Et pendant 99 nuits, la douceur de l’été emporta Charlotte Cardin
"
Auteur·ice : Chloé Merckx
11/10/2023

Et pendant 99 nuits, la douceur de l’été emporta Charlotte Cardin

Lumineuse, somptueuse et vaporeuse, les mots nous manquent pour décrire l’éclat de la chanteuse québécoise Charlotte Cardin. C’est pourtant les imperfections que l’artiste a choisi d’explorer dans son dernier projet. Dans son dernier album 99 Nights, la chanteuse n’a pas peur de la vulnérabilité, alors qu’elle se livre sur ses émotions ressenties lors d’une période charnière de sa vie.  Charlotte Cardin est actuellement en tournée, vous avez peut-être eu l’occasion de la voir en concert à Paris ou à Bruxelles. Malgré un programme hyper chargé, la Canadienne a accepté de nous accorder quelques minutes pour discuter des 99 nuits d’été qui ont fait naître ses nouvelles chansons. 

La Vague Parallèle : Bonjour Charlotte ! Comment vas-tu ?

Charlotte Cardin : Ça va super et vous ?

LVP : Super, merci beaucoup de nous accorder cette interview ! Comment se passe ta tournée ?

Charlotte : Hyper bien, je suis trop contente. On a fait la première vague de dates en Europe, ça s’est trop bien passé. C’est un album qui est très chouette à jouer live alors on s’amuse énormément sur cette tournée.

LVP : L’autre jour on a eu la chance de te voir jouer à la Fifty Session à Bruxelles en piano-voix, c’était très chouette car on a également pu entendre quelques anecdotes sur tes chansons. Est-ce que c’est important pour toi d’avoir ce genre de moment pour partager ce qu’il y a derrière tes textes avec ton public ?

Charlotte : C’est hyper important, c’est vraiment un moment qui va rester gravé dans mon cœur. Comme on vient d’en parler, je suis en tournée et c’est vrai que dans les « vrais » concerts je prends moins le temps de plonger dans chaque univers de chaque chanson, donc de vraiment pouvoir me poser avec ce piano et avoir une proximité avec le public comme ça c’était très spécial pour moi. Puis en plus moi ça me permet de me replonger aussi dans le contexte dans lequel j’étais quand j’ai écrit les chansons, ça me fait réfléchir à ce que j’ai envie de partager avec le public, il y a plein de choses dont j’ai parlé auxquelles je n’avais plus pensé depuis des années donc ça me replonge dans des bons moments. C’est important pour moi de vivre ces moments hyper proches avec les fans. Je n’avais vraiment aucun stress avant ce concert, je me suis sentie super bien accueillie par le public. C’est des moments qui sont vraiment beaux dans une carrière quand on a la chance d’être connectée de façon aussi proche avec un public et de partager ses chansons d’une façon si personnelle.

LVP : Justement on voulait rebondir sur une anecdote que tu avais racontée par rapport à la chanson Daddy’s a Psycho. Tu as dit que pour toi il fallait parfois que l’art soit dérangeant, est-ce que tu sais nous en dire un peu plus ? 

Charlotte : Depuis que j’écris, ce que j’ai remarqué par rapport à ma musique, c’est que quand je me livre dans mes textes de façon très vulnérable, j’ai l’impression que comme je parle de choses tellement spécifiques, les gens ne vont pas forcément connecter avec ces chansons-là. Et au final souvent ce sont les chansons avec lesquelles les gens s’identifient le plus. Je pense que cette vulnérabilité et cette prise de risque permet aux gens de ressentir à quel point c’est vrai. Quand je dis que l’art ça doit être un peu dérangeant, pour moi c’est parce que si j’approchais le songwriting de façon toujours très complaisante en racontant à chaque fois la même chose, en ne me challengeant pas moi-même et en étant trop confortable dans ce que je raconte, je pense que je n’aurais plus envie de faire de la musique. Il faut aussi prendre des risques par rapport à ce que je vais découvrir sur moi-même dans le songwriting ou ce que je vais partager avec les autres. Je pense que les fans ressentent quand tu es authentique et que tu es vraie, ils connectent d’autant plus avec ça. Après de manière générale tu ne peux pas toujours faire l’unanimité dans l’art, pour cette chanson-là il y a des personnes qui sont venues me dire que c’était too much pour elles, que c’était trop cru, et c’est correct que t’aies des gens qui le sentent comme ça. Mais moi j’avais besoin de cet inconfort-là sur mon album parce que j’ai besoin de me challenger moi-même quand j’écris. Cette chanson a vraiment été un défi, elle a été difficile à écrire, elle est difficile à livrer, quand je la chante en concert je me sens vraiment hyper investie dans la performance et à la fin je suis souvent moi-même très émue.

