Fin 2018, on vous les présentait pour la sortie de leur album Monopolis de la manière suivante : “Elle, c’est Vickie. Lui, c’est Leo”. Si à l’époque iels ne faisaient encore qu’un, aujourd’hui cette phrase, dite alors sans prémonition, reflète davantage encore leur histoire. Peu après Monopolis, le couple se sépare. Ce qui faisait l’ADN de leur tandem s’est-il pour autant fané ? Pas sûr.
Comme un dernier acte, Vickie et Leo décident de clore le chapitre en musique. En un double album, rien que ça – pour mieux raconter les deux côtés de l’histoire. En s’offrant ce deuil autant qu’à nous, iels parviennent à magnifier leur relation dans son entièreté. Une démarche jusqu’au-boutiste appréciée, surtout parce qu’elle adresse aussi l’aigreur, les questionnements, le vague à l’âme d’une fin de relation et son contrecoup. Les Pirouettes signent là “un mode d’emploi pour relativiser sa rupture“. Telle est la conclusion de cet entretien avec deux artistes qui ont quelque peu regagné leur individualité au service de leur duo.
LVP : Salut les Pirouettes. La première question que je voulais vous demander, c’est si vous étiez conscients qu’il y a pas mal de personnes qui associent leur propre relation à des morceaux ou des phrases que vous avez écrites, par rapport à leur propres expériences ?
Leo : (hoche la tête). Mais oui, ça c’est récurrent comme remarque, on nous le dit toujours que des couples se sont formés effectivement avec une chanson en particulier. C’est ouf, ça revient tout le temps. Et du coup oui, on en a conscience. C’est beau, je suis content !
LVP : Perso Pli du cœur et Tu parles trop, c’est genre des morceaux phares.
Vickie : Trop bien.
LVP : Dans l’article de Libération, vous parlez du fait de tourner la page sur cet album. Je me demandais si vous parliez de tourner la page de l’ère du couple dans votre projet musical ou si c’était plutôt tourner la page du groupe ? Quelle est la définition de « tourner la page » ?
Leo : En fait, on aurait pu tourner la page à la fin du deuxième album tu vois, parce qu’on n’était déjà plus en couple. Et on s’est dit « écoute, nan c’est con faut qu’on finisse en beauté, faut qu’on ferme la trilogie ». C’est ce qui a motivé le troisième album. Pour la suite, oui on va faire une pause c’est clair, on va consacrer un peu d’énergie chacun de notre côté à des projets plus personnels. On n’a pas envie de dire que c’est le dernier album des Pirouettes forcément, parce que sait-on jamais, peut-être qu’on aura envie de se retrouver dans quelques années. Peut-être qu’on va avoir un succès tel, qu’il y aura une telle attente qu’on ne pourra pas s’arrêter tu vois. Tout est encore possible en réalité.
LVP : La pochette du vinyle et de l’album est incroyable. Que signifient les tons orange de la pochette ? L’album s’appelle Équilibre, je ne sais pas s’il y a une histoire derrière cette pochette.
Vickie : Ben la pochette, elle est en mode coucher de soleil. Ça répond à notre premier album – attends, sinon je peux te faire une démo là (sort et montre le vinyle de Carrément Carrément) – qui est déjà un coucher de soleil. Mais c’est de toute façon beaucoup plus symbolique parce que c’est quand même censé être un peu la clôture d’un grand chapitre. Le soleil se couche sur les Pirouettes. Et par rapport à Équilibre, oui il y a un rapport parce que la pochette c’est nous sur un plongeoir, un petit peu en équilibre et ça a été fortement inspiré, extrêmement beaucoup inspiré, d’une photo de Lady Di sur un plongeoir de yacht juste avant sa mort en 97. Je ne sais pas, c’est une photo que je trouvais super belle et on a repris un peu cette position. Elle, c’est en plein jour mais là je l’ai faite en mode « sunset ». Il y a plein de symboles en vrai dans cette pochette. Aussi le fait que le bateau sur lequel on est, c’est un catamaran, c’est à dire un bateau avec deux coques, comme tout le monde le sait. Pareil, un autre symbole de l’ambivalence.
