| Photo : Laura Collard pour La Vague Parallèle
Quand il est arrivé du Rwanda à 18 ans, Moogisha n’avait pas encore rencontré celle qui deviendrait sa compagne de route bruxelloise, sa guitare. Lassé par les études et convaincu que sa passion était ailleurs, il est devenu ce mec que l’on voit le soir au Mont des Arts, instrument bien en mains et petite foule de curieux·euses agglutiné·es sur les marches d’en face. Si le musicien n’a, depuis, pas délaissé la rue, il s’en est aussi émancipé. Son premier EP, Every Road, un opus aux sonorités variées, parfois rock, parfois hip-hop, est sorti cet été. Dans un café un matin pluvieux, il est venu nous parler de l’élaboration de ce premier projet, mais aussi de ses débuts, des artistes qu’il aime et de leur futur, à sa guitare et lui.
La Vague Parallèle : Comment as-tu commencé ta carrière ?
Moogisha : À la base, j’étais venu [en Belgique] pour faire des études en sciences économiques et gestion mais, en fait, je me suis rendu compte que c’était pas trop des choses qui m’animaient dans la vie. C’était une chouette coïncidence parce que, au même moment, j’ai commencé à découvrir la musique. J’ai vraiment commencé la musique en arrivant à l’université. Je n’avais aucun background de musicien, je n’avais aucune famille ou amis qui étaient musiciens. C’est vraiment en découvrant un peu le rock et la guitare que je me suis dit “allez, essaie, on verra“. C’est comme ça que j’ai commencé, avec des influences comme Oasis, Nirvana, Green Day, The Red Hot Chili Peppers, Pink Floyd, Metallica... des gros monstres du rock. C’est par ça que j’ai commencé même si, aujourd’hui, je suis plus trop là-dedans.
LVP : Quel est ton rapport au Mont des Arts et à Bruxelles en général ?
Moogisha : Je dirais que, puisque c’est l’endroit où je me suis confronté pour la première fois à un public, à la scène, c’est un endroit qui a une symbolique très forte pour moi. J’y ai appris beaucoup de choses sur moi-même, sur comment être un bon musicien et ça m’a apporté beaucoup dans ma vie quotidienne en général, ça m’a appris beaucoup de leçons. Je dirais que, même si, avant, je faisais déjà des concerts dans des petits bars etc. à Louvain-la-Neuve, c’est vraiment à Bruxelles que je me suis fait connaître et où j’ai eu ma première fan base.
LVP : Est-ce que tu as trouvé que la rue pouvait parfois être une scène ingrate ?
Moogisha : Je ne le vois pas trop comme ça. L’épreuve d’aller jouer dans la rue, certes, c’était quand même quelque chose de stressant et il fallait affronter cette peur de jouer devant un public, mais, au final, je le faisais plus parce que j’avais vraiment l’envie de jouer, de partager quelque chose avec les gens. J’ai pas trop tendance à le voir comme quelque chose de difficile. Il a pu m’arriver quelques expériences pas très sympas mais ce sont vraiment des gouttes d’eau.
LVP : Comment est-ce que tu définirais ton style musical ? Ton univers peut, par exemple, rappeler celui de Tom Misch.
Moogisha : On me parle tout le temps de lui. Pour mon style, c’est pertinent d’en parler maintenant parce que je suis en train d’y réfléchir. je me rends compte que, artistiquement, je pensais me connaître, mais, en fait, pas du tout. Je sais qu’il y a des choses que je sais faire, des choses auxquelles les gens m’associent, mais je me rends compte qu’il y a beaucoup de choses que j’aime faire, beaucoup de choses que j’aime explorer. Pour décrire ma musique, les mots clés que j’emploierais sont aérien, planant, mélodique, profond, rythmé… mais je ne mettrais pas un style dessus. Je parlerais plutôt en termes d’émotions, de sonorités. Après, le truc qui lie tout ça, c’est la guitare. Dès que les gens entendent un morceau à moi, ils ne vont peut-être pas reconnaître au début mais, une fois que la guitare arrive, là, ils vont savoir que c’est Moogisha.
Pour Tom Misch, c’est sûr que c’est un artiste qui m’a beaucoup influencé. C’était la première fois que j’entendais un mec qui utilisais sa guitare électrique comme un Jimmy Hendrix, un Jimmy Page dans un style hip-hop et jazz. D’habitude, c’est plus un instrument aux connotations rock, au métal. Pour moi, c’était vraiment une énorme claque. Ce qui est paradoxal, c’est qu’avec lui, un mec qui fait de la guitare, j’ai vraiment commencé à aimer le hip-hop. Il m’a lancé dans un style pour lequel je n’avais pas beaucoup d’affinités au départ. Au-delà du fait qu’il m’inspirait musicalement, il m’a aussi fait découvrir tout un univers très varié. Je pense que c’est notamment grâce à lui que Every Road est ce qu’il est aujourd’hui.
LVP : À part lui, quels sont d’autres artiste qui t’inspirent ?
Moogisha : J’aime aussi beaucoup John Mayer, Parcels, que j’ai vus à l’Ancienne Belgique récemment, meilleur concert de ma vie! Il y a aussi Mansur Brown qui a un son qui, selon moi, sort du futur. Je n’ai jamais rien entendu de pareil. En dernier je citerais Antoine X. C’est un guitariste qui est plutôt actif sur Instagram. Il n’a pas un énorme compte mais il fait plutôt des covers de morceaux connus comme ceux de Damso ou Roméo Elvis. Je l’ai découvert parce que ces rappeurs commençaient à repartager ce qu’il fait. Lui aussi m’inspire énormément.
