| Photo : Paul-Louis Godier pour La Vague Parallèle lors du concert de Disiz à Genève en 2022
L’Ancienne Belgique est pleine à craquer, c’est l’agitation des grands soirs. Sur scène, quatre musicien·nes et un imposant escalier blanc. À travers le subtil jeu de fumée et de lumière, Disiz fait son apparition, tout en haut des marches, dos au public. Derrière lui, l’Ancienne Belgique a ses yeux rivés sur lui, elle semble subjuguée. Alors, lorsque Disiz bouge sa main avec l’élégance qui lui est propre, elle explose. Un geste de la main, il n’aura suffi que de ça. La soirée s’annonce belle.
Le chanteur se retourne, il découvre son public du soir. Le fond lumineux passe du bleu nuit à l’orange pastel. Dans son costume noir légèrement trop large pour lui, Disiz rayonne par sa simple présence. Toujours assis en haut de son escalier, son ombre est projetée par un faisceau lumineux. C’est sublime et Disiz le chante : « Retiens le beau, le vrai, le sublime ». Disiz était venu chanter L’Amour à Bruxelles. D’entrée de jeu, c’est Bruxelles qui lui a crié tout son amour. Il descend de l’escalier, arrive à hauteur de son public et reste sans voix face à l’ovation que lui fait l’Ancienne Belgique. Même quand on s’appelle Disiz et qu’on a plus de vingt ans de carrière, on est impressionné face à un tel accueil : « ok Bruxelles, ok, ok… ».
Si Disiz a choisi de conjuguer L’Amour au singulier au moment de nommer son album, c’est bien la pluralité des formes d’amour qui y sont racontées qui est l’essence et la puissance du projet. Lorsque Disiz et son band enchaînent Weekend lover, Poids lourd et Alléluia sur la scène de l’AB, ce constat se fait frappant. Au fond, L’Amour, c’est un peu tout ça. C’est autant ce Weekend lover qui chante avec détachement qu’il « la veut comme un chacal » que ce Poids Lourd qui « pense au suicide » après avoir « mis K.O l’amour ». L’Amour, c’est aussi le courage d’assumer sa vulnérabilité. En bas de son escalier blanc, Disiz se montre plus vulnérable que jamais. Il est à nouveau dos à son public, rappe en fixant son reflet et l’avoue : «avant d’sortir, c’était tout noir. Mais, quand t’es là, Allé-alléluia ».
Après avoir fait plaisir à ses fans les plus anciens en reprenant quelques chansons de Pacifique et en nous ayant donné un sacré coup de vieux en passage en nous faisant nous rendre compte que cet album a bientôt sept ans, Disiz revient à L’Amour. Et pour le coup, on voit clair dans son jeu, il semble n’avoir qu’une mission : nous mettre les larmes aux yeux. Première tentative avec Mode d’emploi, l’une des plus belles chansons de rupture de son répertoire.
Et j’ai pas, j’ai pas, j’ai pas le mode d’еmploi
Pour te garder encorе près de moi
Toi, tu as la vie devant toi, tu pourras l’faire sans moi
Mais, moi, la vie sans toi, j’ai pas le mode d’emploi
Vous ressortez de Mode d’emploi avec les yeux encore secs ? Impressionnant. Disiz vous offre un peu de répit, le temps de se rappeler que « la vie c’est chelou, wesh » sur Casino, de se dandiner sur Dandy OG et de jouer aux beaux garçons sur Beaugarçonne. Et là, alors qu’on ne s’y attende plus, deuxième round. Disiz descend dans la foule. Il est surélevé, la salle est presque entièrement plongée dans le noir, il n’y a plus qu’un faisceau de lumière pour faire briller le chanteur. Silence total, ses musiciens profitent aussi du spectacle, laissant Disiz interpréter le premier couplet de Qu’ils ont de la chance a cappella. Pendant un moment, on ne sait pas si on est à un concert ou au théâtre, tant l’interprétation de Disiz nous semble juste et puissante. D’une seule voix, le public le suit sur le refrain : « Bien sûr ils nous manquent et ils nous manqueront. Mais qu’ils ont de la chance d’avoir quitté ce monde ».
Pleurer et puis danser, voilà la force des grands concerts. On finira la soirée sur des notes plus légères : Cons’ de Love, Oh Madeleine et Rencontres. Finalement, la seule frustration qu’on peut ressentir en sortant du concert, c’est de ne pas avoir eu droit à toute la discographie de Disiz. Certain·es regretteront de ne pas avoir pu lâcher leurs meilleurs moves sur Auto-Dance, d’autres auraient voulu plonger dans la nostalgie de l’époque de Disiz la Peste. C’est le revers de la médaille d’une carrière plus vieille que certain·es spectateur·ices présent·es à l’Ancienne Belgique.
Plus de deux décennies de carrière mais Disiz n’a jamais sonné aussi actuel. Alors que sa tournée arrive à son terme, L’Amour s’inscrira sans aucun doute comme un chapitre marquant de sa discographie. Sur scène, l’album nous a semblé encore plus sublime. Une chose est sûre : du sommet de son escalier blanc à la chaleur intime du cœur de la foule, Disiz a offert à Bruxelles une déclaration d’amour qu’elle n’est pas prête d’oublier.
Le rap nous a sauvé la vie, il mérite d’être aux Beaux-arts