| Photos : Laura Collard pour La Vague Parallèle
Il est de ces évènements auxquels on se doit d’assister, ne serait-ce que pour la postérité. Pour certain·es, il s’agira du lancement dans la stratosphère d’une fusée avec, à son bord, un chien ou un milliardaire décérébré, pour d’autres, ce sera le passage d’une certaine blonde dans un stade de la région. De notre côté, on pense bien que le showcase de St. Vincent, à la Rotonde du Botanique, du 5 juin dernier entrera dans notre histoire personnelle comme un de ces moments qu’on raconte à nos petits-enfants.
“Omg OMG”. Nos notes de cette soirée s’ouvrent sur cette bouffée d’incrédulité. St. Vincent – Annie Clark, de son vrai nom – se produit ce soir à la Rotonde, recoin le plus intimiste du Botanique (de la place pour 300 personnes, pas plus), dans le cadre d’un showcase privé, au lendemain de sa date à De Roma, salle de concert anversoise. Incrédulité donc, d’abord parce qu’on en revient toujours pas trop de s’être incrusté·e à cette performance exceptionnelle organisée en partenariat avec trois médias flamands. Incrédulité aussi parce qu’on s’apprête à entendre All Born Screaming, dernier album de l’artiste américaine sorti le 26 avril dernier, en live. Incrédulité toujours parce que, quand elle débarque sur scène, St. Vincent est encore plus époustouflante que ce qu’on pensait (et nos attentes n’étaient pas maigres).
| Photo : Laura Collard
La musicienne est venue présenter All Born Screaming, septième opus inspiré, exaltant et d’une passion intense, presque visqueuse. St. Vincent entre en scène en bas résille, chemise blanche, mini-jupe et bottines à talons. La bouche fardée d’un mauve sombre, elle est venue brûler la ville. Son regard transperce la foule, suit tout le monde et personne comme une Joconde glam-rock alors qu’elle entame Flea, l’un des morceaux les plus remarquables de ce nouvel album. L’artiste y parle de puces qui hantent la chair sur une instrumentale entêtante – l’amour, après tout, ne se résumerait-il pas à une sorte de contamination bienheureuse ? Le public est en tout cas prêt à se laisser dévorer, scandant le “I got it, I got it” du refrain avec avidité.
En guise de récompense, St. Vincent enchaîne sur Fear The Future, titre issu de son génial cinquième album, Masseduction. Remanié à la sauce All Born Screaming, le morceau se fait plus impatient que dans sa version originale de 2017. Dans son look qui nous rappelle “l’autre mère” du dessin-animé Coraline, Annie Clark délivre une performance habitée, rend les battles de guitare à nouveau cool et commande la foule d’un air euphorique et intraîtable. On a un nouveau crush.
| Photo : Laura Collard
Sur scène, St. Vincent est une bombe d’impertinence. Avec 17 ans de carrière derrière elle (bien qu’on ne lui donne pas plus de 30 piges), l’artiste fait ce qu’elle veut : tire la langue, crache sur scène – Lorde sort de ce corps – et contorsionne ses mains dans une gestuelle sans pareille. Le tout, sans rien perdre de sa mystique. On aspire juste à, un jour, être ne serait-ce qu’un brin si naturellement cool en soirée. L’artiste joue Big Time Nothing, morceau de All Born Screaming à la cadence horlogère façon temps qui se décompose. Parce que qu’est-ce que le temps, finalement, si ce n’est une illusion ? Clark nous apprend d’ailleurs qu’elle a déjà joué à la Rotonde. C’était en 2007 et elle avait été payée en jetons boissons. En 2007, St. Vincent était donc déjà plus cool que tout le monde – nous compris·es, mais en même temps on n’avait que sept ans.
Alors qu’on est occupé·e à se demander si on a plutôt envie d’être elle ou d’être avec elle, l’Américaine enchaîne avec Sweetest Fruit. Titre au gimmick si bon qu’on en crèverait, St. Vincent l’interprète avec une ferveur communicative. Elle kiffe, ça se voit. Tout le showcase durant, l’artiste saute partout, headbang de toutes ses forces et sourit de toutes ses dents. On se dit que ça faisait longtemps qu’on n’avait plus vu quelqu’un·e prendre tant son pied sur scène.
| Photo : Laura Collard
Dans un nouvel élan de nostalgie, St. Vincent entame ensuite Cheerleader, chanson issue de son album Strange Mercy. Sorti il y a 13 ans, le titre se fait exaltant dans sa version live 2024, un adjectif qui colle décidément à la peau de l’artiste. Cette dernière tend sa guitare (l’une d’entre elles, on ne compte plus les changements d’instrument) à un mec du premier rang qui conclut le morceau d’un solo strident. Annie Clark retourne à son dernier opus avec Broken Man, dont les riffs évoquent une locomotive steampunk. “Who the hell do you think I am ?“, crie l’artiste en descendant dans la foule, avant d’enrouler ses jambes autour d’un mec du public – au karma manifestement excellent – pour mieux clamer le refrain. À sa question, on a donc une réponse : she’s the most iconic b*tch who ever lived.
La fièvre générale de la Rotonde retombée, St. Vincent retourne finalement sur scène, pour interpréter All Born Screaming, ultime morceau de l’album éponyme. Le titre commence sur de joyeuses notes de guitare pour terminer sur des chœurs hantés à perte de vue. À la regarder scander en boucle ses paroles, on se dit que certain·es artistes auront beau s’offrir à nous, ils·elles nous resteront malgré tout inconnu·es. Comme s’ils·elles ne faisaient que se débarrasser d’une couche de peau pour en découvrir une autre à chaque nouvel opus. St. Vincent est de ces artistes, à la fois crue et impénétrable.
Imagine Mercredi Adams qui écoute Abba très fort dans son bain.