Entretien avec Fils Cara, nouvelle cheville ouvrière du rap français
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Auteur·ice : Paul Mougeot
15/10/2019

Entretien avec Fils Cara, nouvelle cheville ouvrière du rap français

Nouvelle signature du génial label microqlima, Fils Cara étonne et détonne à plus d’un titre en se construisant un univers bien éloigné des standards du rap actuel. Entretien avec la nouvelle cheville ouvrière du rap français.

La Vague Parallèle : Hello ! On te rencontre le jour de la sortie de ton tout premier clip (le 26 septembre, NDLR), comment tu te sens ?

Fils Cara : Je suis excité, mais je suis aussi un peu dans la lune. Je sors de studio et c’est compliqué de se tenir informé des retours tout au long de la journée. J’ai reçu de beaux messages de la part de mes amis et de ma famille, mais je ne sais pas encore ce que les gens en pensent vraiment. Je suis assez attentif au type de public qu’on va parvenir à toucher. C’est un peu comme le lancement d’une fusée, sauf que je ne sais pas encore comment on a décollé !

LVP : Pour toi, tout est allé très vite. Tu viens de sortir ton premier clip quelques mois après avoir révélé ton premier titre, tu as joué sur les scènes de We Love Green et de Rock en Seine cet été… Comment tu as géré tout ça ?

FC : En fait, je me rends compte que j’ai une chance immense. Depuis 6 mois, j’ai l’impression que ma vie c’est Domino Day : tout s’enchaîne très vite !

Il y a un an, microqlima est tombé sur un projet obscur que j’avais posté sur Internet et m’a appelé pour me proposer de faire un concert. Depuis ce moment-là, on s’est lié d’amitié avec Antoine (Antoine Bigot, fondateur du label microqlima, NDLR) et il a décidé de me signer sur son label en février. C’est allé très vite, c’est complètement ouf.

Après, ce qu’il faut comprendre, c’est que quand tu as un projet musical, tu y penses 24h/24. Je passe des journées entières avec mon projet en tête, donc forcément, le temps me semble plus long. Du coup, j’ai eu le temps de me préparer à ces concerts et tout s’est bien passé. Je vois ce travail comme un travail d’ouvrier. J’ai toujours été ouvrier depuis que je ne vais plus à l’école, et quand je prépare un show, je le prépare comme si j’allais à la charcuterie ou à l’usine. Je rentre dans mon truc, je répète et quand je suis prêt, je me lance.

LVP : Contrairement à d’autres rappeurs qui se plaisent à exhiber une vie luxueuse, tu revendiques justement des origines beaucoup plus modestes. Il vient d’où, Fils Cara ?

FC : Cara, c’est le nom de ma mère. Ce nom s’est imposé à moi comme si je voulais apporter la bonne étoile de ma maman sur ma carrière. Ma maman, c’est une personne extrêmement travailleuse, qui nous a élevés mon frère et moi en nous transmettant sa force et ses valeurs.

L’idée, ce n’était pas forcément d’en faire une affaire de famille, puisque la musique c’est moi qui la fabrique. Simplement, je ne peux pas faire autrement : quand tu nais dans une famille ouvrière, tu es obligé de rester avec ta famille. J’ai cette culture de la famille que d’autres artistes n’ont peut-être pas.

Si je ne me revendique pas de la rue ou d’un style de vie fastueux, c’est que de là où je viens, ça n’existe pas vraiment. Chez moi, on est tous dans le même bateau. À Saint-Étienne, ce n’est pas comme à Paris où les différentes classes sont rangées par quartier. Tout le monde est ensemble. Un médecin et un mec qui gagne le RSA vont pouvoir se rencontrer et boire un verre tous les deux dans un bar. Il y a un vrai brassage de classes, sans jugement aucun.

LVP : Lorsqu’on vient de ce milieu, c’est peut-être plus difficile encore de laisser tomber son travail pour se lancer dans la musique. Comment tu as eu ce déclic ?

FC : Oui, c’est vrai que c’est plus difficile encore. Je ne considère pas que je suis lancé, mais j’en ai l’ambition. C’est pour ça que j’ai arrêté le travail d’ouvrier pour me consacrer pleinement à la musique il y a 8 mois. Je n’ai pas envie de me porter la poisse, mais demain, ça peut s’arrêter. Je pense que mon rôle dans ce monde, c’est d’écrire des belles chansons. Si les gens les acceptent, ça marchera pour moi. Mais pour le moment, je me considère encore comme un ouvrier, et je travaille au maximum pour réussir.

En fait, il faut rester humble parce que finalement, on n’est jamais vraiment lancé. Saut peut-être à partir du moment où on peut acheter un appartement pour sa mère !

LVP : Ce qui est intéressant, c’est que tu es la première signature urbaine de microqlima. Qu’est-ce qui t’a attiré chez eux, alors que tu aurais pu privilégier des labels consacrés aux musiques urbaines ?

FC : Quand j’ai commencé à discuter avec Antoine, il y avait des échanges avec d’autres labels, des grosses maisons qui n’ont pas le même fonctionnement et dont le récit ne me convenait pas. J’ai eu l’impression d’avoir face à moi des bureaucrates, des gens qui sont dans une forme de domination.

Chez microqlima, j’ai ressenti une vraie culture de la musique et pas seulement une réflexion marketing autour d’un produit, comme j’ai pu le ressentir par ailleurs. Au-delà de ça, l’idée même d’être défendu par un label de pop indé alors que je suis un rappeur me plaisait beaucoup. Ce que j’aime dans la musique et dans la vie, c’est les conflits. Pour moi, l’écart entre des gens qui traînent dans des cercles pop et moi qui ai des références rap allait forcément être intéressant.

