‘La Nuit Je Mens‘ disait Bashung. La nuit est une terre de fantasme, de rêves et de ratés. Elle est celle qu’on explore, celle qu’on oublie et celle qui parfois nous dévore. Aujourd’hui la nuit devient le terrain de jeu musical de Cléa Vincent. Avec Nuits Sans Sommeil, la parisienne est bien décidée à nous surprendre en nous offrant un voyage nocturne, sensuel et ambitieux qui renouvelle l’image qu’on avait de sa musique. Pari réussi.
Connaissions-nous vraiment Cléa Vincent ? Cette question nous habite lors de la première écoute de Nuits Sans Sommeil, son nouvel album. Attention, ce questionnement n’a rien de négatif, bien au contraire. Seulement, celle qu’on voyait comme la princesse de la pop DIY à la française, comme une stakhanoviste à la cool, toujours en studio ou sur la route, a réussi à mettre le doute en nous en rebattant les cartes d’un jeu qu’on se plaisait à penser connaitre. Il faut pourtant se rendre à l’évidence : Cléa Vincent est imprévisible. Loin de tracer le sillon d’un style qui avait pourtant fait sa réussite, elle a décidé de tout remettre à plat, de penser, réfléchir au meilleur moyen de nous surprendre. S’offrir la liberté et le luxe de recréer un univers musical, d’explorer d’autres horizons et de venir nous cueillir avec ces Nuits Sans Sommeil du plus bel effet.
Qu’on ne s’y trompe pas, Cléa Vincent continue de nous offrir des petits bijoux pop, des chansons à l’efficacité immédiate qui nous offrent cette sensation étrange de les connaitre depuis toujours, de se reconnaitre en elle et de penser à chaque instant qu’elles s’adressent à nous. C’est la grande réussite qui a toujours habité la musique de la parisienne, ce soin particulier à offrir de l’universalité, de créer une connivence entre l’auteur et l’auditeur tant et si bien qu’on finit par voir en Cléa Vincent, une amie, une confidente, un membre à part entière de notre existence.
Cette grande force est toujours présente, mais elle est mise en œuvre pour un univers différent. En plaçant la temporalité de son album dans un cadre nocturne, entre couché et levé du soleil, elle s’offre une couleur musicale à l’image de ces moments, plus produite, plus pointue, plus dansante aussi. Sans doute cela est aussi du au fait que les chansons qui habillent ces Nuits Sans Sommeil ont été composées dans un laps de temps bien plus réduit que celles de Retiens Mon Désir qui était au final une collection de titres créés aux fils des ans sans réel lien entre elles. En ressort un sentiment d’immédiateté, une unité de temps qui fonctionne en miroir sur Cléa Vincent. Ce désir d’immédiat se ressent aussi sur les paroles, moins allusives, moins ingénues et plus affirmées. Ainsi, elle ne cherche plus à se cacher derrière des images et des métaphores mais s’affirment en autrice autant qu’en compositrice. Vous l’aurez compris, Nuits Sans Sommeil gagne à tous les niveaux et nous emporte avec lui dans son sillage.
On plonge donc dans ses Nuits Sans Sommeil, titre évocateur qui ouvre l’album. On est happé par son ambiance, sa douceur, et ce rythme déjà fou qui nous fait battre le rythme dès la première écoute (et après la cinquantième c’est toujours le cas), ses chœurs vaporeux qui s’accrochent à nos tympans et qu’on finit par reprendre sans même le réaliser. Ce besoin, cette envie de ramener la pop vers le dancefloor se confirme avec Sexe D’un Garçon, ode poétique et politique à la féminité, qui use de sa légèreté d’apparence pour offrir un propos aussi important que nécessaire, se plaçant ainsi en digne descendante d’artistes comme Lio ou Véronique Sanson dans une affirmation pop de la féminité, qui n’a pas besoin d’une ambiance plombante pour faire passer un message fort. C’est toute la réussite des chansons de Cléa Vincent, qui allie le fond et la forme, qui s’offre la liberté de l’exploration musicale autant que la possibilité de faire passer des messages en douceur. Une main de fer dans un gant de velour pop ? Peut-être pas, mais le message passe et c’est sans doute ce qui est le plus important. La nuit suit son court et notre voyage aussi avec Le Soleil dans la mer et laisse- toi aller, deux petits joyaux qui brillent dans nos yeux et entraine une nouvelle fois notre corps et notre tête dans des univers dansant et rêveur.
