“Des choses à tirer de ce format particulier” Cédric Cheminaud dresse le bilan de La Magnifique Society, premier et dernier festival assis
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Auteur·ice : Victor Houillon
13/07/2021

“Des choses à tirer de ce format particulier” Cédric Cheminaud dresse le bilan de La Magnifique Society, premier et dernier festival assis

On avait rencontré Cédric Cheminaud, directeur de La Magnifique Society, en mars dernier pour discuter de sa volonté de maintenir le festival contre vents et marées (littéralement), mais aussi et surtout contre des mesures gouvernementales pas toujours très lisibles. Quelques mois après, force est de constater que lui et toute l’équipe ont tenu parole pour notre plus grand bonheur. Quelle allégresse que de retrouver à nouveau les moments de partage entre festivaliers. Au coeur du Parc de Champagne, on a retrouvé un personnage aussi bonhomique que soulagé. On en a profité pour tirer avec lui le bilan de cette édition forcément particulière, “hyper compliquée“, mais franchement réussie et loin d’être inintéressante.

La Vague Parallèle : Hello Cédric. Quel plaisir d’enfin revivre un festival. Comment vas-tu ?

Cédric Cheminaud : Ça commence à aller mieux (rires). On reçoit énormément d’ondes positives. On a beaucoup bataillé depuis notre dernière rencontre, avec une tonne de galères. Encore une semaine avant le festival, ils ont de nouveau changé les règles. Ça a été une édition hyper compliquée. Ouvrir, c’est déjà une première victoire. Le public qui sourit, qui danse, c’est un pari gagné. Le plus dur est fait.

Ouvrir, c’est déjà une première victoire. Le public qui sourit, qui danse, c’est un pari gagné.

LVP : C’est vrai que, par rapport à notre dernière conversation, tout a été à revoir.

CC : Il n’y avait plus rien de bon. On a tout refait, repensé toute l’implantation. Mais je ne voulais pas faire ce festival juste pour le principe, avec une scène et des chaises. Il fallait retrouver l’esprit de La Magnifique Society. La convivialité, plusieurs scènes, de la découverte. Forcément, on a dû repartir à zéro en termes de programmation, axée sur les groupes français qui sonnaient Magnifique Society. Quand je vois des gens qui sont venus voir Soso Maness et qui me disent avoir adoré Last Train, pari gagné. On retrouve aussi des éléments qui nous sont chers comme les ateliers de La Petite Society. Il y a de la fierté dans l’équipe. Chez les artistes aussi, que le format assis pouvait perturber.

 

LVP : En effet, vous êtes le premier festival assis…

CC : Le premier et dernier festival assis (rires) ! J’espère qu’on restera le dernier.

On aurait eu trop de regrets de ne pas aller au bout.

LVP : Comment avez-vous envisagé cette logistique ?

CC : Je vais être honnête : une semaine avant le festival, j’ai voulu tout arrêter. Les annonces autorisant les concerts debout le 30 juin, alors que plusieurs festivals avaient prévenu le gouvernement qu’ils se tenaient à partir du 25 (La Magnifique Society, donc, mais aussi notamment le Printemps de Bourges), je me suis dit que ça n’avait plus de sens. Assis, distancié, couvre-feu à 23h… Ça m’a saoulé (rires). Quelque part, ça voulait dire qu’on avait perdu. Finalement, je me suis dit qu’on avait quand même tant bossé, il fallait le faire. On aurait eu trop de regrets de ne pas aller au bout, de s’arrêter à une semaine de l’échéance.

LVP : Et bravo à vous, c’est une vraie réussite. Ça a dû être un enfer logistique, non ?

CC : Oui, et il faut ajouter à ça qu’on a eu une tornade. Tu vois les troncs d’arbres, là ? Ils ont dû être abattus à cause des intempéries. On est arrivé sur le site mardi ou mercredi pour amener du matériel, et on a eu une vraie tornade samedi, avec les arbres qui volaient comme dans les films. On ne pouvait pas accéder au parc le dimanche matin. Donc dimanche perdu à déblayer. Lundi, orage. La préfecture nous a demandé d’évacuer le parc. Mardi, pareil. On a perdu deux jours. Incroyable (rires) !

LVP : En étant bluffé par l’organisation, le mobilier et le nombre de bénévoles, face à une jauge réduite, on s’est posé la question de savoir comment cela fonctionnait en termes de modèle économique.

CC : Concrètement, cette année, s’il n’y avait pas eu d’aides de l’état… On nous a annoncé qu’il y avait un fond spécifique qui passait par le Centre National de la Musique pour les festivals qui chercheraient à s’adapter. Effectivement, entre la jauge divisée par trois et le pass sanitaire qui a freiné les billetteries de tous les festivals, c’est à perte. Économiquement, sans être soutenu, on n’y serait pas allé car il y avait trop de risques. Le CNM prend en charge jusqu’à 85% du déficit éventuel. L’idée était donc de trouver le modèle économique avec le point de perte le moins risqué possible pour les 15% restants. On a atteint nos objectifs financiers pour ne pas mettre en péril les prochaines éditions.

