Elle a beau clamer qu’elle n’a rien d’une super-héroïne, cette personne fictive fédère sur son passage. Et plutôt que de chercher à sauver le monde, elle nous invite à en créer un à notre image, fait d’amour, de sauvagerie et de liberté. À l’occasion de la sortie (enfin !) du délicieux I’m Not Here To Save The World, on s’est réfugié à l’église Notre-Dame-De-La-Croix pour échapper à une averse et discuter entre quelques photos. Rencontre avec Lulu Van Trapp.
| Photos : © Alice Sevilla
La Vague Parallèle : Hello les Lulus ! Après des années à voguer de concerts en concerts, vous sortez enfin votre premier album. C’est une grosse étape ?
Rebecca : De ouf ! Ce n’est pas du tout la même partie du métier. Même si on a rossé plein de salles parisiennes, on n’est pas passé par le chemin classique avec single, puis EP. Très tôt, on a rencontré notre manager Azzedine, et tout de suite le projet a pris un tour ambitieux. C’est hyper excitant car c’est la première fois qu’on sort quelque chose, et c’est tout de suite en grand. Dix morceaux très produits, très réfléchis, pour lesquels on a vraiment pris notre temps. On est comme des fous, la sortie a été décalée pendant le confinement.
On a aussi beaucoup envie de faire de nouvelles chansons, celles-là appartiennent à la scène. Il faut les claquer sur une bande, que les gens puissent les écouter, et passer à autre chose. – Nico
LVP : Si la sortie a été décalée, pourquoi le sortir spécifiquement maintenant ?
Max : On a déjà trop attendu. C’est le moment. Il faut avancer et se dévoiler au monde. Il y a plein de gens qui nous ont vus en concert, mais ça fait trop longtemps qu’on a cet album sur nous. Il est temps de l’offrir.
Manu : On l’avait repoussé car on pensait que tout allait reprendre et enchaîner sur une tournée. Mais on commence à se dire qu’on n’a aucune idée de quand ça va repartir. Peut-être dans deux ans ? On n’a aucune visibilité. On se doit de faire autrement.
Rebecca : C’est sûr qu’il deviendrait presque obsolète si on attendait trop. Cet album, c’est aussi un témoignage de nos premières compositions, de nos premières années. On commence déjà à évoluer musicalement.
Nico : On a aussi beaucoup envie de faire de nouvelles chansons, celles-là appartiennent à la scène. Il faut les claquer sur une bande, que les gens puissent les écouter, et passer à autre chose.
LVP : À l’image de Valley of Love, ces chansons ont une grosse énergie sur scène. Comment fait-on pour les claquer sur bande, comme tu dis ?
Max : Pour le coup, Valley of Love a eu plusieurs visages, et elle a été très dure à contenir. Cette énergie sauvage a été dure à retranscrire. Au final, nous l’avons synthétisée.
Nico : Essentialisée !
Max : Voilà ! On lui a donné une autre vibe, peut-être moins sauvage ?
Rebecca : Moins sauvage, je ne pense pas. Mais ça faisait partie d’un tout. C’est toujours intéressant de passer ses chansons d’un live à une ré-interprétation sous un autre angle. Je ne suis pas trop partisane de faire exactement la même chose. On voit le studio comme une manière d’ajouter des layers, des intentions qui ne sont pas réalisables en live. En tant que chanteuse, le concert est une espèce de grand cri, tout est tellement fort. On est pris par cette vague d’énergie. Là, on a pu avoir une voix plus concentrée, plus douce sur certains passages. Pousser toutes les nuances. Le process de l’album a été de prendre un peu de recul par rapport à ces versions toutes plus dynamiques les unes que les autres.
Max : L’aller-retour entre le live et le studio est hyper intéressant. Avec Azzedine, on a enregistré le best-of de nos chansons de concert, et ça nous a permis d’avoir un nouvel œil sur nos chansons, enlever le superflu. Et créer ces nuances, ces fluctuations dont parlait Rebecca. Aller au-delà de l’énergie pure, parfois se contenir pour mieux exploser. On a gagné en maturité à ce niveau-là.
Nous ne sommes pas des super-héros. On a parfois l’impression de ne pas avoir de pouvoir sur ce monde-là. Est-ce que c’est ce monde qu’on voudrait sauver ? Est-ce qu’on ne peut pas plutôt aller se projeter dans l’après ? – Rebecca
LVP : L’album s’appelle I’m Not Here To Save The World. Que représente cette maxime à vos yeux ?
