| Photo : Zachary Michael
Arctic Monkeys résonne dans nos écouteurs autant que dans nos cœurs depuis des années, c’est indéniable. Qu’il s’agisse de nos déboires sentimentaux ou de nos crises d’adolescences, Alex Turner et ses trois compères ont toujours su trouver les mots justes. Arctic Monkeys est apparu dans la vie de bon nombre d’entre nous de manière très fracassante avec ses riffs de guitares et solos de batteries effrénés et a bien changé depuis. Il est temps maintenant pour le groupe de nous servir son dernier opus en date : The Car. Un album qui en ravira certain·es, et en énervera d’autres.
par Hugo Payen et Caroline Bertolini
L’ère des pogos, headbangings et guitares saturées semble bel et bien révolue pour les musiciens de Sheffield. Place aux cordes, à la sensualité et à la sobriété. Eh oui, pour son huitième album, le groupe explore toujours plus cette direction artistique vintage et langoureuse amorcée avec Tranquility Base Hotel & Casino. Une continuité qui ne nous surprend pas tant que ça, sachant que les prémisses de There Better Be A Mirrorball résonnait déjà dans les coulisses de leur tournée au Mexique il y a de ça près de trois ans.
Grand groupe, grand moyens, grande musique, c’est ce que le les arrangements de ce nouveau projet présagent. On y retrouve des productions ingénieuses magnifiées par un mix qui met l’emphase sur le dramatique de chaque instrument. De cette façon, chaque corde est méticuleusement dosée pour un effet poignant. Cette prédominance des cordes est d’autant plus étonnante pour un groupe qui s’est fait connaître avec des sons tels que I Bet You Look Good On The Dancefloor (Whatever People Say I Am, That’s What I Am Not) et Fluorescent Adolescent (Favorite Worst Nightmare)
Pour cet opus, Alex Turner, génie torturé de toute une génération, a encore imaginé un tableau dont la musicalité se veut à la fois triste et sexy. C’est d’ailleurs très symptomatique des chansons de crooners de l’époque qui ont toujours eu cette mélancolie sensuelle, cette diction assez lente qui emphase sur les débuts des mots pour se relâcher sur la fin de façon douce et délicate, laissant traîner chacun d’entre eux.
Pourtant, ce style se retrouve aux antipodes de ce que le groupe nous propose aujourd’hui. The Car mélange langueur et groove avec brio grâce à un travail sonore calé et émouvant. Ce dont la rédaction de La Vague Parallèle semble se mettre d’accord. Pour ce qui est de l’appréciation générale, chaque fan aura un avis différent. Si pour certaines personnes, le charisme de Turner a en effet perdu de sa superbe sur ce nouvel opus, pour d’autres, il mérite toujours d’être encensé. C’est pourquoi nous ne pouvions nous réduire à vous donner un seul avis sur cet album qui mérite beaucoup d’analyses différentes. Nous avons donc décidé de vous en servir deux.
Trop de crooning, tue le crooning (Caroline)
Aussi triste que cette affirmation puisse être, y compris pour nous-mêmes, l’album parait un peu trop anecdotique. Nous aurions voulu aimer cet opus aussi fort qu’on aime ce groupe et qu’on l’écoute en boucle depuis notre adolescence. Certain·es fans voudront seulement entendre leur avis consensuel sur le groupe et nous diront que l’album doit s’apprivoiser comme son prédécesseur. Le cas de Tranquillity Base Hotel & Casino est en réalité très différent : l’album faisait une scission évidente avec ce que le groupe avait pu faire et le plaçait sur un chemin bien plus “crooneresque”, langoureuse et cinématographique, ce qui n’avait pas fait l’unanimité chez les rock fans. Il était indéniable que cet opus délivrait une masterclass en tout point, principalement en termes de songwriting.
Pour ce qui est de The Car, les productions auraient pu le propulser sur la voie du grandiose. Mais ici, il nous semble que c’est la voix qui ne suit pas le rythme amené par la musique. Notre cher Alex Turner semble tout autant fatigué de sa diction répétitive et de son jeu de crooner langoureux que nous. Néanmoins, les fonds sonores sont diversifiés, ce qui aide à rentrer dans son jeu. Notamment sur Sculptures of Anything Goes qui est lourd d’instruments et si transcendant qu’il en devient notre titre préféré (et peut-être un des seuls). There Better Be A Mirrorball se veut infiniment vintage et deadly avec son synthé répétitif mélancolique et réconfortant à la fois. Petite mention pour l’écriture sur ce titre et sa première phrase : ‘Don’t get emotional, that ain’t like you’ (frissons). Ou encore The Car qui nous emporte dans un film dramatique en nous faisant ressentir le tourment émotionnel comme un doux poignard.
Pourtant, les paroles semblent dire la même chose, de la même façon. On dirait presque que la diction du chanteur est devenue la mélodie de toutes ses chansons. L’envie d’être le plus crooner des crooners a surpassé la capacité de proposer quelque chose d’intéressant sur la voix. Le chanteur semble suivre un prompteur qui l’emmène vers chaque phrase, l’empêchant de placer sa voix de façon à garder l’attention. C’est là qu’est la plus grande déception, la voix ne nous a pas permis d’écouter et de ressentir les paroles, ce qui a pour résultat de ne l’écouter qu’à moitié. Croyez-nous, écrire ces lignes nous font saigner des doigts.
