Entrez dans la lumière avec MATA, le dernier album de la grande M.I.A.
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Auteur·ice : Philomène Raxhon
26/10/2022

Entrez dans la lumière avec MATA, le dernier album de la grande M.I.A.

D’après M.I.A., l’hindouisme, religion dans laquelle l’artiste originaire du Sri Lanka a été éduquée, verrait dans les inégalités du monde l’expression du chaos inhérent à l’humanité. Le christianisme, sa religion d’adoption, lui, expliquerait la discrimination et les injustices comme une affaire de bien et de mal, le tout étant de faire preuve de compassion pour guérir le monde. Avec son dernier formidable album, MATA, peut-être M.I.A. cherche-t-elle à nous enseigner la compassion dans le chaos. Une chose est sûre, aujourd’hui et depuis ses débuts en 2005, ce que M.I.A. cherche par-dessus tout, c’est à nous faire réfléchir sur le dancefloor

Depuis son précédent album, AIM, sorti en 2016, il y a eu du changement dans la vie de Mathangi Arulpragasam, dite M.I.A.. À savoir : l’interprète de Bad Girls a trouvé le Christ (not a joke). Si vous vous inquiétiez encore de cet acid trip à Dour 2019 ou de cette fois où vous avez proposé une branlette dans les toilettes du club, Diam’s et M.I.A. sont là pour vous assurer qu’il n’est pas de pécheur·eresse que Dieu n’accepte pas en son royaume. Une “chrétienne nouvelle-née” (oui, oui, comme les nouveaux-nés de Twilight), c’est donc ainsi que se considère désormais l’artiste londonienne. Que tout le monde se rassure, celle qui avait jadis choqué l’Amérique (cette mijaurée) en brandissant son majeur à la caméra lors du Super Bowl, n’a rien perdu de son goût pour la rébellion.

 

MATA s’ouvre sur F.I.A.S.O.M. parties 1 et 2. F.I.A.S.O.M. pour Freedom Is A State Of Mind, la liberté est un état d’esprit. Les titres se parent de voix d’enfants mêlées à une rythmique enragée qui annonce la couleur. La musique de M.I.A. est un savant amalgame anachronique de musique orientale traditionnelle couplée à des beats produits par Diplo, Skrillex ou encore Pharrell Williams. Avec les années, son style s’est affranchi de l’insouciance de la jeune femme originaire du Sri Lanka bercée au rap londonien 90s. F.I.A.S.O.M. part. 2 peut rappeler Boyz de l’album Kala, en plus prise de la Bastille contemporaine et moins première sortie en boîte.

Ce sixième opus est un album exaltant. Zoo Girl est de ces morceaux que tu aurais envie d’entendre en soirée pour du vrai. Malgré ses 17 ans de carrière (ou justement grâce à eux), M.I.A. appréhende l’électro et le hip hop comme peu d’autres artistes. On citera Noga Erez ou Shygirl comme dignes héritières de ce style si galvanisant, créé par des femmes pour des femmes, histoire qu’elles bougent comme elles l’entendent sur des morceaux qui ne sapent pas le moral du genre entier avec des paroles dégradantes tant qu’on y est. Time Traveler, Puththi ou MATA LIFE sont aussi de ceux-là. Ici, c’est toute la maîtrise de la dance music couplée à un sample traditionnel dont M.I.A. a le secret qui transparaît. The One et son clip, réalisé par ses soins, nous rappelle quant à lui l’étendue du talent de l’artiste diplômée du prestigieux Central Saint Martin College de Londres, section Beaux-Arts, cinéma et audiovisuel.

 

La révolte de M.I.A. sait aussi se faire douce et abordable. KTP, keep the peace, a une intro qui rappelle une version édulcorée de Paper Planes, morceau sorti en 2007 mais qui vaut toujours à Mathangi Arulpragasam le titre de référence en matière de musique à écouter en roulant vite sur l’autoroute façon Thelma et Louise. La même intro qu’on peut voir M.I.A., alors enceinte de 9 mois, interpréter sur la scène des Grammy Awards 2009. Une badass on vous dit ! Sur KTP, une chorale de jeune voix appuie le propos : la violence n’a rien de cool et la paix est possible. La chanson se conclut sur un namasté scandé par des enfants, un peu campagne de pub UNICEF mais tout de même percutant. L’album, lui, se conclut sur Marigold et plus de chorales. L’artiste nous y invite à couvrir le monde d’œillets d’Inde, une incantation toujours un brin we are the world, we are the children mais qui, de sa mélodie feutrée, habille M.I.A. en prêtresse aimante.

When times are difficultWe’re gonna need a miracle[…]The world’s in troubleCover it in Marigolds

En douceur ou avec rage, M.I.A. sait faire siens les combats qui écorchent le monde. Sa démarche est tournée vers une critique de l’hypocrisie écologique sur 100% Sustainable, dont la voix monotone rappelle les éléments de son album précédent, AIM, largement inspiré par la crise migratoire de 2015. Popular, premier single de MATA, s’attaque ensuite à l’égocentrisme ambiant, entre réseaux sociaux et peur du vide. Comme l’explique l’artiste dans une interview menée par Grimes pour Paper Magazine, ce dernier album s’adresse autant aux conflits du monde qu’aux conflits internes, de ceux qui ébranlent l’égo : “The whole [album] is not a struggle with the world, but a struggle with yourself — changing and adapting and remembering who you are, but okay to let things go and also becoming part of a larger community so you’re not acting as an individual. It’s not necessarily all about you”. 

[“L’album, dans son intégralité, n’est pas une lutte avec le monde mais une lutte avec soi-même – changer, s’adapter et se souvenir de qui l’on est, mais c’est aussi bien de lâcher prise et de faire partie d’une plus grande communauté pour ne pas agir de manière individuelle. Tout ne tourne pas toujours autour de soi”]. 

 

MATA, “la mère” en sanskrit, est un opus qui ne déçoit pas. À l’image de Peaches ou Azealia Banks, la Londonienne fait partie de ces artistes qui ouvrent la voie à des profils différents et inspirés dans les milieux du rap, de l’électro, du hip hop et de la musique alternative. L’expertise avec laquelle Mathangi Arulpragasam nous cueille grandit avec chaque projet. La musicienne se fait toujours plus spirituelle et prête à partager avec nous son cheminement vers la grâce. Si l’on n’est peut-être pas encore mûr·es pour la bassine en fonte, la tronche sous l’eau, la délivrance des péchés et le baptême en bonne et due forme, on acceptera avec précipitation de devenir les enfants de la déesse M.I.A. le temps d’un album.

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