Si le MaMA Festival s’éloigne petit à petit, il n’en reste pas moins ancré dans nos esprits. Comme des talismans que nous aurions précieusement collectés, nous gardons en souvenir les images. Celles de la fête, des retrouvailles improvisées, des sourires, des concerts mais aussi des rencontres que nous avons faites. Parenthèse de drôlerie et de douceur dans cette course effrénée, la conversation avec Lou-Adriane Cassidy est sans nul doute l’un de nos moments préférés. Tout droit venue de Québec, la musicienne, consacrée depuis comme artiste de l’année au GAMIQ, nous a présenté son deuxième album Lou-Adriane Cassidy vous dit : bonsoir. Des récits intimes et complices qu’elle livre avec générosité et sincérité. C’est la fin du monde tous les jours, alors pourquoi se priver de la joie de la rencontrer ?
La Vague Parallèle : Hello Lou-Adriane !
Lou-Adriane Cassidy : Hallo !
LVP : On se rencontre à l’occasion de ton concert au MaMA Festival. Comment ça va ?
Lou-Adriane Cassidy : Ça va super bien ! Je suis très excitée. Je me sens en contrôle. Souvent les vitrines c’est plus stressant, les circonstances sont difficiles, les formations réduites, mais là j’ai tous mes musiciens et mon technicien son. Puis, on joue ce soir dans une salle. On a 45 minutes de live alors que souvent ce sont des petits 20 minutes par-ci, par-là, c’est un peu plus décousu. Donc, je suis très contente !
Lou-Adriane Cassidy au MaMA Festival © Alice Sevilla
LVP : Tu as sorti ton deuxième album Lou-Adriane Cassidy vous dit : Bonsoir en novembre 2021. Avec une année de recul, comment as-tu vécu cette sortie ?
Lou-Adriane Cassidy : Très bien ! C’est un album dont je suis encore fière maintenant. Je pense que toute mon expérience pour ce disque-là a été un peu de démentir celle du premier où je doutais beaucoup. Je croyais que c’était peut-être comme ça qu’on devait vivre le processus de création et de sortie. Alors qu’avec mon deuxième, c’est comme si je me sentais en contrôle. J’avais l’impression que l’écriture des chansons était finie. J’étais fière de comment elles sortaient, de l’enregistrement. J’assumais aussi ce que je disais, ce que je faisais avec ça. Puis j’ai pris aussi beaucoup de plaisir à tourner cette dernière année. Tout ça m’a prouvé que ça pouvait être positif et que ce n’est pas nécessairement douloureux (rires).
LVP : Ce n’est pas difficile de défendre des chansons qui ont été écrites il y a longtemps ?
Lou-Adriane Cassidy : Là non, mais ça dépend. Ce sont mes chansons les plus récentes, celles qui ont été terminées ou du moins sorties en dernier. Mais je crois qu’elles vont mieux vieillir que les premières pour lesquelles j’étais beaucoup plus jeune et où je me cherchais. Je ne savais pas vraiment où je voulais aller. J’ai l’impression de ressentir mon deuxième album presque comme un premier parce qu’il représente ce que je veux faire. Après, j’aimerais développer ça, l’améliorer, je veux me surprendre mais en tout cas, ça semble être la direction vers laquelle je veux aller.
LVP : Tes concerts sont connus pour être mémorables et surprendre par l’énergie que tu déploies. Quel rapport entretiens-tu avec la scène ?
Lou-Adriane Cassidy : Il y a eu une évolution dans mon rapport au live, notamment quand j’ai commencé à accompagner d’autres artistes parce que j’ai découvert une aisance et un plaisir sur scène que je ne réussissais pas à débloquer lorsque j’étais seule. Je pense que je me sentais un peu emprisonnée dans mon rôle d’interprète. Je reprenais des grandes chansons françaises. C’était un peu ça mon personnage musical. Puis quand j’ai commencé à accompagner Hubert Lenoir, Thierry Larose et Alex Burger, j’ai compris que j’étais super bien dans ce rôle-là : celui de la personne qui donne toute son énergie, qui entrevoit la scène comme un exutoire. Mon travail pour le deuxième album a été d’incorporer ça à ce que je faisais et que ce soit un doux mélange de tout ce que j’aime faire.
