Entre Ableton et Stelios Kazantzidis, le génie de Johan Papaconstantino
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Auteur·ice : Matéo Vigné
04/08/2022

Entre Ableton et Stelios Kazantzidis, le génie de Johan Papaconstantino

Crédit photo : Keuj pour On Air et Bi:Pole

En plein cagnard, sur le toit-terrasse de la Friche la Belle de Mai, un soir de juillet, Bi:Pole invite Johan Papaconstantino.

Ah l’été dans le sud de la France, cette belle saison, dans cette belle région, où tout devient très vite un effort surhumain. Où chaque pas engendre une gouttelette de sueur qui ruisselle timidement du haut de votre tempe au bas de votre menton, du centre de la nuque jusqu’au niveau de vos lombaires en créant une trainée chaude et humide. C’est souvent difficile d’organiser un bel événement dans ces conditions. Cependant, dès que le soleil se couche, les renards sont là pour faire la fête, et quoi de mieux qu’un open air sur un rooftop pour faire rimer légèreté, fraîcheur et musique.

Tous les étés, la Friche la Belle de Mai, haut lieu de la culture marseillaise ravivant les murs d’une ancienne manufacture de tabac, accueille sur son toit une programmation On Air pour mettre à l’honneur différents collectifs et artistes locaux. Ce soir-là, Bi:Pole, cette maison des artistes et entreprise culturelle qui s’occupe de toute une série d’artistes en musique électronique et produit l’un des meilleurs festivals de culture électronique alternative d’Europe, invite Goldie B et Johan Papaconstantino. Une soirée oscillant entre bass culture et électronique venue d’ici et d’ailleurs. 

Pour l’occasion, on a rencontré Johan Papaconstantino, artiste multidisciplinaire dans le cadre de son projet musical. Sa musique fait rimer tradition grecque et modernisme électronique avec une touche locale très importante. Né à Aix-en-Provence, d’un père grec et d’une mère corse, il grandit à Marseille où il bouffe de l’art en veux-tu en voilà. D’école en école (d’art), il définit petit à petit ses préférences et son style et, comme tout sudiste qui veut percer, finit par monter à Paris pour se développer artistiquement. Il est l’auteur de titres comme J’sais pas, très électronique, ou encore Les mots bleus, une reprise personnelle du titre de Christophe. Son style mêle pop grecque, électronique mélancolique et R’n’B très marseillais. On l’a rencontré après son concert et une dizaine de dédicaces plus tard à des fans surexcité·es dont l’âge allait de 16 à 65 ans.

La Vague Parallèle : Comment ça va Johan ?

Johan : Ça va, je suis revenu habiter à Marseille depuis septembre. Je me suis installé, ma petite vie de famille, ma petite routine en studio. J’essaye de finir un album et d’envoyer ça vite. Finir à la rentrée et pouvoir partager ça en fin d’année voire début d’année prochaine. J’ai envie d’envoyer des clips, des morceaux assez rapidement.

LVP : C’est toujours un peu dans la même veine ?

Johan : Oui, j’essaye de faire quelque chose qui me correspond plus actuellement, d’assumer les mêmes origines mais un peu plus “lourd”. Ça fait longtemps que je travaille sur cet album, c’est pour ça que je n’ai pas sorti grand chose ces derniers temps. Je travaille beaucoup pour être satisfait des morceaux, je n’ai pas envie de sortir quelque chose dont je ne serais pas fier, niveau voix, niveau instru. Je travaille, je travaille, je travaille.

 

LVP : Pour nous, à Marseille, ta musique sonne quasi orientale, au final ce sont des sonorités méditerranéennes qui dépassent les frontières et qui se comprennent dans toutes les langues, non ?

Johan : Je suis d’origine grecque, la Grèce, c’est un peu la porte Orient-Occident. Il y a beaucoup d’influences turques, d’Asie mineure, d’Orient. Ça fait partie de la famille des musiques orientales au final la musique grecque. Beaucoup de branches de la musique grecque font partie de ça. En France, on identifie directement les voix qui font “eheee” à du Raï ou d’autres genres orientaux mais la musique orientale, comme toutes les musiques, a des nuances, des influences diverses. Moi c’est plutôt du côté grec, turc, roumain dans mes inspirations. J’en écoute beaucoup depuis que je suis gosse. Je n’écoute pas que ça mais ça a pas mal bercé ma culture musicale.

LVP : En faisant des recherches, j’ai vu que c’était un genre qui s’appelait laïká ou même rebétiko, est-ce que tu peux nous présenter un peu mieux tout ça ?

Johan : La musique laïká c’est comme la pop, la variété de Grèce. C’est une musique populaire. Il y a d’autres tranches, rebétiko ça vient plus de la rue, des musiques plus intenses proches de la trance, il y a comme quelque chose de dramatique. Après t’as du skiladika c’est des mélanges de différentes sonorités orientales. C’est magnifique.

LVP : Le côté autotune c’est le côté marseillais du coup dans tes chansons ?