LVP : Sur ce dernier album, vous jouez beaucoup plus sur les dialogues. Est-ce que c’est justement parce que vous faites moins un qu’avant ?
Vickie : Oui complètement, c’est aussi simple que ça. C’est venu naturellement parce qu’avant on chantait beaucoup à l’unisson. Mais évidemment, comme on s’est séparés et que tout le monde a un avis sur la question, qu’on avait tous les deux envie de parler en tant que personne, en tant que être humain plutôt qu’en tant qu’entité, on s’est dissociés complètement pour pouvoir s’exprimer en fait. Donc oui, c’est carrément voulu et conscient.
LVP : Vous jouez beaucoup aussi sur les répétitions des textes. Est-ce que c’est quelque chose d’assez spontané ou vous recherchez quelque chose dans la répétition des mots et des phrases ?
Leo : C’est pour répondre à un besoin de rythmique, souvent. On est très fans de gimmicks. Tout ce qu’on fait c’est vraiment au service de la mélodie et on veut effectivement que ça rentre le plus facilement possible dans la tête des gens. C’est ça qu’on fait avant tout pour rendre la musique addictive. C’est ce qu’on recherche ouais.
LVP : Quelles sont vos influences à tous les deux, d’hier à aujourd’hui ? C’est un peu la question bateau qu’on demande au premier projet mais je suppose qu’elles sont différentes de l’époque des premiers albums aussi.
Leo : Quand on a commencé avec Vickie, on était très chanson française, on découvrait un peu la variété des années 70-80. Michel Berger, France Gall, Christophe, Étienne Daho, Yves Simon… C’est vraiment ça les influences que l’on mettait en avant, et c’est toujours des artistes qu’on admire et qu’on écoute toujours régulièrement. Mais je pense qu’avec le temps, on s’est mis à écouter de plus en plus des musiques contemporaines, et notamment pas mal de rap. Ça se ressent dans le nouvel album. Il y a des instru qui sont plus urbaines, même si je ne suis pas fan de ce terme, mais c’est ça tu vois. On a fait appel à des producteurs de l’urbain, je suis content qu’il y ait cette vibe-là aussi. Mais tu vois pour la sortie de l’album il y a un clip qui sort, c’est celui de Oulala. Et ça c’est peut-être le morceau le plus rétro finalement. C’est un morceau qui sonne plus rétro et je suis content qu’on ait toujours ce côté-là des Pirouettes qui existe. Je pense que notre public est pas mal attaché à ce côté-là.
LVP : C’est vrai que sur Monopolis, on ressentait plus les influences de variété française. J’ai comparé l’écoute des deux albums avant l’interview, j’ai cette impression qu’il y a plus de vigueur dans cet album-ci. Je ne sais pas si c’est quelque chose qui vous parle ?
Vickie : Je vois ce que tu veux dire, je suis un peu d’accord. Monopolis, c’est vrai qu’au final il était assez doux. Et celui-là il y a des morceaux hyper cash comme Mets les voiles ou je ne sais pas, il y a plein de morceaux assez rythmés et même dans les paroles, sans filtre. Ça a toujours été un peu comme ça, mais là en effet je suis d’accord avec ce que tu veux dire.
LVP : J’ai noté Vitamines et Enquête d’amour, à la première écoute, j’avais un peu l’impression que vous mettiez moins les gants maintenant. C’est un peu déstabilisant au premier abord, puis ça devient finalement assez intéressant une fois la surprise passée.
Leo : On a toujours été très sincères dans la description de nos sentiments et de nos ressentis. Je n’ai jamais eu l’impression de mettre des gants quand j’écrivais, et là comme on aborde un thème plus délicat qui est celui de la rupture ben oui, c’est peut-être un peu plus choquant tu vois.
Vickie : Nan mais là Vitamines et Enquête d’amour, ça ne parle pas du tout de ça pour le coup, ça parle de cul.
Leo : Ah oui tu parles de ça pardon.
LVP : Oui oui, du fait qu’il y a moins de gêne ou de filtres dans vos textes.