- Lou-Adriane Cassidy au MaMA Festival © Alice Sevilla
- Lou-Adriane Cassidy au MaMA Festival © Alice Sevilla
- Lou-Adriane Cassidy au MaMA Festival © Alice Sevilla
© Alice Sevilla
LVP : Tu penses que ça aurait été plus compliqué d’acquérir cette aisance scénique si tu n’avais pas accompagné d’autres artistes ?
Lou-Adriane Cassidy : Lorsque tu accompagnes un artiste, tu ne portes pas le poids du concert donc peut-être que ça laisse plus d’espace pour explorer. Par exemple, avec le spectacle d’Hubert Lenoir, j’ai découvert une énergie que je ne serais jamais allée chercher seule. Donc je crois que tourner avec d’autres artistes m’a ouvert à des styles musicaux et à des énergies de spectacle que je n’avais pas.
LVP : D’autant qu’Hubert Lenoir a finalement une énergie assez punk sur scène.
Lou-Adriane Cassidy : Oui, c’est ça. Je pense qu’explorer et aller au bout de ça, ça m’a donné confiance. Ça m’a fait comprendre que l’éventail de ce que je savais faire est beaucoup plus grand que ce que j’imaginais. C’est rassurant et ça donne aussi envie de pousser plus loin les choses.
LVP : Tu disais qu’aujourd’hui vous êtes en équipe complète. Quelle est votre configuration sur scène ?
Lou-Adriane Cassidy : On est 5 sur scène. C’est un band classique, c’est-à-dire : batterie, basse, clavier, guitare et moi au chant et parfois à la guitare.
LVP : Ce sont des personnes avec qui tu as l’habitude de jouer ?
Lou-Adriane Cassidy : Oui. Enfin, la collaboration avec Thierry Larose à la guitare est plus récente. C’est un artiste québécois qui écrit ses chansons et avec qui je tourne. Nous sommes amis. Lui, Alexandre Martel qui est à la basse et moi formons un trio. On travaille et on est toujours ensemble. Donc c’est un peu la famille, même si ça fait moins longtemps. Les autres jouent avec moi depuis que j’ai 18 ans, ils m’ont vraiment accompagnée.
LVP : C’était important pour toi d’être entourée de personnes familières pour défendre sur scène tes textes très intimes ?
Lou-Adriane Cassidy : Oui. Déjà juste pour la tournée. Il faut que tu sois accompagné·e de personnes que tu aimes bien et que tu connais parce que c’est une expérience vraiment intense. C’est beaucoup de route et d’attente donc juste pour ça, c’était important pour moi. Mais oui, être avec des gens en qui j’ai confiance et qui croyaient en moi quand je ne savais pas où j’allais, c’était essentiel. Ils ont toujours vu quelque chose dans mon travail. Le fait de me sentir plus en contrôle dans ce que je fais est récent, mais eux étaient là avant et m’ont toujours poussée. Ce sont également d’excellents musiciens, beaucoup plus vieux que moi, qui avaient déjà une carrière quand j’ai commencé à travailler avec eux et qui m’ont un peu prise sous leurs ailes. Je me sens très privilégiée.
LVP : Pour revenir à l’album, j’ai été particulièrement marquée par tes textes. Tu parles notamment de sexualité. On sent également un véritable lâcher-prise, du moins une certaine liberté. Comment as-tu envisagé l’écriture de ce deuxième album ?
Lou-Adriane Cassidy : Paradoxalement, je crois que j’ai réussi à être aussi intime parce que j’ai co-écrit les textes avec quelqu’un. Quand j’écris seule, on dirait que je n’arrive pas à aller aussi loin ou à mettre les mots. Lorsque je parle d’une chose trop intime ou trop émotive, j’ai l’impression que ce n’est pas intéressant, que je dis des banalités et que je n’arrive pas à prendre du recul sur cette intimité. Or c’est là où il se passe quelque chose d’intéressant. J’ai donc co-écrit les textes avec Alexandre Martel. On a vite trouvé une dynamique qui me permettait d’aller plus loin, d’essayer des choses parce que je savais que s’il y avait un truc moins bien dans ce que j’écrivais, il allait me ramener et vice versa. Donc oui, ça a été vraiment plaisant comme processus. Puis justement je pense que lorsqu’on aborde la sexualité dans les chansons, c’est souvent à travers le prisme de la séduction, du pouvoir. Ce que je peux comprendre et d’ailleurs je pense que ça apporte aussi quelque chose, mais j’ai essayé de montrer plusieurs aspects de la sexualité, dont ceux les plus confrontants comme les contradictions que l’on peut vivre même lorsqu’on se dit ou vit comme une femme libre et épanouie sexuellement. Je pense que tout le monde peut-être, et notamment les femmes, vivent ces paradoxes. Parfois, ça donne envie de ne pas être désirée ou l’inverse. J’avais envie de jouer avec toutes les dimensions de la sexualité.
