Dans sa bulle, Biig Piig danse au rythme de la solitude
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Auteur·ice : Chloé Merckx
27/03/2023

Dans sa bulle, Biig Piig danse au rythme de la solitude

| Photo : Giulia Simonetti pour La Vague Parallèle

Comme le goût sucré d’un chewing-gum qui explose et nous colle aux lèvres. La musique de Biig Piig aux apparences pop et dance, dissimule une poésie plus triste, dont on a du mal à se défaire une fois qu’on en a compris le sens. Jessica Smyth aime jouer avec les paradoxes. Sur des tempos rapides et envoûtants, elle célèbre l’acceptation de quelque chose de très sombre, et fait danser les gens au rythme de ses tourments. L’artiste irlandaise qui a fait ses armes sur Soundcloud a sorti en janvier dernier une première mixtape, faisant suite à son dernier EP The Sky Is Bleeding. Intitulée Bubblegum, la collection de chansons révèle ses aller-retours entre Londres, Los Angeles et sa propre bulle. Biig Piig continue d’évoluer dans un mélange de styles dont elle seule connait le secret, ralliant à sa cause les cœurs solitaires désireux de lâcher prise sur la piste de danse. 

C’est dans le bar du Botanique à Bruxelles, à l’occasion d’un concert qui s’affiche complet, que nous retrouvons l’artiste quelques heures avant sa performance.

J’ai l’impression que l’histoire qui se déroule tout le long de la mixtape raconte le fait de vouloir se réfugier dans l’amour, mais cela ne suffit pas alors tu essayes différentes choses pour essayer de te sentir complète.

La Vague Parallèle : Est-ce que tu as hâte de te produire ce soir ? 

Biig Piig : Oui j’ai trop hâte ! En plus le concert a été sold out très vite ce qui est très excitant. La dernière fois que je suis venue c’était en 2019, j’ai joué dans le sous-sol.

LVP : Le witloof ? 

Biig Piig : Oui exactement, donc c’est très chouette de revenir ici mais dans une salle différente avec une ambiance différente. Il y a une très bonne vibe.

LVP : Comment se passe la tournée jusqu’à présent ? 

Biig Piig : Ça se passe super bien, pour être honnête c’est assez émouvant parce que ça fait tellement longtemps que je n’ai pas été en tête d’affiche. Avant de revenir je ne savais pas trop à quoi m’attendre mais l’énergie dans la salle est électrique, tout le monde se prête au jeu et il y a beaucoup d’amour.

LVP : Bubblegum est sorti en janvier, félicitations ! Comment te sens-tu quelques mois plus tard, maintenant que les gens ont pu l’écouter et s’y connecter ? 

Biig Piig : C’est dingue ! Et tout est si rapide, j’ai l’impression que tout s’est passé en une minute. Depuis qu’il est sorti j’ai très envie de jouer live, et c’est chouette de pouvoir le faire avec cette tournée. Je me suis aussi remise à écrire pour le prochain album, donc c’est assez intense en ce moment. C’est très cool de voir cet album se traduire différemment en live et de voir ces chansons sur lesquelles j’ai passé des heures faire leur magie en concert, c’est malade.

LVP : Est-ce que certaines de tes chansons ont été écrites avec l’intention de les entendre live ? 

Biig Piig : Je pense que ces dernières années j’étais beaucoup en festival, et inconsciemment peut-être que j’ai écrit des chansons dans le but de les jouer live. Surtout des chansons comme Kerosene ou In the Dark qui font vraiment sens en live parce qu’elles donnent cette impulsion de “lève-toi et danse”. Mais je pense aussi qu’après avoir eu l’expérience live avec ces chansons, cela me donne envie de le faire plus souvent.

LVP : Au début de ta carrière, tu publiais ta musique sur Soundcloud et ton approche à la musique était beaucoup plus DIY. Aujourd’hui tu as atteint un niveau supérieur en termes d’écriture et de production, comment s’est passée cette évolution pour toi ? 