Vickie : Oui oui, moi je pense que plus ça va, plus je suis décomplexée dans l’écriture et moins je suis pudique pour ma part. Je reviens de loin, avant je ne pouvais pas du tout écrire, c’était hyper dur en vrai d‘arriver à chanter un truc qu’on a écrit sans complexe. Plus ça va, plus je suis à l’aise avec ça. Du coup, en effet, ça permet avec l’expérience d’aller plus loin dans les trucs qui peuvent paraître choquants à la première écoute, qui sont sortis naturellement et qui sont un peu décalés.
Leo : La sexualité, on l’aborde de manière plus décontractée maintenant. Quand on a commencé on était encore des jeunes loups (Vickie rigole) et je pense qu’on était très gênés par beaucoup de choses, oui. On a grandi quoi, normal. C’est aussi la musique d’aujourd’hui qui est de plus en plus vulgaire, tu vois le rap, ça parle que de cul tout le temps (Vickie fait la moue) et je pense que ça nous a aussi décomplexé.
LVP : On ressent que vous avez grandi d’une certaine manière. Je ne sais pas si c’est avec l’album ou votre carrière. Dans Love de moi, il y a ce truc du « maintenant je m’aime un peu plus » de ce que j’ai pu comprendre dans les paroles (Je suis love de moi / C’est vrai que je suis beau comme ça). Est-ce que c’est le résultat de votre relation, de votre carrière ? Est-ce qu’il y a un peu plus de ce truc assumé et de connaissance de soi aussi ?
Leo : Pour moi Love de moi, c’est un morceau egotrip comme on a pu faire sur des morceaux comme Jouer le jeu. Tu vois, ça fait longtemps qu’on défend un peu ce truc-là. Après pour ce qui est du self-love, je crois peut-être que ça va mieux et qu’effectivement je m’aime plus qu’il y a quelques années. Mais globalement, ça va je m’aime bien depuis le début.
Vickie : Il s’adore, il s’adoooore. (rigolant, à moitié blasée)
LVP : L’essence de Love de moi, ce serait vraiment de l’egotrip alors ?
Vickie : Ça c’est Leo, c’est Leo qui l’a écrite.
Leo : Oui, c’est un morceau que j’ai fait de A à Z, j’ai fait l’instru et tout. Je l’ai toujours vu comme un morceau à part, et d’ailleurs je le dis dans les paroles. C’est ça que j’aime bien. Dans le refrain je dis : « Je ne me soucie trop pas de ce qu’on en dira, un peu comme cette chanson-là. » C’est une chanson que j’ai toujours trouvée un peu border, elle peut choquer certaines personnes parce qu’elle est un peu egotrip, mais je m’en fous. Je le prends comme une chanson légère et c’est ce que je dis dans le refrain. J’aimais bien le rythme de ce morceau, c’est un peu plus shuffle et je trouvais ça intéressant.
LVP : Dans Enquête d’amour, on a l’impression qu’il y a un peu un mélange de sombre et de clair dans la production. C’est assez nouveau, on entend plus de basses et une instru assez sombre, ce qui était moins le cas sur Monopolis par exemple.
Leo : C’est un morceau dont j’ai fait l’instru et c’était vraiment l’idée de faire un morceau trap. C’est pour ça qu’il y a le côté un peu basses trap et en même temps la mélodie qui est assez aérienne sur le refrain.
LVP : La grande question : être ami avec son ex, possible ou pas ? J’imagine qu’on vous l’a déjà faite. (rires)
Vickie : (rires) Ben, pas tournée comme ça en fait. Ben l’amitié après une relation… (réfléchit)
Leo : Ben moi j’y crois carrément, perso. J’ai eu pas mal de relations depuis que je ne suis plus avec Vickie et je suis en bons termes avec la plupart des meufs, ça va. Je ne suis pas aussi proches d’elles que je le suis avec Vickie parce qu’on travaille ensemble. C’est différent. Mais ouais, moi je pense que si tu prends les choses à la cool, si t’es sincère avec l’autre, l’amitié peut être conservée ouais.