LVP : À l’écoute de l’album, on cerne beaucoup d’humour dans l’écriture et la création. Je pense par exemple au morceau Bonsoir, qui clôture le disque. C’est un titre court, au piano, dans lequel tu as beaucoup de distance voire presque un soupçon de malice. C’était nécessaire pour toi de passer par l’humour ?
Lou-Adriane Cassidy : Oui. Avoir de la légèreté et du plaisir, ne pas trop se prendre au sérieux, c’est une des leçons de cet album. Je pense que quelquefois l’humour permet justement d’essayer des choses, de faire des petits clins d’œil mais aussi d’avoir des idées qui sont un peu stupides. Ça peut même ajouter de la profondeur à l’album. Peut-être qu’ainsi, on prend plus de risques et c’est important. Puis justement de prendre un peu ça à la légère car de toute façon, on n’a pas le contrôle sur le fait que ce soit bon ou pas, bien reçu ou non. Donc, tout ce qu’on peut faire c’est se faire plaisir et aller autant que possible au bout de nos idées. Une fois encore, je pense que c’est une des raisons qui font que je suis plus fière de cet album : le plaisir que j’ai eu à l’enregistrer.
LVP : Et ça se ressent ! Par ailleurs, l’album est très bien accueilli au Québec, or c’est un disque dans lequel tu te livres particulièrement. Est-ce que le fait que beaucoup de personnes accèdent à ton intimité a été difficile à vivre ?
Lou-Adriane Cassidy : Oui et non. Ça l’a été quand j’ai commencé. Ce n’est pas nécessairement la réception le problème. J’ai fait un peu de télévision au Québec puis l’été dernier mon succès public a un peu augmenté. À cause de l’image que je projette et du sujet de l’album, qui est justement intime et sexualisé, j’ai reçu des messages parfois négatifs ou quelquefois trop positifs. C’est plutôt ça qui a été difficile. Devoir naviguer avec ça, et la peur d’être mal interprétée. Aussi, sur scène je me mets à nu de plusieurs façons. Être confrontée au regard des autres, ça peut parfois être un petit peu trop intense. Et ça, ça m’a parfois fait douter, j’ai trouvé ça plus difficile. Mais en même temps, le retour des autres femmes et de toutes ces personnes me donnent quand même l’impression que ce que je fais est bien. Mais, je me suis demandé si c’était trop, si ça servait à quelque chose, je me suis remise en question.
LVP : C’est important qu’il y ait des artistes qui prennent la parole sur ces sujets, qui donnent accès à ça. Comme tu le disais, tu co-signes l’album avec Alexandre Martel mais aussi Simon Pedneault qui avait réalisé le précédent. Comment s’est passée cette collaboration ?
Lou-Adriane Cassidy : J’ai composé toutes les chansons et j’ai co-écrit les textes avec Alexandre. Souvent, on écrivait la chanson à la maison. Je faisais une petite maquette et ensuite on en faisait une autre un peu plus élaborée avec Simon, et on montait ça. D’ailleurs, sur l’album, il y a quelques morceaux de chansons qui sont encore des enregistrements de la maquette originale sur laquelle on a rajouté des pistes et qu’on a un peu modifiée. L’album final est un mélange entre la pré-production qu’on a faite tous les trois et l’ajout des musiciens. Finalement, ça s’est fait en beaucoup d’étapes.
LVP : C’est pour ça qu’il est construit de cette façon, avec des morceaux qui s’enchaînent directement.
Lou-Adriane Cassidy : Oui ! On voulait faire quelque chose de très cohérent. Comme l’album est super court, c’était important pour moi qu’il ne nous laisse pas trop sur notre faim. Je pense que c’est un album court mais dense. Je crois qu’à la fin, on a l’impression d’avoir vécu beaucoup de choses et d’avoir quand même un certain spectre musical et émotif. Je voulais qu’il se passe plein de choses, qu’on soit un peu surpris·es à certains moments et qu’il y ait plein de niveaux de lecture.