Biig Piig : Pour être honnête cela a été très intéressant pour moi. D’une certaine manière c’était une expérience assez isolante, même si il y a toujours un sens de communauté, j’écrivais seule à la maison sur un beat. Maintenant je rencontre des producteurs, on fait des sessions ensemble et c’est beaucoup plus collaboratif en termes d’écriture et de production mais aussi pour sentir la vibe d’une chanson. Cela m’a ouvert à beaucoup de choses et j’ai l’impression d’avoir appris beaucoup. J’ai toujours beaucoup d’affection pour le monde de Soundcloud et toutes les communautés qui se retrouvent sur cet espace, c’est un espèce de gros nuage. Mais c’est chouette de travailler d’une autre manière aussi.

LVP : Les chansons qui se retrouvent dans ton album dégagent une atmosphère très introspective, pourtant le nom Bubblegum sonne comme quelque chose de joyeux et de coloré. Qu’est-ce que ce mot représente pour toi ? 

Biig Piig : Le bubblegum c’est pour moi quelque chose de très sucré et qui a un aspect assez inoffensif, mais cela peut exploser à tout instant, c’est fragile, ça colle et ça peut causer la pagaille. J’ai l’impression que l’histoire qui se déroule tout le long de la mixtape raconte le fait de vouloir se réfugier dans l’amour, mais cela ne suffit pas alors tu essayes différentes choses pour essayer de te sentir complète. Mais à la fin c’est un chemin de destruction et tu te retrouves à te demander “pourquoi j’ai recommencé ?”. J’ai l’impression que le bubblegum c’est une analogie parfaite pour cette expérience, de l’extérieur tout a l’air génial, mais de l’intérieur ça l’est moins.

LVP : Tu as passé la majorité de ton enfance en Espagne et dans ta musique on retrouve beaucoup de passages en espagnol. Est-ce que c’est une manière pour toi de dévoiler des sentiments que tu es trop timide d’exprimer en anglais ?

Biig Piig : J’ai l’impression que c’est différent. J’ai essayé d’un peu analyser ça parce que ça ne m’arrive pas beaucoup quand je suis en session de me dire directement qu’un certain passage doit être en espagnol. Mais parfois cela arrive et le plus souvent c’est quand je m’adresse directement à quelqu’un, quand une chanson ressemble à une lettre. Et c’est assez direct, quand j’écris j’arrive à m’imaginer la personne à qui j’ai envie de dédier les paroles. Donc c’est toujours une sorte de déclaration secrète. C’est comme une voix intérieure.

LVP : Tu rêves en espagnol ou en anglais ? 

Biig Piig : Ça varie (rires). Ça dépend de si j’ai beaucoup parlé dans une langue ou dans l’autre, et parfois ça change en une fois.

LVP : Ta chanson Ghosting reflète beaucoup notre génération et cette envie de disparaitre qu’on a tous et toutes parfois. Comment t’es-tu mise à écrire cette chanson ?

Biig Piig : À ce moment-là j’étais à Los Angeles et je travaillais avec un producteur qui s’appelle Aaron Shadrow. La chanson parle du fait de disparaitre, parce que j’ai un peu cette mauvaise habitude (rires). Quand les choses deviennent difficiles je ressens le besoin de m’échapper, je deviens dure à contacter et je me perds dans une autre dimension. À ce moment je bougeais beaucoup aussi, ce qui est en soit une autre façon de faire ça. Si je ne reste pas immobile, je n’ai pas besoin d’affronter la destruction ou toute la merde autour de moi. Quand j’écrivais j’ai écouté le beat et j’ai tout de suite aimé cette vibe et la chanson est venue directement. C’est une chanson qui avait besoin de sortir, c’était peut-être aussi une manière de faire le point sur moi-même.

