ELOI se décharge dans un Dernier Orage
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Auteur·ice : Arotiana Razafimanantsoa
07/11/2023

ELOI se décharge dans un Dernier Orage

| Photo : Olivia Schenker

Petit coup d’oeil par la fenêtre : le ciel est gris… Va-t-il pleuvoir aujourd’hui ? C’est difficile de savoir si on l’aime ou pas cette saison. D’un côté, on regrette souvent de ne pas avoir pris notre parapluie parce que la météo nous a (une fois de plus) berné·es. D’un autre, un peu de fraîcheur après un été anormalement chaud ne peut que nous faire du bien. D’autant plus qu’on nous a dit à l’oreillette que cet automne on allait se prendre un Dernier Orage qui allait littéralement nous électrifier. On était prêt·es à braver toute la quantité de pluie possible pour rencontrer l’initiatrice de ce Dernier Orage qui marque la saison : ELOI.

Une musique indéfinissable

Il y a un peu moins de deux ans, ELOI a fait sensation avec sa reprise phénoménale d’un titre de Wejdene qui, disons-le, a fait plus de 32 millions d’écoutes sur Spotify seulement. « Wejdene est trop forte parce que la mélodie est modulable de plein de manières. Tu peux la prendre et en faire quelque chose de totalement différent et ça restera quand même une mélodie super belle. » Avec jtm de ouf, ELOI s’était lancé un défi après avoir entendu les remix qui ont été faits dans les milieux musicaux underground. Après quoi, elle a sorti son deuxième EP, Pyrale.

À partir de ce moment, notamment du fait des samples qu’elle a utilisés, les rythmes électroniques dans sa musique et sa prise de risque, elle a vite été associée à des mouvements différents : l’hyperpop – un style très défini et complexe à la fois -, le gabber – sous-genre de la techno hardcore – et on en passe. Mais qui d’autre pourrait mieux décrire sa musique qu’ELOI elle-même ?

« Je pense que c’est hybride, vers la pop rock électronique. C’est marrant parce que j’ai vu ça en déposant mes sons à la SACEM. Ils te proposent ça dans le déroulant et je me suis dit que c’est assez proche. Je trouve que ma musique est inspirée de musiques très posées. C’est le fait de faire un patchwork entre tous ces genres musicaux qui en fait un nouveau. On ne peut pas vraiment la définir. »

Le 27 octobre, ELOI a sorti son tout premier album, Dernier Orage, qui, au-delà d’être un album musical, est une véritable expérimentation non seulement pour elle mais aussi pour nous en tant qu’auditeur·rices. « Dans l’album, j’ai autant de guitare électrique que de la pop, de la synthpop ou même de la drum and bass. C’est plutôt moi dans ce que j’écris. Et ce que je raconte met un vernis qui unifie les sons entre eux. »

ELOI compose tout quasiment toute seule. En écoutant son album et ses deux précédents EPs, on comprend qu’elle a sa façon de créer des mélodies. « J’aime beaucoup les synthés et les arpèges. La façon dont je les mets en place n’est pas trop définissable et c’est ce que j’essaie de faire pour ne pas me coincer. C’est pour ça que je ne me suis pas dit que je devais faire un Soleil Mort bis. Il fallait que je me force, que j’aie le courage d’aller vers des choses inattendues, de prendre le risque, que ça plaise ou pas. » Et même dans son écriture et son interprétation, elle se laisse de la liberté pour pouvoir faire de nouvelles choses.

Quand intensité se mêle à plaisir

Lorsqu’on lui a demandé au tout début de notre rencontre comment ça se passait pour elle, ELOI nous a tout de suite répondu : « c’est assez intense ». Lors des prémices de Dernier Orage, elle finissait en même temps ses études aux Beaux-Arts de Paris, une étape cruciale qui lui a permis d’avoir un large panel de compétences pour créer un projet artistique de A à Z.

« J’ai plutôt un cursus d’arts visuels mais je faisais de la musique depuis plus longtemps. Je me rends compte que ça a une valeur précieuse dans mon projet de pouvoir prendre parti sur tous les plans. Il y a plusieurs médias pour exprimer un projet musical et dialoguer autour avec le public. C’est la première fois que j’ai un projet aussi complet qui donne matière à construire toute une identité visuelle. » Elle a d’ailleurs réalisé un court métrage en 4 épisodes pour communiquer sur la sortie de l’album. Dans un épisode, elle raconte par exemple sa rencontre avec Mia, sa guitariste.

 

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On ne te conseille pas forcément de faire un album aussi tôt.