LVP : La programmation a donc dû évoluer. En mars, tu nous disais avoir hâte de voir PNL, le duo qui ne sera finalement pas présent ce week-end.

CC : PNL, Herbie Hancock… Une semaine avant l’ouverture, on a encore perdu Seu Jorge. On était ici en train de déblayer des arbres, coup de fil de l’agent. Avec la situation sanitaire qui se complique au Brésil, ce n’était plus faisable pour lui de se rendre en France.

LVP : Parmi les artistes qui sont présents, il y en a qui t’ont mis une claque ou que tu as hâte de voir ce dimanche ?

CC : Last Train m’a beaucoup fait plaisir ! On les a appelés au pied levé, et ils ont accepté très vite. Le compagnon Vladimir Cauchemar, forcément aussi, on l’accompagne et l’emmène partout depuis le début. Il a retourné tout le monde, avec la cerise sur le gâteau d’avoir ce feat en direct avec Soso Maness. Un truc qui ne sera arrivé que ici. Hier, c’était magique. Et Yuksek aussi, avec qui on s’était quitté sur Elektricity (l’ancêtre de La Magnifique Society, ndlr) il y a plusieurs années. Il est revenu à la maison avec un beau clin d’oeil, en terminant son set avec It’s My House de Diana Ross. Pour aujourd’hui, Gystère est mon coup de coeur, il détonne.

https://www.youtube.com/watch?v=CMzHw7bMLMc&ab_channel=Generation2Malade-G2M

 

C’est une édition hors normes. Elle est particulière, elle aura existé et ne ressemblera à aucune autre édition. Mais tout le monde s’en souviendra.

LVP : D’habitude, La Magnifique Society est aussi l’occasion de découvrir des artistes du bout du monde, notamment via un partenariat avec la Corée du Sud. Comment t’es-tu adapté cette année ?

CC : Il ne reste pas beaucoup d’étrangers. On a tout de même réussi à remplacer Seu Jorge par Chico César, un artiste brésilien qui était déjà en France. On en aura au moins un (rires). C’est une édition hors normes. Elle est particulière, elle aura existé et ne ressemblera à aucune autre édition. Mais tout le monde s’en souviendra.

L’impression d’être à un grand mariage.

LVP : C’est sûr ! Au-delà des concerts, on se souviendra vraiment des moments de partage avec les festivaliers. On sentait vraiment que les gens étaient portés par l’euphorie d’être ensemble.

CC : C’était vraiment ça vendredi ! Les gens ont dansé le madison sur du Yuksek. On avait l’impression d’être à un grand mariage (rires). J’ai même vu une chenille. Ça nous conforte dans le fait d’avoir eu raison de tenir le choc.

LVP : Ce côté convivial, familial, chaleureux, se retrouve vraiment dans la manière dont tu crées ta programmation. Comment parviens-tu à restituer cette âme dans le festival ?

CC : On travaille la programmation à trois avec Christian Alex et Vivien Becle. On a beaucoup de connivences, un peu de divergences, mais c’est intéressant de se reposer sur chacun. Je suis ici depuis vingt ans, j’ai forcément une connivence avec les projets locaux via la Cartonnerie (SMAC rémoise dont il est le directeur, ndlr). Christian va aller chercher beaucoup plus loin avec ses réseaux, son expérience. Vivien, le plus jeune, va nous ramener des trucs auxquels on est moins attentif. De toutes ces frictions sort ce qui ressemble vraiment à ce qu’on est, ce qu’on veut.

 

En clair, puisque les règles sont ce qu’elles sont, on va essayer de les tenir au maximum. Après, dans la gestion des foules, il y a la règle et la réalité. À un moment donné, tu réfléchis en bénéfice / risque.

LVP : Le festival s’annonçait comme un festival assis. Petit à petit, les gens étaient debout près de leurs tables. Puis debout sur la pelouse. Dès le concert de Sébastien Tellier, il y avait plus de largesses, avec seulement trois mètres de gravier entre le public et la scène. Un no man’s land qui a définitivement cédé lors du concert de Philippe Katerine. Vous aviez mis en place des consignes particulières ?

