Empress Of : Réchauffement climatique sur la planète pop
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
21/10/2018

Empress Of : Réchauffement climatique sur la planète pop

Quelque chose est arrivé à la planète pop. Il y fait plus chaud, plus vibrant, les océans s’évaporent et l’ardeur atmosphérique étouffe et tourmente. L’innocence qu’on lui connaissait s’est changée en quelque chose de plus percutant, de plus direct pour faire trembler les conceptions surfaites et arracher d’une main de fer l’étiquette péjorative qui s’accroche à la pop de façon inéluctable. Suspect numéro 1 : Us, la nouvelle douceur musicale de la latine Empress Of qui revient trois ans après son acclamé Me. Focus sur la plus réjouissante des catastrophes naturelles de l’année.

Trois ans peuvent sembler longs, mais c’était sans compter sur le sens inné de la communication et du teasing de Lorely Rodriguez. C’est notamment ce trait qui lui valut en 2012 d’être remarquée pour son projet Colorminutes. Le concept : des démos d’une minute de compositions plus brillantes les unes que les autres, toutes sobrement illustrées par une couleur unie. C’est donc avec la stratégie qu’on lui connait que l’artiste s’est retrouvée à étinceler sur des titres de Blood Orange, Dirty Projectors ou très récemment sur les nouveaux  et Khalid. Des apparitions convaincantes qui n’ont fait que cristalliser le talent d’une jeune artiste en plein envol qui n’a visiblement pas peur de l’altitude. C’est aussi solo qu’elle faisait déjà monter la température avec Go To Hell et l’électrifiant Woman Is a Word, deux singles de caractère annonciateurs de plein de bonnes choses pour la suite.

Me c’était elle, Us c’est nous tous. Nous face à nos tragédies anodines, nous face à nos banalités romanesques. Car c’est un peu ça le fond de l’album : les récits hyperboliques des débauches sentimentales qu’on ne peut s’empêcher d’épicer d’artifices en tout genre pour leur donner un sens. L’extraordinaire de l’ordinaire, en somme. Ça va sentir l’eau de rose du coup, oui. Mais pas que. Le sujet, aussi important peut-il être, semble surtout servir de support à la patte ingénieuse d’une auteure-compositrice qui ne demande qu’à exploiter un potentiel de composition imparable. Ainsi, les mots volent et se mélangent, les vers se juxtaposent et les titres ne résonnent pas seulement comme de simples chansons d’amour. La forme dépasse le fond. I Don’t Even Smoke Weed, le coeur énergétique de l’album, prouve bien à quel point la vibe groovy des 80’s l’emporte sur le sujet un peu bateau d’un amour confortable. Dans le même registre, Just The Same est tellement dansant qu’on en oublie presque la nauséabonde saveur de l’amourette nunuche à souhait qui est contée pour se laisser emporter par les percussions entraînantes d’un titre aussi rayonnant.

Le mystique All For Nothing nous rattache à ce qui avait valu à la chérubine une critique si favorable trois ans plus tôt. Pour le reste, c’est tout nouveau. Sur l’ancien opus, Everything Is You mettait déjà la puce à l’oreille quant à la volonté de l’artiste de se découvrir sous un jour plus radieux, délaissant le côté dark de sa musique. Sur Timberlands ou Love For Me, cette volonté se concrétise et on se retrouve avec des hymnes bienheureuses qui ne vont pas sans rappeler la bienveillance assez sarcastique de Lily Allen, reine en matière de pop arc-en-ciel. I’ve Got Love propose aussi un ton pastel et délicat mais renforcé par un esprit très disco qui ne laisse pas indifférents les brûleurs de dalles lumineuses à coupe afro que nous avons pu être dans une autre vie.

La présence dans quelques lignes de la langue ibérique vient renforcer cet esprit chaleureux et permet à la petite génie quelques libertés. En effet, c’est chez Pitchfork qu’elle confiait écrire dans sa langue latine pour vaincre une certaine pudeur lorsqu’il était question d’aborder des sujets particulièrement personnels. L’anglais étant si universel, il y aurait donc une part d’intimité dans l’espagnol et Lorely Rodriguez s’amuserait à alterner les deux pour nuancer son discours. Sur le refrain de Trust Me Baby, par exemple, c’est lascive et sulfureuse qu’elle lance “Confìa en mì” avant de surenchérir avec un “Trust me baby” beaucoup plus dur, badass et plus pudique. Plus qu’une simple traduction, l’artiste démontre ici les deux univers que la même phrase, dans deux dialectes différents, peut créer. Les merveilles du langage.

Dans le jargon, Empress Of est un caméléon musical. L’atteste le tournant assez explicite de ce nouvel opus qui contraste fort avec le précédent. Un clair-obscur artistique esthétiquement représenté par deux pochettes que tout oppose : l’une en noir et blanc présente une certaine fragilité alors que l’autre, colorée, démontre une femme forte et assurée. Si les préfaces sont évocatrices, les contenus le sont d’autant plus. Me explore des univers froids, expérimentaux avec une touche d’électro qui vacille par moment vers une techno corrosive avec Water Water, par exemple. Us puise, lui, dans la culture acidulée de la pop, s’aventurant du côté des moelleux refrains et des mélodies confortables retrouvées sur When I’m With Him, véritable figure de proue du processus de “popification” de la musicienne. Et si certains lui reprocheront ce virage un peu violent vers ce registre plus coloré et naïf, Empress Of a le mérite de proposer du nouveau contenu sans se ranger du côté de ce qui a déjà pu fonctionner pour elle. Tout à son honneur.


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