Entre désir d’ailleurs et réémergence des origines, Yndi nous livre la genèse de son disque Noir Brésil
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Auteur·ice : Coralie Lacôte
22/11/2021

Entre désir d’ailleurs et réémergence des origines, Yndi nous livre la genèse de son disque Noir Brésil

À l’occasion de la 12ème édition du MaMA Festival le mois dernier, nous sommes allés à la rencontre d’Yndi. Autrefois connue sous le pseudonyme Dream Koala, elle revient cette fois avec un univers empreint de sonorités bossa nova, sans toutefois renier son appétence pour les mondes électronique et expérimental.
Point de jonction entre explorations et introspection, son premier album Noir Brésil révèle toute la maturité de ce nouveau projet. Lumineuse et passionnante, Yndi s’est confiée le temps d’une interview sur la construction de son album, la nécessité de changer de langue et la volonté d’explorer ses origines. De cette rencontre, nous gardons le souvenir d’une énergie hautement positive, qui a par ailleurs irradié la Cigale les heures qui ont suivi.

La Vague Parallèle : Salut Yndi, merci de nous accorder un peu de temps pendant ce festival si dense et exaltant qu’est le MaMA Festival. Comment vas-tu ?

Yndi : Je vais bien. Je viens de faire une interview pendant laquelle j’ai rigolé, du coup en général quand je ris avant je vais bien. En plus, on vient de faire les balances et c’était cool parce que c’est mon premier concert à Paris, ça fait monter l’adrénaline.

LVP : Entre 2012 et 2019, tu faisais de la musique électronique et officiais sous le nom Dream Koala. Tu as ensuite dévoilé en mai dernier Noir Brésil, ton premier album en tant qu’Yndi. Est-ce que tu entrevois ce nouveau projet comme une suite, une évolution ou davantage comme une rupture avec ton projet précédent ?

Yndi : Je n’aime pas trop le mot « rupture », je le trouve un peu dramatique surtout qu’en vrai les morceaux de mon projet d’avant je pourrais totalement les rejouer avec mes nouveaux morceaux. Je pense que c’est vraiment une suite et je crois que ce qui a un peu motivé mon changement de nom et le fait que je passe au format d’album après avoir sorti des EP avant, c’est le fait d’être passée au français et au portugais. J’avais l’impression qu’il y avait un step que je ne pouvais pas passer avec l’anglais et qu’il fallait que je chante en français et en portugais pour réussir à vraiment créer mon son, un album qui soit personnel.

LVP : Justement, le fait de changer de langue, qu’est-ce que ça implique dans le rapport à l’écriture ou au chant ?

Yndi : C’était assez difficile parce que le français est une langue que j’ai eu beaucoup de mal à faire sonner. C’est vrai que l’anglais c’est très plastique finalement, on peut l’appliquer sur des mélodies très facilement alors que le français est une langue qui a une certaine rigidité. Les mots et les phrases ont déjà, d’une manière, leur propre rythme. Moi je travaille d’abord avec les instrus et ensuite les textes et c’est vrai que ce n’était pas évident comme processus. Même au niveau psychologique, vu que c’est la langue que je parle tous les jours, c’était plus intime. C’est vraiment une autre façon d’écrire, mais c’était une très belle expérience, je suis très fière de ces morceaux et de cet album. Je pense qu’il y a beaucoup de français et pas tant de portugais dessus et j’aimerais bien par la suite évoluer peut-être plus vers le portugais.

© Alice Sevilla

LVP : Ton album Noir Brésil inaugure donc un changement de langue mais aussi un renouveau musical puisque tu es passée de la musique électronique à la bossa nova revisitée. Comment s’est passé ce changement dans la composition et dans la production de tes morceaux ? 