Rebecca : Ce titre vient de Joan of Arc, cette petite Jeanne d’Arc fantasmée. Ce n’est pas tant le titre de l’album mais plutôt son fil rouge. Il représente notre état d’esprit. On n’a jamais écrit et rassemblé ces chansons en se disant qu’on n’était pas là pour sauver le monde. Mais maintenant qu’elles sont toutes là, c’est un peu le statement qui nous vient. C’est une façon de dire que nous ne sommes pas des super-héros. On a parfois l’impression de ne pas avoir de pouvoir sur ce monde-là. Est-ce ce monde qu’on voudrait sauver ? Est-ce qu’on ne peut pas plutôt aller se projeter dans l’après ? J’ai perdu le fil de mes pensées. (rires)
Manu : Je t’ai vue partir au loin, je me demandais “mais qu’est-ce qu’elle voit, là ?“. (rires)
Tout acte artistique un tant soit peu pensé est un acte politique. En tant que femme, juste le fait de sortir de chez moi est un acte politique. – Rebecca
LVP : Au-delà du fun, il y a tout de même un côté revendicatif dans votre art. Je me rappelle d’un concert au Hasard Ludique où vous étiez les trois mecs maquillés et Rebecca avait perdu son costume. Tu avais dit que si tu avais été un homme, personne ne t’en aurait tenu rigueur, et tu avais fini le concert torse nu.
Rebecca : Oui ! Forcément, quand tu es artiste, même si tu n’écris que des chansons d’amour et que tu ne parles pas dans tes chansons des grands sujets qui te traversent, tout acte artistique un tant soit peu pensé est un acte politique. En tant que femme, juste le fait de sortir de chez moi est un acte politique. C’est vrai ! Juste la façon dont je vais m’habiller, dont je vais marcher, si je vais avoir le regard droit devant moi ou si je vais regarder par terre, c’est déjà politique. Et quand, sur scène, je n’avais pas prévu de montrer mes seins mais mon costume se défait, je vais essayer de transcender ça. C’est marrant, après ce concert-là, plein de nanas sont venues me voir après pour me dire que cet acte, pourtant tout petit, leur avait fait beaucoup de bien.
Nico : Et puis je pense qu’au moment où tu le fais, tu es plutôt dans un acte de s’en battre les couilles ou de se sentir plus à l’aise plutôt que de suivre une certaine réflexion.
Rebecca : Oui ! Et le fait de se sentir plus à l’aise en le faisant, c’est un truc politique. Le fait de dire “ouais, je suis à l’aise et ce n’est pas grave“, c’est politique, même sans aller loin, ça ouvre des chemins de pensée qui sont intéressants. Et ça rejoint le titre de l’album. Je suis contente qu’on l’ait appelé comme cela parce que ça nous amène à parler d’autre chose que du fait qu’on écrive des chansons d’amour. Là, on peut parler de dix mille autres choses. Je trouve ça trop cool, ça nous permet de ne pas être juste des musiciens mais de faire partie d’une génération qui s’interroge sur ce qu’est le geste artistique.
Max : Je pense aussi que certaines des chansons d’amour que nous avons viennent de ce sentiment de liberté qu’on a tous et que tu as toi particulièrement. Ça raconte beaucoup de moments de liberté que tu as. C’est très intrinsèque.
LVP : Parmi vos anciennes sorties, seule The Echo a été gardée. Pourquoi celle-là en particulier ?
Rebecca : The Echo, c’est l’acte de naissance de Lulu. La première qu’on a composée avec Max. Elle parlait de notre relation à tous les deux, et de notre envie d’être ensemble et de faire nos vies de cette façon. Elle est très symbolique pour nous.
Nico : Et même esthétiquement, on s’est plus reconnu dans un The Echo que dans d’autres. Il y a des chansons qu’on a kiffé faire à un moment donné, mais qui appartiennent moins à l’album.
Lulu, c’est l’écran sur lequel chacun projette ce qu’il a envie d’y voir – Manu
LVP : Au cours de l’album, ces chansons sont centrées autour du personnage de Lulu. Qu’est-ce qu’il symbolise ?
Manu : Lulu, c’est l’écran sur lequel chacun projette ce qu’il a envie d’y voir. Notre avatar collectif. Plutôt que d’avoir chacun un pseudonyme, on est Lulu. Ça nous offre une liberté, on le modèle comme on le souhaite.
LVP : Lulu, c’est un duo devenu quatuor ?
Max : On préfère quartette ! (rires)
Rebecca : À la base, c’est Max et moi qui avons imaginé Lulu. On se trouvait dans une phase de regroupement après le projet qu’on avait eu avant ça, et on avait envie de se retrouver autour de chansons au format plus simple. C’est venu d’une vraie envie de faire de la pop. Dans le groupe, on vient tous du punk, du rock, et je pense que ça se ressent beaucoup sur scène. Mais on a été émus par cette envie de faire de la pop. C’était très très lo-fi, on bidouillait ça dans la chambre du squat où il vivait, sur cassettes. C’était très mignon. Très rapidement, on a eu envie de développer la partie boîte à rythmes et batterie, et on a fait appel à Nico assez vite. Ensuite, Nico a ramené Manu pour s’occuper de la basse et de quelques synthés. Maintenant, c’est vraiment fluide entre nous. Eux trois sont tous un peu prod, ils touchent un peu à tous les aspects d’une composition. C’est une partie de ping-pong à quatre.