LVP : D’une certaine manière on entend que tu as voyagé dans cet album, certaines chansons sont fort scéniques. Est-ce que c’était quelque chose de conscient dans ton écriture ? 

Biig Piig : Je pense que quand on a une idée de l’endroit où on a envie d’être, ce que j’essayais de déterminer pour moi à l’époque, de manière subconsciente cela devient quelque chose que tu recherches. Je ne savais pas que ça allait devenir le projet, mais quand j’écoute la mixtape ça fait tellement de sens. C’est comme un journal intime ouvert. Par exemple Picking Up est très Londres, et elle a été écrite à Londres, avec toutes les influences drum and bass. Donc ce n’était pas vraiment conscient mais quand on l’écoute ça saute aux yeux.

LVP : Tu as beaucoup de liberté en ce qui concerne le mélange des genres et des influences dans ta musique. Comment ces idées te viennent-elles quand tu composes ? 

Biig Piig : En général, tout commence avec une jam, et quelque chose de très simple. Après j’essaye d’écouter l’émotion qui se rapporte à la chanson. Par exemple pour Picking Up on a commencé avec un riff de guitare, j’ai commencé à écrire les paroles et au fur et à mesure je détermine de quoi la chanson va parler. C’est presque une sorte d’anxiété euphorique pour essayer de capturer un sentiment dans un beat. Donc on a accéléré le rythme et ça a fait sens directement. L’idée c’est de trouver le ton de ce que tu racontes dans ta chansons et le sentiment change la trajectoire de la chanson.

 

LVP : Tu as également sorti un clip pour ta chanson In the Dark, est ce que tu peux nous parler de la connexion que tu as avec cette chanson ?

Biig Piig : Ce morceau fait un peu la conclusion de la mixtape. C’est assez triste en réalité (rires), c’est une chanson qui parle du fait de retomber dans les mêmes situations, de se remémorer quelque chose que tu as perdu et de te retrouver dans un endroit sombre. Mais c’est presque célébrer le fait qu’on s’est retrouvée au même endroit tellement de fois, mais qu’on a jamais été capable de le regarder en face alors que c’est flagrant. C’est la célébration de l’acceptation de quelque chose de très sombre.

LVP : Ça t’est déjà arrivé de rencontrer des personnes qui comprenaient parfaitement le sens de tes paroles ? 

Biig Piig : Oui, c’est assez fou quand ça arrive, ça te donne l’impression que tu es face à une personne que tu connais depuis longtemps. C’est dingue parce que tu te dis que ces gens connaissent tout à propos de toi (rires). Je n’ai jamais été aussi vulnérable qu’à travers ma musique et mes paroles. Donc quand une personne vient vers moi et me dit qu’elle a compris et qu’elle se sent de la même façon, c’est une connexion qui est folle. C’est une expérience intéressante.

LVP : Tu fais partie d’une vague émergente de musique dance underground. Pourquoi selon toi les gens retournent vers des sons plus dance avec des influences très nineties ou début 2000 ? 

Biig Piig : Pour être honnête, j’ai l’impression que ça a manqué à beaucoup de gens. Et surtout après que tout ait été fermé pendant si longtemps, les gens ont besoin de s’exprimer, de danser, de se libérer et ne pas trop penser. J’ai l’impression qu’il y a un vrai besoin de communauté et de pouvoir lâcher prise. Et aussi il y a beaucoup plus de femmes qu’avant dans cette scène ce qui est chouette.

LVP : On a une dernière question pour toi, qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour l’avenir ? 

Biig Piig : Je n’en sais rien (rires). Maintenant je vais écrire l’album ce qui est chouette, mais après je ne sais pas trop pour être honnête. Je suis juste excitée de voir ce qui va arriver, c’est une expérience au jour le jour. Tourner c’est ce que je préfère, de voir plein d’endroits différents et d’y revenir à un âge et un état d’esprit différent.

LVP : Merci beaucoup Biig Piig pour ce moment. 

 

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