Yndi : Quand je fais de la musique, j’essaie de ne pas trop intellectualiser les choses et c’est vrai qu’instinctivement, j’ai voulu me rapprocher de mes racines. Quand on a autour de 22, 23 ans, on se rapproche un peu de nos origines, on essaie de s’interroger plus, de se demander d’où viennent nos parents, notre famille, ce genre de choses qui en vrai ne m’intéressaient pas forcément tant que ça quand j’étais ado et je crois que ce sont des discussions de famille et mes recherches personnelles qui ont aussi influencé ma musique et qui m’ont permis de faire cet album. Avant, je n’arrivais pas à dépasser le stade de l’EP. J’écrivais 4 ou 5 morceaux qui fonctionnaient bien ensemble mais je n’arrivais pas à avoir un univers de 13 morceaux qui puissent fonctionner en tant qu’album et je pense que le fait de faire ce travail de recherches sur le Brésil m’a permis de passer ce step et de créer mon propre son. Ce que j’aime dans la musique c’est vraiment faire des trucs que je n’ai pas entendus ailleurs ou des choses qui sont nouvelles, du moins pour moi et j’ai l’impression qu’avec cet album, on (parce que c’est un peu un travail d’équipe quand même) a réussi à créer un univers et un son, une ambiance qui est assez unique.

LVP : En parlant de collaborations, tu as co-produit l’album avec Superpoze mais il me semble que tu as également travaillé avec un collectif de musiciennes brésiliennes du nom de Zalindê. Comment se sont faites ces collaborations ?

Yndi : Avec Superpoze c’est simple, c’est un ami. On a quasiment commencé la musique en même temps donc on se connaît depuis super longtemps, et très vite, de manière non formelle, il a été dans le projet. Dès que j’avais une démo je lui envoyais, j’allais dans son studio, il venait chez moi, on se faisait écouter des trucs et donc il a rapidement fait partie du processus créatif. Pour Zalindê, c’est différent. Elles connaissaient mes parents donc je voyais ce collectif de loin mais on n’avait jamais travaillé ensemble. Pour moi, c’était important que les percussions sur l’album représentent ce côté très brésilien. Elles font beaucoup de spectacles centrés sur leurs percussions mais n’enregistrent pas forcément sur des albums en tant qu’accompagnantes et du coup c’était super cool pour moi de sortir de ma zone de confort et de collaborer avec d’autres musiciens et elles ça leur a permis de plus travailler en studio comme on le fait en musique électronique où on enregistre des choses séparément puis on travaille des boucles. On s’est bien marré pendant ces jours de studio. C’était un petit laboratoire et j’aime bien avoir ce processus-là aussi quand je crée, c’est-à-dire de mettre des conditions et de voir ce qui se déroule là-dedans, d’expérimenter, de ne pas trop anticiper comment ça va sonner, comment ça va se passer, ce qu’on va faire, etc.

© Alice Sevilla

LVP : Un des morceaux qui figurent sur ton album s’appelle Saudade, est-ce que tu peux nous en parler ? Aussi, est-ce que tu dirais que c’est un sentiment qui te définit ou teinte ta musique ?

Yndi : Saudade c’est un mot en portugais qui n’a pas trop de traduction en français mais qui exprime une forme de mélancolie, de désir d’être ailleurs, c’est comme une sorte de mal du pays mais ce n’est pas forcément lié à un endroit, ça peut être un moment, ça peut être lié à quelqu’un, c’est un peu entre tout ça. Au Brésil, c’est quelque chose d’important, il y a un jour de la saudade. Ce n’est pas un sentiment national mais c’est quelque chose qui fait partie de la culture et de l’identité brésiliennes puisqu’on est quand même un pays qui a une histoire avec beaucoup d’immigrations, qui a aussi connu l’esclavage, la colonisation donc il y a beaucoup de cultures différentes, de personnes qui viennent de divers endroits et du coup il y avait forcément un rapport très fort à l’ailleurs au Brésil. Et moi, dans ma musique je pense qu’il y a un peu une forme de mélancolie. Je me sentais obligée de faire un morceau sur la saudade, qui puisse de manière un peu abstraite exprimer mon rapport à ce sentiment-là. C’est aussi un mot qu’on utilise quand quelqu’un nous manque. C’est quelque chose qui peut être un peu abstrait mais qu’on utilise aussi pour dire « tu m’as manqué.e », « tu me manques » ou « Paris me manque ».