LVP : Tu viens de Québec. C’est une ville dans laquelle on trouve un véritable vivier musical. De nombreux artistes se fédèrent autour de lieux comme le Pantoum ou l’Ampli, on pense notamment à toi mais aussi à Hubert Lenoir, Philémon Cimon, Jérôme 50, etc. Est-ce que tu pourrais nous parler un peu de cette scène ? Quel rapport entretiens-tu avec ?
Lou-Adriane Cassidy : C’est vrai, il se passe quelque chose là-bas. Au Québec, on se parle beaucoup. On commence à le voir et à le sentir depuis peu, disons 5 ans, mais en réalité ça se prépare depuis 10 ans peut-être. Je pense que dans la ville de Québec, c’est très restreint musicalement. Toutes les personnes qui voulaient faire de la musique se sentaient obligées de déménager à Montréal. C’était comme ça. C’est ce que tu devais faire si tu voulais faire de la musique dans la vie. Néanmoins, certaines personnes ont pris la décision consciente de rester dans leur ville. Le Pantoum est tenu par deux gars qui ont commencé comme ça. Ils ont été illégaux pendant longtemps et ont fait un grand travail. Ils ont tout fait eux-mêmes. Ça s’est construit comme ça. Le lieu a 10 ans et maintenant ils ont l’appui de la ville, sont encensés mais pendant plusieurs années, ils devaient se battre constamment pour pouvoir continuer à faire ce qu’ils faisaient alors qu’ils ont eu un rôle central dans le développement de la musique à Québec. Je pense que vu que c’est plus petit, on est moins dispersés dans beaucoup d’endroits différents. Ça fait que plusieurs styles et plusieurs façons de travailler cohabitent, ce qui est très stimulant. J’ai l’impression que ça permet d’être exposé à un spectre plus large de musiques et d’artistes. Je suis fière d’être là et j’ai envie de rester dans la ville, de voir ce que les prochains artistes vont faire, et d’ajouter un peu de ma touche.
LVP : Donc tu exclus l’idée de déménager à Montréal ?
Lou-Adriane Cassidy : Oui. Je suis née à Québec. J’ai ensuite déménagé à Montréal pendant deux ans. Mais j’aime plus la ville de Québec. C’est chez moi. Puis, on se soutient entre artistes de la ville. C’est devenu une question d’identité. Je pense que Montréal c’est trop gros, ça n’aurait pas permis cette concentration. Et je suis fière de participer à ça.
LVP : Dans ton album, on trouve le morceau Bonjour. C’est une chanson de 29 secondes, un moment instrumental qui fait la part belle à une guitare lancinante et offre une pause dans l’album. C’est assez audacieux. Peux-tu nous parler un peu de ce morceau ? Est-ce que c’est une idée que tu avais déjà ou tu l’as ajouté à la fin ?
Lou-Adriane Cassidy : Je pense que j’ai tapoché mon piano et que je suis arrivée à cette mélodie-là. Puis, j’ai eu une révélation, une sorte d’éclat : je voulais absolument faire une chanson qui ressemblerait à l’introduction de Starmania (rires). Quand j’avais 14 ans, j’écoutais en boucle le disque de l’original de Starmania. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai eu une obsession. Là, j’avais envie que ce morceau sonne un peu comme l’introduction d’une comédie musicale seventies. C’est drôle que tu me parles de ça, on ne me parle jamais de ce morceau. C’est cool !
LVP : Pour finir, pourrais-tu nous partager l’un de tes coups de cœur dans la programmation du MaMA Festival ?
Lou-Adriane Cassidy : J’ai vu Bibi Club tout à l’heure. Ce sont des Québécois. J’ai adoré ! J’ai été super surprise. Ça m’a plus touchée que l’enregistrement. Ils sont deux et jouent avec des séquences. Je sais que c’est plus habituel en France mais au Québec, on en a un peu moins. Personnellement, j’aime moins les séquences que les trames mais là je ne sais pas, il y avait tellement de nuances ! J’ai été touchée. Et je trouve que les deux sont différents mais qu’ils se complètent. J’ai vraiment adoré ! Donc Bibi Club !
LVP : C’est une très bonne conclusion. Merci beaucoup Lou-Adriane pour ce moment !
Lou-Adriane Cassidy : Merci à toi !
Puisque “ce n’est qu’un au revoir”, il est désormais temps de se dire bonsoir et de se donner rendez-vous le 28 mars à la Boule Noire.
Le cœur grenadine et la déclaration facile, je passe mes journées les yeux rivés sur ma platine.