Johan : J’ai commencé avec ça parce que je n’étais pas chanteur avant de sortir mes sons. Le premier morceau c’était Pourquoi tu cries ??, j’avais déjà chanté mais jamais sorti une musique, je ne m’étais jamais vraiment enregistré sérieusement. L’autotune c’est arrivé, comme pour 90% des gens de mon âge, avec cette envie de commencer à chanter sans savoir réellement chanter. On met de l’autotune à balle. Ça te rassure. Après t’as une texture que moi je kiffe dans ce son, c’est certain. J’essaye qu’on l’entende de moins en moins, j’essaye de progresser en chant. J’essaye d’en avoir de moins en moins besoin. J’aimerais chanter le plus juste et pur possible, sans faire de la musique traditionnelle, mais il faut avouer que c’est un outil qui nous rassure, par défaut. 

LVP : Avant cette date, tu étais en Équateur, comment ça se fait que tu aies eu des dates là-bas ? Il n’y a pas forcément de culture ultra similaire entre la culture grecque et marseillaise et l’Amérique latine, si ?

Johan : J’avais été sélectionné par une association à Paris qui chaque année a des lauréats qu’iels accompagnent artistiquement et mettent en relation avec les ambassades à l’étranger. L’ambassade de l’Équateur à l’étranger nous a sollicité et on a fait deux concerts. On devait en faire quatre mais à ce moment-là il y avait de grosses manifestations dans le pays du coup il y en a deux qui ont sauté. On a fait deux concerts et on a kiffé. Là-bas ça danse, ça ne s’arrête pas. J’étais trop content de voir que ça dansait la Cumbia sur mes morceaux, ça partait en bachata ou salsa, ça n’hésite pas. J’adore quand ça danse. En France ce n’est pas tout le temps le cas, on n’est pas un pays avec une immense culture de la danse. J’étais content d’être dans un pays où ça l’est. Là-bas, la moindre personne timide se lève et balance son flow sur la piste de danse.

LVP : Tu es revenu avec des influences de cette micro-tournée équatorienne ?

Johan : J’ai déjà pas mal d’influences sud-américaines dans mes morceaux, là-bas on a pu tester et adapter des morceaux, comme un nouveau qui s’appelle Bricolo qu’on joue un peu dans un esprit Cumbia. Ça a bien pris. Je ne pense pas que ça m’ait rajouté des influences mais ça a confirmé des influences que j’avais déjà. Et c’est trop bien.

LVP : Tu peins aussi, des trucs ultra réalistes, tu as un style à toi en peinture, en musique, est-ce que tu dirais qu’il y a un Johan chanteur et un Johan peintre ou au final c’est le même artiste ?

Johan : Je pense que c’est la même démarche mais sur des outils et vocabulaires différents. Ça fait un petit moment que je ne peins plus parce que malheureusement, on ne peut pas tout faire en même temps. J’ai vraiment envie d’achever cet album, je me suis concentré à fond dessus. Je les sépare en terme de communication. La manière dont tu travailles n’a rien à voir et puis ça ne touche pas les mêmes personnes, ni les mêmes milieux. Après c’est excitant de voir que certain·es peuvent se retrouver dans ces deux formes d’expression artistique. C’est plaisant quand on te dit que la musique et la peinture sont appréciées par une même personne. Après, ce n’est pas une stratégie marketing, je fais les trucs à fond, enfermé dans mon atelier à peindre toute la journée, c’est beaucoup de travail, la musique c’est pareil. J’essaye d’être le plus honnête possible, j’ai la chance de pouvoir le faire, vivre de ma musique, du coup je bosse à fond. Comme un fou. Pour essayer d’aboutir à quelque chose de complet.

LVP : Il y avait une citation que j’avais bien aimé sur internet qui t’est attribuée, on peut lire que tu te places, selon tes propres mots, entre Le Caravage et Windows 98 en peinture, est-ce que tu dirais qu’en musique tu es entre Ableton et Stelios Kazantzidis du coup ? 

Johan : Est-ce que c’est moi qui ai dit ça par rapport à Windows 98 ? Je ne m’en souviens pas mais c’est très probable ! Ça ne serait pas complètement faux de transposer ça à la musique pour Ableton et Stelios en tout cas, j’aime bien. 

LVP : Ton dernier single, Tata, on aurait pu limite l’appeler Papa, est-ce que c’est un morceau qui est plus intime, plus personnel que les autres ?

Johan : Pas forcément, mon premier morceau, Pourquoi tu cries ??, je parlais à ma meuf, on s’était séparés et c’était une manière de l’appeler. Depuis le départ, c’est ça qui m’a lancé, c’est tout ce qui relève de l’intime. C’est un moyen de communiquer avec les autres la musique. Comme je suis un peu renfermé, je mets beaucoup d’intimité dans mes chansons. Je n’ai pas grand chose à dire sinon, je parle de moi, je parle de ce qui m’arrive. J’essaye de raconter des choses, je ne prétends pas que ce soit unique ce que je vis, c’est très classique, les séparations, les machins, avoir un enfant, c’est la vie. Essayer de l’écrire de façon un peu belle, c’est mon style et je pense que c’est tout.

 

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