Manu : On se fait des passes en profondeur. (rires)
LVP : D’où le fameux maillot de foot Lulu Van Trapp que vous vendiez au Pop Up du Label ! C’était vraiment un superbe co-plateau avec Murman Tsuladze, qui fait aussi partie de cette scène qui ramène le fun en live.
Rebecca : On les adore !
Max : Ouais, ce sont des potos.
LVP : Vous vous sentez proches de projets comme eux ou FAIRE, par exemple ?
Rebecca : On vient tous de la même bande !
Max : Dès qu’il y a du fun, de l’énergie totale et ce truc décomplexé, oui ! On ne se reconnaît pas d’une scène particulière, mais on a une vibe en commun.
Nico : On se reconnaît des soirées qu’on a fait à Paris, aussi. Ce sont des mecs qu’on connaît depuis cinq, dix ans. On se croise en teuf. Obligatoirement, il y a une affinité.
Rebecca : Sans partager le même style de musique, on partage un idéal. Avec les Murmans en tout cas, c’est évident. On voit le monde de la musique de la même façon. Qu’est-ce que faire un spectacle ? Le rapport au public ?
LVP : Les spectacles se font pourtant bien rares en ce moment. À quoi ressemble le quotidien d’un live band sans live ?
Nico : Vu qu’on n’a pas ces concerts qui suivent habituellement une sortie d’album, on a dès à présent envie de passer cette étape du deuxième album. On est à fond dedans, là. Pour en revenir à ta question de tout à l’heure, c’est aussi pour ça qu’on sort I’m Not Here To Save The World maintenant. On a envie de passer à autre chose.
Rebecca : Et surtout, on a envie de le faire vivre. Ça fait un an et demi qu’il tourne entre nous quatre et Azzedine, et on a juste trop envie de le lâcher, qu’il ne nous appartienne plus.
Max : Et qu’il devienne d’utilité publique.
Nico : Et du coup, beaucoup de travail en studio actuellement !
Rebecca : Ça, et des clips. On clippe beaucoup.
Manu : Le psy, aussi, prend pas mal de temps. Pour nous comme pour beaucoup de collègues. (rires)
Max : On vient d’ailleurs de célébrer notre anniversaire sans concerts. Le dernier était au Plan à Ris-Orangis.
L’avantage de notre album, qui peut aussi être son inconvénient, c’est qu’il est très hétéroclite. Il y a autant de styles de musique que de chansons dans l’album. – Manu
LVP : Cet album sera l’occasion pour certaines personnes de vous découvrir. Pour faire connaissance avec Lulu van Trapp, il faut commencer par quelle chanson ?
Manu : L’avantage de notre album, qui peut aussi être son inconvénient, c’est qu’il est très hétéroclite. Il y a autant de styles de musique que de chansons dans l’album. Chaque chanson peut être une porte d’entrée pour quelqu’un en fonction de son style de musique. Je pense que la réponse, c’est “ça dépend“. (rires)
Max : C’est une bonne réponse !
Rebecca : Je dirais tout de même Joan of Arc, car c’est elle qui est porteuse de la phrase titre. Et si on veut parler de notre “philosophie“, qui on est, comment on pense, je ferais écouter celle-là.
Manu : Depuis qu’il est enregistré, je me le réécoute à peu près tous les trois mois en me rappelant que l’on a fait un album. À chaque fois, c’est une chanson différente qui ressort.
Max : En résumé, ça dépend aussi. (rires)
On va organiser des rave parties rock – Max
LVP : Maintenant que l’album sort, vous avez des pistes pour des concerts, même sans public ?
Rebecca : On va arrêter d’attendre. Faire des gros concerts sauvages, trouver des moyens.
Max : On va organiser des rave parties rock.
Rebecca : C’est sur le feu. Les gens peuvent nous envoyer leurs numéros de téléphone.
Max : Surtout s’ils ont un spot !
Manu : On veut des endroits assez grands pour que tout le monde ait la place de vivre.
LVP : Je suis partant !
Rebecca : Tu as un endroit ?
LVP : Dans l’église où on a pris les photos, ça vous tente ?
Rebecca : Grave !
Petit, je pensais que Daniel Balavoine était une femme. C’était d’ailleurs ma chanteuse préférée.