Else : La cour des grands de l’électro
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
20/09/2019

Else : La cour des grands de l’électro

C’est l’histoire intemporelle de deux jeunes passionnés qui dépassent les maîtres. Quelques années seulement pour refaçonner les structures intriquées de l’électro, Yanis Hadjar et Louis-Gabriel Gonzalez vont même le marier avec la volupté de l’ambient pour créer quelque chose de différent, something Else. Si on s’était déjà beaucoup plu à se perdre dans l’ardeur de Sonora ou la nébulosité de You, la première partie de leur nouveau projet, Sequence, nous apporte un mélange de ce qui fait la force du duo toulousain : de la douceur virulente, de la brutalité délicate. Un jeu de paradoxes qui transcende l’œuvre pour narrer cette histoire sans paroles, où rythmes exaltants et kicks chaloupés nous racontent ces choses intraduisibles, que la seule force des mots ne pourrait appréhender. Des compositions complètes et complexes que l’absence de langage rend profondément abstraites, nous rendant activement participatifs dans cette écoute expérimentale, afin d’interpréter personnellement ces notes porteuses d’un sens qu’il nous est libre de définir. Atmosphères et états d’âmes, à la manière d’un The Blaze ou d’un Rone, Else vient mêler art, poésie et électro pour un second EP des plus remarquables. 

On vous parlait de contrastes, et qu’il est beau d’en voir. Quoi de plus beau que des extrêmes qui s’enlacent ? Quoi de plus symbolique que les larmes d’un voyou de cité ? C’est tout d’abord par des visuels léchés que les visionnaires du collectif L’Ordre, véritable famille de cœur des musiciens, transmettent les messages et les émotions de leur musique. Avec les talentueux Adrien Lagier et Ousmane Ly  (présents sur les visuels de DamsoOrelsan ou encore Lomepal, pour ne citer qu’eux) aux manettes des deux premiers visuels accompagnant l’EP, le duo a pu s’appuyer sur des tableaux somptueux, emprunts d’une sensibilité toute particulière pour galvaniser l’intensité déjà conséquente de leurs mélodies. Ainsi, Night Toughts suit la routine houleuse de cette jeunesse compliquée, l’écorchée vive dont le quotidien se voit rythmé par un banditisme récréatif ou une violence brûlante. Mais c’est là que les paradoxes s’amusent avec nos sens, que les plans rapprochés sur les émotions du protagoniste principal brouillent cette aura autodestructrice, que les sourires candides de cette bande de jeunes à l’enfance éternelle nous fait oublier le sang, les poings, le mal. Une idée qui se retrouve dans la mélodie elle-même du morceau, avec cette harpe délicate et chaleureuse qui se frotte à une explosion plus froide, voire métallique, de beats lancinants. Un joli rapport de nuances que la pochette supposait déjà : cette fleur, symbole de vitalité et de douceur, qui se voit pétrifiée dans la fatalité et l’immuable de la glace, froide et insipide. Le message est transmis, l’aspect poétique du projet est une franche réussite, troublante et percutante.

Le reste du disque se compose de quatre autres pépites, explorant des facettes distinctes de ce que l’électro permet de transmettre. Origine et Séquence jouent sur la redondance d’une houle mélodique, les notes s’élèvent et s’adoucissent sans cesse, pour nous emporter dans un torrent d’émotions diverses. Des morceaux qui bouleversent mais qui jamais ne déstabilisent : si les rythmes s’emballent parfois, la structure n’en demeure pas moins palpable et l’écoute est confortable, agréable et envoûtante. Sur Twelve, les deux producteurs se rattachent à leurs débuts. Un bond dans le passé de six ans, alors qu’ils partageaient leur premier travail, Pacific, l’époque où la fibre de leur registre penchait du côté de la funk et de ce groove électronique qui leur valut maintes comparaisons aux légendaires Daft Punk. Ici, on garde cet esprit festif et dansant tout en l’incorporant dans cette nouvelle identité plus sombre et épurée, pour obtenir une chaude hymne estivale aux notes de marimba, balancée tout de même par les puissantes basses glacées d’une électro plus corrosive.

Back To 8 vient clôturer ce Séquence, Pt. I de la plus belle des manières. Une ode mesmérisante qui joue tant sur la puissance de ses beats que sur la légèreté de ses notes célestes. Une composition qui ne cesse de gagner en intensité, qui s’élève sans cesse pour redescendre brutalement, transmettant des couleurs et des cadres radicalement différents de tout son long. Le titre s’accompagne d’un visuel de qualité qui met en lumière les quartiers chauds de France pour les montrer sous un jour nouveau, emprunt d’une forme de brutalité poétique et de fraternité indestructible.

S’il est inutile de vous dire que l’on attend avec une impatience non dissimulée la seconde partie de leur nouveau concept, la force de cette première sortie nous laisse conquis. Fort d’un registre déjà riche, aux influences diverses et aux expérimentations audacieuses, Else propose un EP faisant écho à une nouvelle vague d’électro poétique, qui cherche davantage à faire danser nos pensées que les boîtes de nuit du pays.