LVP : Quand on te parle de tes influences, tu évoques d’ailleurs des références rock, dont Nirvana. Comment est-ce que ça influe sur ta musique ?

FC : Je connais absolument tout de Nirvana. Ils ont sorti leur premier disque chez Sub Pop Records, et j’ai toujours fantasmé sur ce délire des labels dans les années 80-90, qui donnaient une certaine couleur à un projet. Ça m’a plu parce que j’ai assez peu d’amis, et que pour moi, les liens que tu tisses dans la musique s’inscrivent dans la même lignée : par ta musique, tu vas représenter une famille, une culture.

Ensuite, c’est aussi une affaire d’imagerie populaire. L’image de la rock star, c’est quelque chose qui m’a toujours fasciné. À l’ère d’Internet, je me demande si on peut encore voir émerger des rock stars. Je crois que d’une certaine manière, il y a certains rappeurs qui en sont actuellement : Migos, Post Malone, Sfera Ebbasta… Mais est-ce qu’on peut vraiment voir émerger une rock star en France ? C’est une question que je me pose beaucoup et que je poserai aussi au fil de mes morceaux. En tout cas, mon rêve, ce serait de pouvoir voyager avec ma musique, de la jouer partout.

Avec Internet, ce que je trouve intéressant, c’est que tu peux toi-même donner l’étiquette que tu veux à ta musique. En fait, on a renversé l’idée du journalisme : ce sont les acteurs du projet qui le définissent eux-mêmes. Sur SoundCloud, tu peux personnaliser ton genre de musique et je trouve ça formidable. Quand j’y ai posté mes premiers sons, j’avais appelé ça de la sub pop : c’était un clin d’œil à Nirvana, et j’avais créé toute une mythologie autour

LVP : Ces influences-là, on les remarque aussi sur scène, comme à Rock en Seine où tu as joué avec une guitare. Jusque-là, l’un des rares rappeurs qui s’est risqué à essayer la guitare sur scène, c’est Lil Wayne ! Ça fait partie des choses que tu as envie d’essayer en live ?

FC : (Il mime le solo de Lil Wayne en riant). Je fonctionne de la même manière en studio et en live : il faut toujours une partie figée, suivie d’une exposition vivante. C’est pour ça que j’utilise des bandes. Avant, je jouais avec un groupe et je ne comprenais pas pourquoi ça ne fonctionnait pas. J’ai fini par comprendre que je fais une musique d’ascendance électronique, donc il faut que je garde ce côté-là. Tout le reste, c’est mon frère qui joue du clavier, c’est moi qui travaille ma voix avec des pédales, qui joue de la guitare… Ce sont des ajouts qui rendent le live un peu plus vivant.

Quand les gens viennent, je ne veux pas qu’ils viennent écouter un CD. J’ai été très déçu de voir certains concerts de rap quand j’étais môme. J’ai eu l’habitude de voir des concerts avec mes darons où je voyais des guitares, des batteries… Et puis finalement, tu vas voir ton rappeur préféré tout seul avec ton micro, et tu te fais chier. Mon but, c’est de fabriquer une nouvelle sorte de live de rock, mais sans batterie.

LVP : Pour autant, tu as tout de même des références rap. Est-ce que tu peux nous en parler ?

FC : Je suis rentré dans le rap vers 10 ou 11 ans en écoutant West Side de Booba. Ensuite, je suis tombé sur un morceau des Sages Poètes de la Rue qui s’appelle Bouge tête seuf’, qui a été ma première expérience esthétique du rap. J’écrivais déjà des petits textes parce que j’étais un gamin un peu torturé, et ça m’a donné envie de les mettre en musique.

LVP : Dans ton premier clip et plus globalement dans ta musique, le lien à la spiritualité et la mythologie est très présent. D’où est-ce que ça te vient ?

FC : Pour moi, c’est une idée qui est fondamentale. Depuis la préhistoire jusqu’à maintenant, je me suis aperçu que tous les humains ont les mêmes désir et veulent répondre aux mêmes questions. On n’a rien inventé à avoir peur de la mort ou à avoir envie de baiser toutes les vingt secondes. En étant un peu réducteur, en tant qu’artiste, on ne peut parler que de l’amour ou de la mort. Ce sont des grands thèmes mythiques qui transparaissent dans des mythologies bien plus anciennes.

C’est quelque chose qui vit avec moi, j’ai toujours une grande image dans la tête quand j’écris un morceau : Nanna, c’est une métaphore filée sur la Lune et c’est aussi le nom de la déesse sumérienne de la Lune. Il faut toujours se référer à ces mythes-là parce qu’ils ont touché des pans entiers de l’Humanité ! Forcément, pour rendre la musique universelle plutôt que de raconter ta petite vie, il faut se référer à ces mythes-là. Ce serait présomptueux et idiot de penser qu’on peut créer d’autres images, tout a déjà été créé.

LVP : Pour terminer, est-ce que tu peux partager avec nous un de tes coups de cœur récents ?

FC : Je vais regarder Deezer parce que j’ai passé la journée en studio et j’ai mon dernier morceau qui tourne dans la tête en boucle (rires).

Je trouve qu’Arthur Ely fait un mélange vraiment intéressant entre la variété et le rap. Il vient de sortir un EP que je te conseille d’écouter.

Fils Cara sera en concert le 14 novembre prochain à la Boule Noire. Son nouveau morceau, Contre-Jour, vient de sortir et annonce la parution de son premier EP, Volume, le 17 janvier prochain.

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