait sans moi.

Sur l’album, le mix de la voix n’a été un sujet à aucun moment. Avant, je demandais toujours si on pouvait baisser la voix pour conserver quelque chose d’englobant parce que j’avais peur de faire un mix un peu variét’. Là, sur ce nouvel album, c’est complètement assumé. Ce n’est plus un sujet. Je m’en suis aussi rendu compte il y a quelques temps quand un enfant m’a demandé ce que je faisais et que je lui ai répondu que j’étais chanteur. Je n’aurais jamais répondu ça il y a 5 ans. J’accepte ça, je crois que j’ai trouvé ma voix : je suis de plus en plus à l’aise avec cette manière de chanter qui me ressemble.

Je pense aussi que j’ai été influencé par mon travail avec Pomme, notamment quand j’ai fait Soleilles, mais là je crois que je suis au max de ce que je peux faire dans ce domaine (rires). Enfin je dis ça, mais en même temps, j’ai envie de faire un album piano-voix… En tout cas, le but de ces expérimentations pop, c’était aussi ça : trouver une simplicité dans le geste de production et que la forme ne soit plus un sujet.

 

LVP : Sébastien Tellier disait qu’il aimerait être considéré comme un chanteur pop plutôt qu’un musicien intellectuel. Est-ce que c’est une posture dans laquelle tu te reconnais ?

FB : Je pense que chaque morceau a sa propre ambition donc il faudrait y réfléchir morceau par morceau. Mais je crois que Tellier disait aussi qu’il voulait arrêter de faire de la musique qui s’adresse au cerveau pour faire de la musique qui s’adresse au bassin. Moi, ça me va d’être taxé de musicien intellectuel. Au fond, je crois que j’ai un peu le cul entre deux chaises : pour certains, je suis un peu quelque chose de pointu et pour d’autres, je représente un peu quelque chose de bidon… Il reste quelque chose de non-assumé avec la musique pop que je fais. On parlait d’incarnation, et justement, je snobe tout le circuit marchand qui va normalement avec ce genre de produit.

LVP : Tu disais dans une interview que tu courais toujours après le disque parfait, que c’était à la fois l’envie mais aussi la frustration qui te servaient de moteur pour créer. Qu’est-ce qui a été l’élément déclencheur pour la création de celui-ci ?

FB : Je dirais que c’est plutôt la continuité de la démarche qui a été la mienne jusqu’ici. Il y a quelque chose d’assez organique là-dedans, quelque chose qui prend aux tripes, dans le bas du ventre.

Quelque part, je n’ai pas pris beaucoup de risques non plus avec cet album. Je me suis inscrit dans quelque chose d’assez balisé avec des morceaux à chiffres, des morceaux de quinze minutes éponymes, des ouvertures vers d’autres sujets… J’en riais avec un ami à qui j’ai fait écouter le disque, je lui disais que s’il s’était imaginé mon troisième album, il ressemblerait exactement à ça. Donc il y a sans doute un manque de prise de risque ici, mais c’est vraiment parce que je voulais persévérer dans mes idées, aller au bout de ce que je voulais faire. J’avais besoin de ce troisième album pour donner une cohérence à tout ce que j’avais fait avant dans cette exploration de la musique pop. Ce n’est pas vraiment de là que je viens : à l’origine, je préfère faire des tunnels de 15 minutes de beats avec des ouvertures de filtres mais j’ai ressenti un appel auquel j’ai voulu répondre.

LVP : Quand tu as initié cette trilogie, tu avais déjà cet aboutissement en tête ?

FB : Je le percevais, disons. Quand j’ai fait Léviathan, je savais que j’allais faire un deuxième album sur le voyage dans le temps et je pensais que le troisième allait parler du diable. Ça n’en parle pas directement, mais ça le cite à plein de petits égards, dans plein de petits recoins. Il y a une cosmétique satanique qui se dégage de l’ensemble. J’avais l’intuition qu’il y aurait ce champ esthétique de la peur, de l’occulte.

Je savais très tôt que je voulais faire une trilogie, ça fait résonance avec des formes populaires : les trilogies au cinéma, dans les livres… C’est éculé mais c’est solide, ça se tient bien. Dans mon cas, ça circonscrit une période, aussi.

© Alice Sevilla pour La Vague Parallèle

LVP : Ce nouvel album apporte donc le point final de cette trilogie du temps, mais elle ouvre aussi la porte à quelque chose de nouveau – en tout cas, on l’espère. De quoi sera faite la suite pour toi ? 

FB : J’ai plein de projets, on va voir celui qui prend le dessus. Je sais déjà qu’il y a un disque miroir qui nous attend parce que j’en ai toujours sorti un après le gros album studio. Il y a toute une métrique liée à la sortie d’un disque et je trouve ça intéressant de casser tout ça en sortant un disque un an après sans prévenir. Moi, je viens de MySpace, de cette époque où on pouvait livrer de la musique directement aux gens pour qu’ils l’écoutent. C’est quelque chose d’hyper agréable, comme un livreur de pizzas : tu as quelque chose de tout chaud et tu le tends aux gens. C’est presque quelque chose de salvateur !

Pour le reste, je ne sais pas vraiment. J’ai dans l’idée de faire un disque pour vibraphone, j’aimerais bien faire du songwriting, des trucs plus informels et progressifs, écrire pour des chorales… Peut-être que tout ça donnera un disque !

LVP : Est-ce que ce schéma s’inscrit dans quelque chose de plus global, un grand schéma artistique qui se révélerait au fur et à mesure de ta carrière ?

FB : Non non, je trouve qu’après, tu tombes vite dans le démon du concept. On en parle souvent avec Jacques : c’est bien de conceptualiser les choses, mais il ne faut pas non plus briser toute spontanéité en tombant dans quelque chose de trop balisé.

J’en ai en tête, des schémas, comme avec mes morceaux à chiffres par exemple. Ça, c’est un projet au long cours, je sais que c’est une continuité qui me permet aussi de nourrir mon inspiration. Un jour, il y aura un disque avec tous ces morceaux à chiffres et je sais que c’est quelque chose que je pourrai terminer.

LVP : Pour finir, est-ce que tu peux partager avec nous une découverte ou coup de cœur artistique récent ?

FB : Je suis hyper fan d’une artiste suisse-allemande qui s’appelle Leoni Leoni. C’est drôle, c’est doux, j’ai adoré son concert quand je l’ai vue. Je vous la conseille, on dirait de la pop passée dans un verre de Xanax. Il y a de la recherche de matière, des textes magnifiques, c’est vraiment très beau.

 

Entretien réalisé à quatre mains avec Victor Houillon.


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