On retiendra tout de même la deuxième moitié de l’album qui n’arbore pas les singles phares mais qui constitue un tout cohérent. On passe d’une chanson à l’autre de la façon la plus fluide et on découvre à chaque fois. Un univers sonore cinématographique s’en dégage, et c’est exactement ce que le groupe voulait amener, ce qui en fait un défi réussi. L’univers visuel, lui, se voit moins marquant aussi. On attendait un album qui nous mette dans une bulle esthétique comme à l’habitude des Britanniques, mais il manque d’une cohérence et d’un fil rouge qui nous rappellerait le sujet de l’album. Ce sont toutes ces petites choses qui font qu’on écoutera cet album avec nostalgie pour le groupe, mais qui n’en fera clairement pas le plus marquant de leur longue discographie, en tout cas à nos yeux.
Le même instinct, plus les mêmes (en)vies (Hugo)
Sans perdre un instant, les percussions chaloupées mélangées aux quelques notes de piano – nous rappelant sans vergogne là où nous avait laissé le groupe avec Tranquility Base Hotel & Casino – nous plongent au cœur de la machine. « Don’t get emotional, that ain’t like you » nous chante alors Turner sur le morceau introductif de ce nouvel album. Une introduction des plus introspectives, si l’on fait le parallèle à la direction musicale que prend le groupe depuis ses dernières années. Pour un grand nombre d’aficionados, l’énergie que déposait Turner dans son phrasé à l’ère Whatever People Say I Am, That’s What I’m Not n’y est plus, accentuant ici sa crooner attitude à l’excès. Pourtant, il nous faut nous rappeler ces morceaux comme Only Ones Who Know, Despair In The Departure Lounge ou Riot Van. Des titres datant tous d’avant 2010, vus comme de véritables petits ovnis à l’époque, mais qui nous offrent un premier aperçu d’un Arctic Monkeys langoureux et d’un Alex Turner laissant traîner sa voix. Les bases de ce que le groupe arrive à faire aujourd’hui étaient déjà sous nos yeux. Nous aimerions donc parler d’une évolution plus que d’un changement. Il expérimente de nouvelles sonorités, que ça nous plaise ou non.
Si l’on regarde cette évolution de plus près, AM marque définitivement un game changer comparé aux précédents. Celui-ci se voulait expérimental à sa manière, apportant de nouvelles sonorités et arrangements. Un album aujourd’hui au sommet des charts certes, mais un album arborant les prémisses de ce que l’on peut écouter du groupe aujourd’hui.
Avant AM, tout ce qu’on a réalisé résonne comme faisant partie d’une salle de répétition. Un endroit que l’on transposait directement au studio, sans vraiment réfléchir plus loin que ce qu’on avait sous la main. AM nous a permis d’en apprendre plus sur la vie au studio, et sur toutes les directions que ça pouvait nous apporter, que l’on pouvait prendre. – Alex Turner au micro de Zane Lowe (Apple)
Album après album, le groupe se réinvente, laissant place à l’émerveillement. Chaque opus représente une tranche de vie du groupe. Un moment empli d’envies artistiques et personnelles évoluant avec le temps. Eh oui, si vous trépigniez d’envie de vous remuer des heures durant sur des morceaux à l’allure rock d’I Bet You Look Good On The Dancefloor, The Car n’est pas l’album pour. Au même titre que Tranquility Base Hotel & Casino soit dit en passant. The Car est véritablement un album où l’émotion prédomine, laissant place à plus de lenteur. Rien de choquant à ce que Turner, dans sa lancée introspective, tente de nous envoûter avec ce nouveau phrasé longtemps expérimenté donc. Un phrasé plus cheesy selon certains, qui s’emboîte pourtant à merveille avec ces nouvelles histoires. Plus difficile de s’identifier et de trouver des repères sur ces nouveaux morceaux, pourtant c’est bien grâce à ça que The Car se voit un petit chef-d’œuvre. La plume poétique de Turner se détourne des clichés du genre et nous invite à l’analyse, à prendre le temps. Un storytelling méticuleux qui propulse le groupe dans un univers différent certes, mais toujours aussi triomphant. À titre d’exemples, nos petits coups de cœurs personnels que sont Big Ideas, Perfect Sens ou l’étonnant Mr Schwartz.
Une chose est sûre : The Car divise autant qu’il séduit. Sans réelle saveur pour certains, véritable chef-d’œuvre musical pour d’autre ; le nouvel album du groupe issu des ruelles sheffieldiennes marque indéniablement un nouveau tournant dans l’histoire d’Arctic Monkeys. À chaque rumeur de nouvel album, tout le monde s’attend à ce que le groupe reprenne là où il nous avait laissé précédemment. Pourtant, celui-ci ne cesse de nous surprendre. Il ose, expérimente et compose la musique qui le fait vibrer et ce, tout en mettant de côté ce que l’on peut en penser.
L’esprit d’Alex Turner emmène le groupe vers des univers musicaux visionnaires, mais il est possible qu’il se perde aussi dans l’intention. Que les fans soient perplexes ou non, il y aura toujours des gens pour apprécier leur musique et acheter des tickets pour venir voir leurs shows – malgré la difficulté de l’artiste à tenir un live ces derniers temps. Bref, on aime ou on aime pas, mais ça a le mérite de faire ressentir quelque chose.
C’est comme les Power Rangers, parfois on unit nos pouvoirs pour faire de plus grandes choses.