Vickie : Moi ben je trouve que c’est compliqué, quand t’as été pendant longtemps comme on a été, on a vraiment un passif quand même tous les deux. Donc c’est une amitié étrange je dirais. C’est assez étrange mais oui ça se fait hein, en effet on est toujours vivants. (rires)
Leo : C’est vrai qu’avec Vickie, c’est compliqué de te répondre parce qu’on est presque contraints de passer beaucoup de temps ensemble. (rires des deux) On ne passe pas naturellement du temps ensemble, c’est juste que là on travaille ensemble.
Vickie : On n’est pas des ex ordinaires.
LVP : J’ai remarqué que dans Nouveau départ, il y a une parole qui est « Ne monte pas dans ce car ». Je me suis demandé si ce n’était pas une façon de dire à l’autre de pas monter dans une nouvelle histoire, tout en étant un peu dissimulé dans la chanson qui donne l’impression de parler déjà d’une nouvelle relation.
Vickie : (rires)
Leo : C’est carrément ça l’idée, ouais. Moi j’aime beaucoup l’image du car…
Vickie : Du BlaBlaBus. (rires)
Leo : … qui part vers une destination inconnue et qui t’emmène loin. C’est ça l’idée, c’est « steuplait me lâche pas », quoi.
Vickie : Oui c’est symbolique.
LVP : C’est cool parce que ça entretient le doute de « est-ce que ça parle d’une nouvelle relation ou de la leur ».
Leo : C’est la continuité de l’album, en fait.
Vickie : Oui, tout l’album est hyper ambigu en fait, parce que personne ne sait de quoi on parle à part nous. (rires) Et évidemment, sachant qu’on le chante ensemble, c’est naturellement perçu comme un message qu’on s’adresse à l’un et à l’autre. Mais en fait, le spectre il est beaucoup plus large que ça. Cette chanson notamment, elle ne s’adresse pas à l’un ou à l’autre, enfin je ne crois pas en tout cas ? (regarde Léo)
Leo : Non.
Vickie : Mais c’est marrant qu’il y ait justement cette ambiguïté de « est-ce qu’il parle à elle » ou pas. Et en fait : who knows ?
Leo : Ouais, c’est cool que le doute plane. Nous-même, on ne sait pas vraiment.
Vickie : Si, moi, je le sais. (rires)
Leo : Elle est peut être adressée à un personne en particulier, mais tu vois dans quelques années cette personne elle ne signifiera plus rien pour moi mais ces paroles s’appliqueront à une autre personne. Ce qu’il y a de bien avec les chansons, c’est que c’est interchangeable.
Vickie : Ben oui, ça évolue. Tout comme les gens peuvent s’y retrouver et avoir l’impression que ça parle d’eux.
LVP : C’est aussi ça je pense qui fait la force de votre projet et de votre album. C’est le fait que tout le monde puisse s’y retrouver d’abord, et puis ça permet à des gens de se dire que d’autres gens pensent à ces choses-là et soit bad soit pensent à des choses positives.
Leo : La vérité c’est qu’on est tous les mêmes, on a tous les mêmes problématiques.
LVP : Oui mais à l’époque actuelle encore plus, on n’a pas l’impression qu’on partage les mêmes émotions. Donc je trouve que votre album arrive à faire ça. C’est de se dire « ils écrivent des choses que tout le monde peut se dire » et au final que tout le monde se dit, tout le monde traverse la même chose et donc « it’s ok » quoi.
Vickie : Ouais, c’est l’idée. Et surtout c’est un album où ça dit que ce n’est pas la peine de dramatiser des trucs comme la rupture ou quoi. Même s’il y a des chansons « deep » par rapport à ça ou un peu tristes, il y a aussi des chansons plus « drôles » ou enjouées par rapport à ça. Qui montrent qu’en fait, c’est vraiment pas la fin du monde du tout. C’est de la matière trop plaisante à travailler parce qu’il y a plein d’inspirations et tout ça. Mais voilà ce n’est pas le bout de la vie quoi. On peut encore continuer après ça à faire des trucs et être heureux, même après avoir rompu avec quelqu’un.
LVP : Donc Équilibre, c’est un peu un mode d’emploi pour relativiser sa rupture en gros.
Leo : Carrément.
Vickie : J’espère. (rires)
Leo : C’est un bon résumé. (rires)
Se nourrit essentiellement de musiques électroniques, de pop et R&B indé et de houmous.