 

LVP : Tu as vécu deux ans à Berlin. Est-ce que tu penses que la culture berlinoise et ton expérience de la ville ont influencé ta musique ?

Yndi : Franchement ouais. Je n’écoutais pas du tout de musiques électroniques avant d’aller à Berlin, enfin un petit peu, de loin, mais j’écoutais aussi beaucoup de hip-hop. C’est sûr que le fait d’aller là-bas et d’y vivre deux ans a eu une influence. Il y a de la techno partout à Berlin, quand tu vas prendre un kebab, quand tu sors le soir… Et pas que de la techno d’ailleurs, les Berlinois.e.s sont aussi très sensibles à toutes les expérimentations électroniques et le fait d’être là-bas m’a totalement sensibilisée à ce genre musical qui pour moi était très éloigné à la base. Ça m’a donné envie de plus m’intéresser aux synthés et tous ces trucs-là. Je n’appellerais pas forcément ça de la musique électronique ce que je fais, mais je pense qu’il y a beaucoup de ça, que ce soit avec les synthés ou dans la manière dont les sons sont traités, par exemple le travail autour des percussions sur tout l’album est très hybride, on a fait beaucoup de mélanges avec des boîtes à rythme et d’autres sons. On était donc un peu à cheval avec la musique électronique, peut-être un peu plus le dub. Quoi qu’il en soit, ça nous a beaucoup influencés, ça c’est sûr.

 

LVP : Tu accordes beaucoup d’attention à la création et à la production de tes morceaux, comment envisages-tu leur représentation scénique ? La scène a-t-elle un rôle important pour ton projet ?
Yndi : Oui. Dès le début, dès l’écriture de l’album, je l’ai un peu pensé pour les concerts. Avoir des gens avec moi sur scène c’était quelque chose de très important, d’où la difficulté que l’album soit sorti en plein Covid, c’est vrai qu’on n’a pas pu faire exactement comme on avait prévu mais ce n’est pas grave, c’est chouette de pouvoir monter sur scène maintenant. Donc oui, je trouve que la scène c’est super important. D’ailleurs, c’est génial de découvrir des artistes sur scène. Je sais que le fait d’avoir découvert certains artistes sur scène et pas sur mon téléphone ou mon ordi, implique un rapport très différent à leur musique. J’ai eu une sorte de claque. On se prend évidemment des claques sur Spotify mais le fait de le vivre physiquement c’est quand même très différent.

LVP : Vous êtes donc plusieurs sur scène, quelle est votre configuration ? 

Yndi : En ce moment, il y a moi à la guitare et à la voix. Je suis accompagnée de Kiala qui est au clavier et qui a plein de synthés. Elle est un peu le cerveau du set up. Et pour finir, on a Edmond qui est percussionniste et qui a un set moitié drums, moitié percussions. J’ai aussi un magnétophone à cassettes avec des samples dessus. On aura un peu aussi ce mélange de sons sur scène pour ce show à la Cigale.

LVP : Pour finir, est-ce que tu peux nous confier l’un de tes coups de cœur musicaux du moment ?

Yndi : J’ai découvert un groupe il n’y a pas longtemps qui s’appelle Duster, c’est du rock indé, je ne sais pas le comment décrire. J’écoute beaucoup ça parce que je trouve qu’ils ont une approche particulière, enfin c’est vraiment un groupe de rock assez classique mais dans leur son ils ont beaucoup d’effets, ils ne sonnent pas comme les autres groupes et ils ont vraiment un côté très downer, assez lourd et en même temps planant. Je ne sais pas comment les décrire mais je suis tombée dessus par hasard et ça m’a marquée, donc en ce moment j’écoute beaucoup ça. Je devrais plus écouter ce qui se fait en ce moment. Je suis dans une phase depuis quelques mois de trucs rétro mais il faut vraiment que je réécoute les nouveaux trucs sinon je vais finir dans mon studio, en mode 2002…(rires).

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