LVP : Est-ce que c’est à cause de ces influences assez variées que ton premier EP, Every Road, est composé de 4 morceaux très différents ?
Moogisha : Absolument. Je ne voulais pas d’un projet où tous les morceaux sonnent comme Every Road, ou tous les morceaux sonnent comme le titre Kunta. Je sais que certains artistes aiment se créer une identité artistique très forte en ne travaillant qu’un type de sonorité mais, moi, je fais plutôt partie des artistes qui essaient d’explorer. Je pense que le fait d’avoir eu plusieurs influences, d’avoir écouté plusieurs genres, ça m’a permis de me dire “je ne veux pas faire que ça, ou que ça“.
LVP : Tu as mentionné Kunta, est-ce que tu peux nous raconter un peu l’histoire de ce morceau?
Moogisha : À la base, cet EP, il ne devait pas être ce qu’il est aujourd’hui. Sur les 4 titres qui sont sur le projet, seuls 2 étaient prévus, Every Road et Learning To Fly. I took too long, le featuring, j’ai décidé de le mettre dans l’EP un mois avant sa sortie. Kunta est venu en dernier. Je me suis demandé ce qu’il manquait à ce projet pour que, selon mes termes, il soit abouti. J’ai pensé que, le style Afro qu’on retrouve dans ce morceau, c’est quelque chose que je n’avait jamais osé faire dans le sens où je n’en avais jamais beaucoup écouté. Je ne me sentais pas la confiance pour le faire. J’ai vu ce titre comme un challenge. Puisque je n’étais pas tout à fait sûr de moi, j’ai demandé de l’aide à un ami producteur, JCM, qui est très talentueux. Je lui ai fait une boucle de guitare, il a ajouté de la basse, une batterie, puis, au fur et à mesure de la création du morceau, on s’est demandé ce qu’il manquait pour le sublimer, le rendre encore plus riche. C’est là qu’on a eu l’idée de faire appel à un ami saxophoniste, Gaspard. C’est comme ça que ce morceau est né.
LVP : C’est important pour toi de t’entourer de gens qui vont venir nourrir tes projets?
Moogisha : J’aime en rester le moteur principal et façonner les choses à ma façon. Par contre, je me rends compte que d’autres peuvent ajouter des choses à ma musique auxquelles je ne penserais peut-être pas. Il arrive que je n’aime pas, il arrive que j’aime bien, mais ce sont des propositions intéressantes. Ils vont m’inspirer dans mon processus créatif. C’est deux choses complètement différentes d’être seul dans sa chambre avec son instrument et d’être avec quelqu’un qui va commencer à jouer dans d’autres types de sonorités qui vont t’inspirer. Dans ce cas-là, c’est un cercle vertueux qui se crée. C’est ça qui me plaît dans la collaboration, je n’y vois qu’un aspect positif.
LVP : Même chose pour les featurings ? Comment est-ce que tu t’es retrouvé à travailler avec Dalliance sur I took too long ?
Moogisha : J’étais en pleine élaboration de mon projet et j’avais déjà ce que je pensais être, à l’époque, mes 4 titres. Puis, un jour, elle m’envoie un message sur Instagram et elle me dit “ça fait longtemps que je n’ai plus fait de la musique, tu es un musicien avec qui j’aime bien travailler, est-ce que ça te dirait qu’on fasse, un jour, une petite session studio ensemble ?“. je lui ai dit oui parce que c’était une amie mais aussi parce que je suis toujours partant quand il s’agit de faire de la musique. Elle est venue au studio avec une idée de maquette. elle avait joué quelques accords sur son piano et elle avait enregistré sa voix. Directement, en entendant le truc, je me suis dit “on va mettre plus de piano par dessus, une batterie, une guitare, une basse, quelques effets, des violons” et le morceau a été fait en quelques heures. Moi, ça, ça m’arrive rarement. En deux heures, c’était bouclé. Ce jour-là, on était tous·tes les deux scotché·es. Après ça, je n’avais pas envie d’attendre de le sortir plus tard, je ne voulais pas attendre le prochain projet parce que, sinon, j’allais le laisser dans le tiroir et perdre un peu toute l’excitation autour du morceau. Il a été enregistré mi-mai et il est sorti le 1er juin.
LVP : Est-ce que ça t’a donné envie de davantage collaborer avec d’autres artistes ?
Moogisha : Pas forcément de faire plus de featurings mais juste toujours plus de musique en général. Après, je sais que ce que j’ai fait avec Dalliance, ça n’arrive pas avec tout le monde. Je referai des collabs mais pas avec une personne du même univers. Je pourrais travailler avec un rappeur la prochaine fois, par exemple.
LVP : Justement, quels sont tes projets à venir ?
Mooghisha : Pour le moment, j’ai deux projets liés à la musique. L’un est un peu plus personnel, l’autre est un peu plus professionnel, dans le sens où il va être dévoilé au grand public. Si vous regardez sur mon Spotify, mon EP s’appelle maintenant Every Road Vol. 1. Ça laisse présager un volume 2. Ce deuxième projet sera une extension du premier. Je vais continuer à explorer des sonorités et des types de morceaux différents. Je suis très impatient, très excité, même, parce que j’ai vraiment foi en ce projet et, entre temps, j’ai continué à faire des progrès. Je suis de plus en plus satisfait de ce que j’arrive à créer et de plus en plus décomplexé par rapport à mon art. Pour le projet personne, c’est tout simplement de continuer à m’améliorer musicalement, travailler de nouveaux concepts à la guitare et explorer de nouvelles approches.
Imagine Mercredi Adams qui écoute Abba très fort dans son bain.