Mais si belle est la vie, noire est la nuit. Ainsi le propos se fait plus sombre, plus désabusé sur les titres les plus forts de l’album, et peut être aussi les plus autobiographiques. Ainsi le triptyque Maldonne (avec Voyov), Ici Et Maintenant et Au Phone crée une espèce d’histoire dans l’histoire. Maldonne compte une histoire d’amour où on se fait du mal pour mieux se faire du bien, où le bien et le mal se mêlent dans une relation aussi toxique qu’addictive où l’on dépend parfois de l’autre autant qu’on voudrait s’en débarrasser, offrant un sentiment de vertige et d’incertitude dans la vie. Ici et Maintenant calme le rythme, respiration nocturne où l’on continue à vouloir se perdre dans l’autre, à profiter du présent tout en regardant le passé et le futur, un besoin de calmer ses pensées pour mieux envisager les choses.
Au Phone est sans doute une des plus belles réussites de l’album. Ballade mélancolique, elle parle de ce coup de fil qui nique tout, quand l’absence et l’éloignement détraquent les choses à tel point qu’il est parfois nécessaire de ne pas entendre la voix de l’autre pour ne pas se faire du mal. La beauté de la chanson réside dans le fait qu’elle parle ici d’amour d’un point de vu global, pas seulement en termes de relation, mais aussi de l’amour qu’on peut porter à ses amis, sa famille, ses enfants.
La nuit progresse et on continue à s’enfoncer en elle, regardant passer les heures. Et puisque la nuit est au centre du jeu, autant rendre hommage à sa prêtresse. Ainsi en reprenant Dalida et son Femme Est La Nuit, elle redonne vie à un titre dont le texte transpire la modernité et à la beauté fabuleuse. Bien loin du bête hommage copié-collé, c’est une véritable relecture que Cléa Vincent nous offre, accolant les couleurs de son album à un titre auparavant disco mais devenue pop. De relecture, il en sera aussi question avec Dans Les Strass. On connaissait ce titre depuis un moment puisqu’il faisait partie de la setlist de la parisienne, mais elle l’a complétement retransformé pour Nuits Sans Sommeil. En lui offrant des intonations plus froides et électroniques, elle permet surtout au texte de ressortir et de faire ressurgir la réalité des nuits parisiennes et de la vie d’artiste, loin des fantasmes, des stories Instagram et du maquillage glamour qu’on voudrait lui coller, la nuit/vie d’artiste est aussi plein de ses difficultés, de ses bêtises, ses égarements et ses moments pas très glorieux.
La nuit se termine et le soleil pointe le bout de son nez à l’horizon, Ce Que Nous Sommes offre cette conclusion en clair-obscur, ce moment ou la nuit part se coucher et ou la vie reprend son court, ou l’on regarde ce que l’on est en essayant de prendre du recul sur notre existence, sur notre besoin de l’autre.
On l’avait attendu, on l’espérait, on le fantasmait presque ce nouvel album de Cléa Vincent. Au final Nuits Sans Sommeil est une surprise presque totale dans son ton, son fond et sa forme. En onze titres, Cléa Vincent nous offre une petite bombe pop, qui éclate, qui brille et qui fait bondir nos cœurs. Intelligent, malin et maitrisé, ce Nuits Sans Sommeil ne se refuse rien et n’a pas peur de déconcerter avant de séduire. Une véritable proposition d’artiste, un cadeau pour nos oreilles et des titres qui ne demandent qu’une chose : prendre vie en concert. Car au final c’est ça le plus important et le plus vital chez Cléa Vincent. Loin de vouloir figer ses titres sur un album, elle les crée pour les faire vibrer sur scène, son terrain de jeu favoris, son moyen d’expression ultime. On a hâte d’y être.
Cléa Vincent sera en concert à La Cigale le 09 avril, pour prendre tes places c’est par là !
Futur maître du monde en formation.
En attendant, chevalier servant de la pop francophone.