CC : Oui. On avait des engagements avec la préfecture. En clair, puisque les règles sont ce qu’elles sont, on va essayer de les tenir au maximum. Après, dans la gestion des foules, il y a la règle et la réalité. À un moment donné, tu réfléchis en bénéfice / risque. Tous les gens sur le site sont vaccinés ou testés, donc tous négatifs. La règle est de les garder assis. Sauf que, quand tu as 2000 personnes qui ont décidé d’être debout, tu as plus de risques à vouloir les contenir assis qu’à gérer le fait qu’ils soient debout, encore une fois avec un risque sanitaire du fait du pass sanitaire. Les graviers, c’était la marge de manoeuvre qu’on s’était fixé. Si on la lâchait trop tôt dans l’après-midi, on n’avait plus de limites pour Soso Maness et Vladimir Cauchemar. Si ceux de devant venaient trop tôt au crash, ceux de derrière allaient monter sur les tables. C’est devenu un jeu, les gens restaient bon esprit, et on a fini par libérer le truc.

Va expliquer au public que dans trois jours, il pourra être debout, mais pas aujourd’hui. On n’a pas eu de dérogation officielle, mais il y a de la bienveillance de la part de tous.

LVP : Pour cette gestion-là, vous êtes en lien direct avec la préfecture de police ?

CC : Sur cette gestion-là, c’est notre responsabilité. Je suis en lien constant avec le directeur technique et la sécurité, et on gère. Je me positionne sur le haut, on voit très bien les mouvements de foule. C’est ma responsabilité de laisser les gens assis ou debout, et si la préfecture souhaite m’appeler, elle m’appellera. Mais ils n’ont pas appelé (rires). C’est qu’ils savent qu’un moment donné, ça n’a pas de sens. Va expliquer au public que dans trois jours, tu pourras être debout, mais pas aujourd’hui. C’est ce qu’on a tenté d’expliquer au gouvernement. Il y avait des protocoles échelonnés, avec un assouplissement progressif en mai, juin, juillet… D’un seul coup, nous passons des règles de mai à celles de septembre. Notre équipe s’est réunie, car ça devenait presque dangereux pour nous, avec ces tables et cette organisation prévue pour de l’assis. On leur a dit que soit on annulait, soit il fallait nous lâcher du lest. On n’a pas eu de dérogation officielle, mais il y a de la bienveillance de la part de tous.

Il y a des choses à tirer de ce format particulier.

LVP : Au final, on s’est fait la remarque que ce format de festival avec moins de monde, avec des tables, c’était tout de même bien agréable.

CC : Ah, j’en étais sûr ! Ça m’a bien énervé (rires). Les gens me disent “en fait, c’est cool, on dirait un concert privé“. Quand tu veux te poser, tu peux. Mais ne vous y habituez pas (rires). Blagues à part, je pense qu’effectivement, il y a des choses à tirer de ce format particulier. On travaille toujours sur plus de scènes, plus d’artistes. Mais finalement, travailler sur des zones où tu te relaxes, te retrouves entre potes un peu plus à l’écart du son, il va falloir qu’on y pense pour l’avenir. Ça peut être un plus dans l’expérience du festivalier.

 

LVP : Surtout, ça colle bien avec l’identité de La Magnifique Society et la scénographie du Parc de Champagne. C’était peut-être finalement une bonne manière de reprendre les festivals, plutôt que de se farcir un festival plus violent.

CC : C’est vrai, oui. Après, comme tu dis, je pense que le format même du festival, avec ce parc, fait que la pression redescend d’un coup. Le cadre te fait souffler. C’est aussi pour ça qu’on s’est lancés sur de l’assis. Je parle souvent de marqueurs d’un festival, ce qu’il fait ce qu’il est. On avait identifié un certain nombre d’éléments pour La Magnifique Society, et on savait qu’on n’avait pas besoin d’être tout le temps au taquet. Finalement, on avait ces moments apaisés dès la première édition en 2017, avec par exemple Parcels au coucher du soleil, où tu es posé, bien. Tu n’as pas forcément toujours besoin d’énergie pure. Ça rejoint la question sur la programmation. Christian et moi avons beaucoup mixé quand on était plus jeunes, on pense notre programmation comme un mix. Tu commences à la cool, puis tu montes en pression. On veut retrouver ça dans notre installation, entre endroits pour flâner et endroits pour se libérer.

LVP : C’est sûr. Merci encore à toi et à toute l’équipe.

CC : Et merci à vous, ça fait plaisir de voir que vous nous soutenez de manière très bienveillante. Prenez du bon temps, vous êtes de fiers ambassadeurs.

LVP : On l’a été jusque tard hier soir avec les bénévoles.

CC : Fiers, mais moins dignes (rires). Les bénévoles sont d’ailleurs vraiment incroyables. L’association Culture Mécanique avec laquelle on bosse a été prévenue tard, au mois d’avril seulement. D’habitude, on cale ça en décembre pour leur laisser le temps de fédérer des gens. Et là, 350 personnes malgré les règles qui bougent tout le temps, c’est fantastique. Un immense merci et bravo à eux.

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