4 ans et demi après son 1er LP acts of rebellion, Ela Minus expulse DÍA. Expatriée à Londres, reine des synthétiseurs modulaires et spécialiste des punchlines steampunk, la Colombienne tente de se débarrasser de ses angoisses en nous les jetant à la figure et à la face du monde. 10 titres sans filtre qui font résonner la déchéance de la raison et l’avènement de la post-vérité dans nos corps et nos cœurs pour une mise à nu des doutes, des déchirements, des errements et des compositions de la musicienne de 34 ans.
Comme sur acts of rebellion, la chanteuse alterne entre l’anglais et l’espagnol. Les pistes instrumentales croisent les tracks qui s’incisent sur leurs propres couplets. DÍA suit, sans fard, la progression chaotique de l’artiste à la recherche de son identité dans toute son altérité. Les pistes s’enchaînent sans respiration et l’attrait pour la facilité d’une impossible mais fantasmée continuité y affronte une soif de rupture brutale et immédiate pour un album dont le sens ne se révèle que dans sa totalité.
Dans une démarche cinématographique aussi sérieuse que classique, ABRIR MONTE construit la scène, se l’approprie. 5 minutes d’introduction pour ébaucher le théâtre d’ombre et de lumière, espace sonore et mental dont les tentatives de maîtrise seront le fil rouge de l’album. Tout est en place. Ela Minus entame son chemin de croix, douloureux mais nécessaire processus pour espérer atteindre la résurrection, direction : le futur et les flammes.
Première étape : jeter un regard aussi lucide que possible sur son état, s’examiner, se disséquer. Difficile à l’ère des réseaux dont la puissance instantanée et dévorante transforme l’image que nous renvoient nos corps, transfigure nos propres pensées et brouille notre reflet dans le miroir. Verdict : BROKEN. La poursuite du cool ne s’avère qu’une course contre soi-même dont le joug dénie nos pensées et avec l’effondrement intérieur comme seule issue (“I’ve been a fool, acting all cool and now I’m broken”). Réaction : prière moderne et mise-à-jour des oraisons, mélange des époques et des genres ; invocation, à genoux, de la mère et des boucles de synthétiseurs modulaires : sursauts et rebonds. Ensuite : prolongation de la prise de conscience, identification de l’ennemi et mise en mouvement quasi-symphonique. Cible : IDOLS. Action : refus de prêter allégeance aux divinités apocryphes qui ont pris possession de nos vies, dont les charmes basaltiques infusent notre esprit et nos rêves. Risque : porosité entre notre conscience et le reste du monde, frontière instable; confusion et hiérarchie des luttes (“And I was busy trying to accept myself”), focus autocentré et brûlures superflues.
Résultat : IDK. Perdue entre les accords saturés et son propre écho, désorientée face aux multiples portes dont les destinations restent secrètes. (“How am I supposed to know which way to Go when I have never heard the word “no”?”). Parade : prise de recul, recherche d’un cadre, d’une structure et des savoirs infinis à portée de clic. Difficile exploit de funambule pour dissiper le doute éternel qui paralyse et éviter la chute dans une certitude absolue aux fondements situés et biaisés. Libation : distorsion de lourdes nappes de synthétiseurs et litanies morcelées en hommage aux illustres précurseur·euses qui ont ouvert la voie. Crainte : comment se dévoiler alors que son identité reste incertaine et mouvante ?
As I grow up, I will owe
All of my answers
To the ones before
And I will try to hold
All of your wisdom
As you hands turn cold
Jumping off into the blue
Washing off old news
Floating here
Réflexe : retour à la langue maternelle et dévoiement des outils. Transformation des signaux analogiques et filtration des ondes pour atteindre l’euphorie. Catharsis : QQQQ. Ela Minus brise les murs de son château de cristal. Pour ne plus tourner en rond, elle absout la mélodie lancinante qui renforçait les vertiges et transmute les boucles verbales en banger dansant. Alchimie : catalyse de l’énergie du désespoir i.e. brûler les tonnes de CO2 qui s’échappent des pipelines mondialisés pour animer les corps et les esprits en un méga-feu californien. Que crève le vieux monde. Limite : transe éphémère et descente apocalyptique.
Attitude : passer outre. Mot d’ordre : I WANT TO BE BETTER. Se recentrer, se heurter aux gens, fall in love, faire attention aux autres, puis à soi-même. S’ancrer, puiser son énergie dans les liaisons nucléaires pour libérer un kick (basique) et ses désirs (basiques). Progression : “Today is the first day of my life”. Direction : ONWARDS sur fond d’électro rétro des années 2000. Vibe un peu (daft) punk pour une résurrection révolutionnaire et volcanique dont la lave, qui craquèle l’écorce du Capitalocène, sera le seul moyen de s’émanciper du rythme destructeur de la méga-machine. Un pas après l’autre car “as long as you keep pedaling you won’t fall. And so I keep pedaling.”
Union : AND. Toujours pas d’accalmie ni d’interstice pour reprendre son souffle dans un monde qui s’effondre sur lui-même. Retrouver, voire atteindre tout court la paix ne se fera pas sans casse. En témoignent les impulsions toujours plus rapprochées et violentes, transposition dans le spectre sonore de la tension incrémentale qui l’habite. Mouvement : UPWARDS. Carburant : dévotion + care. Pour les autres mais d’abord pour soi-même cette fois-ci (“I’d love to save you but i’ve got to save myself first”). Cap : la surface. Manière : la tête haute et avec style pour calciner un nihilisme facile et de façade qui ne serait que le caprice d’une énième privilégiée. Ela Minus réduit l’obstacle en cendres.
Avènement : COMBAT. Climax de l’album, acmé de son évolution musicale et de sa pensée. Le spectre musical s’élargit et termine par la plus intense et poignante des pistes sans accélérer le BPM ni élever la voix. Étape : guérison accomplie, résurrection inutile et abandonnée. Frappée d’anathème ? Peu importe. État d’esprit : Tatakae. Volonté : “Parar hasta quemarlo to-do”.
Ela Minus a déjà souligné sa préférence pour les discussions techniques sur sa musique car il est “plus facile de parler de ces aspects : moins d’émotions, plus technique, noir et blanc, 0 et 1”. Pourtant, avec DÍA, ses émotions s’expriment crûment, avec autant de rudesse que de largesse, honnêtes jusqu’au bout des kicks. Un album thérapeutique ? Peut-être un peu. Une musique pour se remettre sur pied, bien les ancrer dans le sol et maintenir sa position dans la tempête ? Assurément. Après tout, la cendre réveille la vie.
Essaye de faire de ma surdité rythmique un atout.