Chaque artiste a son processus créatif, que ce soit construire un album en partant de zéro, composer sans se donner l’objectif de construire tout un projet, reprendre des morceaux non aboutis… Dans le cas d’ELOI, elle ne savait pas quelle forme elle allait donner à ce projet. « J’avais déjà des morceaux que j’avais composés depuis un moment. Plus j’ai voulu en ajouter, plus ça a évolué comme un album. Ça n’a pas été pensé comme tel, ça s’est fait tout seul. Ça n’a pas été simple de le déclarer parce qu’on ne te conseille pas forcément de faire un album aussi tôt. Il fallait que je me mette des œillères. Dans le métier on te dit qu’il faut peut-être faire une mixtape, un LP, mais je ne vois pas l’intérêt de mettre une étiquette pour édulcorer le projet et ne pas tout simplement dire que c’est un album. J’ai tranché : ce n’est pas un EP, ce n’est pas un LP, c’est un album. »

La conception d’un projet d’une telle ampleur est intense, comme le dit ELOI, mais l’excitation d’arriver à la fin et le plaisir qu’on éprouve durant tout le processus sont sources de motivation. « C’était frustrant que les gens n’écoutent que ce que j’avais déjà sorti pendant que moi j’avais toutes ces chansons en tête. C’est un moteur d’avoir hâte que les gens découvrent là où tu vas. C’est entre le plaisir et le travail acharné. Il y a plein de moments de doute et à la fois c’est ce qui te permet d’avancer. Et aussi je suis trop contente de faire ce que je fais et d’avoir la chance de le faire. »

On a aussi besoin de prendre du temps pour soi pour libérer son esprit. Logique, c’est nécessaire pour un·e artiste pour pouvoir créer. Et pourtant entre la promotion, le tournage des clips, les shootings – et la liste est non exhaustive -, est-ce que le mot intense est réellement suffisant ?

« Faire de la production et écrire le texte ce n’est pas ce qui m’a pris le plus de temps dans la création de l’album. C’est plutôt l’arrangement, le mix, l’ordre des tracks, la cover, réfléchir à ma DA, trouver des références… Il y a aussi toute la partie performance live à côté et tout ça prend énormément de place. » Mais le faire dans un environnement bienveillant ne peut qu’augmenter le plaisir. « Je suis dans des cadres où je suis avec mes potes et je me sens bien. On est comme des scientifiques du son à chercher la petite bête. Tu vas tellement loin qu’au bout d’un moment quand t’as le résultat t’es trop content de t’être cassé la tête pour ça. »

Un Dernier Orage avant d’aller plus loin

Vu que mes textes et ce que je raconte sont très intimes, forcément c’est parfois difficile de les professionnaliser.

Lorsqu’on écoute Dernier Orage, on se glisse d’une certaine manière dans la bulle d’ELOI et ça a déjà été le cas avec son premier EP Acédia. « Je me retrouve aujourd’hui dans ce que je raconte dans Acédia, j’ai juste grandi. Acédia prend sens avec cet album. J’ai un bagage émotionnel et je puise toujours un peu dans le même. J’ai été tellement honnête sur Acédia que Pyrale était plus en parallèle de ce que je raconte d’habitude. jtm de ouf c’était un bonus pour moi mais ça a autant de sens que le reste. C’est juste qu’Acédia et le premier album sont ultra intimes comme projets. »

Dans ses textes, on sent qu’ELOI augmente la cadence avec Dernier Orage en faisant souvent référence à la vitesse, tout en laissant sa peur derrière elle. J’ai plus peur quand je regarde derrière (Orion). J’ai plus peur d’avant (On Fait du Rock). Quand je te regardais danser je me suis dit que j’aurais plus jamais peur (37°2 Le Soir).

« Toutes les émotions et tous les passages ont de la valeur dans ce qu’on devient. C’est pour ça qu’il ne faut pas essayer de raser la table, les choses qu’on a vécues. Il ne faut pas avoir peur de ce qu’on a été, de ce qu’on est et de ce qu’on veut devenir et de pouvoir les mettre sur le même plan. »

L’univers d’ELOI inclut des métaphores autour du feu et des éléments naturels de façon générale. “C’est la musique des mots”, dit-elle. C’est sa façon d’exprimer ses émotions et de raconter son histoire. « Il y a un truc pur dans les éléments, la météo. Tu ne peux pas contrôler ces choses-là. Que ce soit le soleil, la pluie, l’orage, le feu, ce sont des choses tellement plus fortes que nous. J’arrive bien à parler de mes émotions à travers ça. » Le titre de l’album Dernier Orage prend donc tout son sens. « Je voulais imager la dernière grosse décharge. » Une dernière décharge d’émotions avant de tout faire partir dans le mistral comme elle le dit dans Aquarius.

Et ensuite, que se passe-t-il après ce Dernier Orage ?

« J’ai hâte de créer le show de l’année prochaine, j’ai hâte de faire La Cigale ! J’adore la scène, c’est un espace de liberté de ouf, mais aussi tout ce qu’il y a autour comme partir avec mes potes en van, jouer nos trucs, prendre des risques, se mettre sur une scène et raconter des histoires, c’est super beau. » Et pour l’avoir vécu, on peut vous dire qu’ELOI sait mettre le feu – si on reste sur cette sémantique – sur scène.

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