LVP : Cette question de la vulnérabilité on la retrouve pas mal dans l’album, notamment sur la photo de cover

Charlotte : Effectivement c’est un peu ce qu’on voulait. Cet album-ci je le voulais plus imparfait, un peu moins lisse que le précédent de plein de façons. Dans sa musicalité, il y a plein de prises vocales gardées intactes, qui sont les premières, plein de lignes instrumentales, même si après il y a eu un très gros travail de production. Il y a beaucoup de choses qu’on a voulu garder un peu imparfaites, pour garder cette magie-là. Et du coup cette pochette est à l’image de cette imperfection, de cette vulnérabilité, l’album c’est comme une fenêtre sur ma vie et cette photo représente exactement ça. C’est une vraie photo que mon amoureux a prise de moi quand on était en voyage, évidemment on ne pensait pas que ça allait devenir une cover. Mais trouve que c’était vraiment à l’image de l’album, il y a cette douceur, cette vulnérabilité mais en même temps c’est imparfait, il y a du grain et la métaphore du fait que je sois dénudée sur l’album représente mes chansons qui sont un peu une mise à nu.

 

LVP : Est-ce que tu pourrais nous expliquer ce que ces 99 Nights représentent pour toi ?

Charlotte : L’ADN de l’album a été trouvé et créé durant un été pendant lequel moi je traversais beaucoup de choses. Et pendant cette période, le songwriting m’a beaucoup aidée, c’est quelque chose qui m’a fait énormément de bien. J’étais en studio avec mes amis, on créait,  c’étaient un peu les seuls moments de l’été où j’arrivais à me déconnecter des choses que je traversais. Donc les 99 Nights c’est à l’image de cette période, ce n’était peut-être pas tout à fait 99 nuits, c’était peut-être 94 (rires) mais voilà, c’est à l’image de cet été-là.

LVP : Pour cet album-ci c’était pendant l’été, mais est-ce que en général quand tu écris tu as besoin d’être dans un espace-temps particulier ? 

Charlotte : Puisque je tourne beaucoup et que je voyage, je n’ai pas forcément le temps de consacrer des périodes de temps uniquement à l’écriture, parce que sinon je n’aurais jamais le temps de le faire. Mais c’est vrai que pour cet album, je venais tout juste de terminer l’album précédent, on était à la fin de la pandémie donc j’avais du temps off parce que je n’allais pas tourner tout de suite ; je devais attendre que les salles ouvrent. Donc j’ai pu me consacrer juste à l’écriture, avec mes amis on avait le temps d’écrire, mais c’est aussi parce que j’en avais besoin. J’ai senti que j’avais envie de retourner en studio, ça faisait un petit moment que l’album était fini alors j’avais pas mal d’inspiration créative. Mais malheureusement en général c’est un peu moins romantique comme processus, il faut que je consacre quelques mois d’écriture parce que sinon je n’y arriverais pas. Je tourne beaucoup, je suis souvent dans des villes différentes.

LVP : Dans cet album on trouve des textes qui sont très personnels et en même temps ta musique donne souvent envie de danser, est-ce que pour toi c’est une manière de dédramatiser ?

Charlotte : Oui je pense que sur cet album, avec le contexte dans lequel je l’ai écrit, j’avais vraiment besoin de me changer les idées à plein de niveaux, donc je me suis permis de faire des chansons un peu plus playful et vraiment d’élargir mon terrain de jeu musical. Donc en effet, ça donne des chansons parfois un peu plus dansantes, mais au final quand je réécoutais les paroles quelques jours plus tard, je me rendais compte qu’il restait une profondeur dans les textes et les thèmes abordés, justement parce que c’était une période dans laquelle je me posais plein de questions. On ressent ces deux choses, c’étaient deux choses que je vivais, d’une part le côté échappatoire, j’avais besoin de plaisir, de playfulness et d’autre part j’avais besoin de me confier sur des choses que je vivais et de les comprendre moi-même. Sur l’album on ressent ces deux contradictions.

LVP : Dans ta chanson Confetti, tu abordes le fait d’être introvertie, comment as-tu fait pour trouver ta place et ne pas vider tes batteries sociales dans un métier qui demande justement à ce qu’on soit plutôt extravertie ?

Charlotte : Même si je suis plus introvertie, je reste très fonctionnelle dans les contextes sociaux. C’est plus quand je suis entourée de beaucoup de gens, ou qu’il y a beaucoup de bruit, de monde et d’activité autour de moi, c’est quelque chose qui vide mon énergie au lieu de la recharger. Je ne me sens pas rechargée par des interactions sociales qui incluent plus qu’une ou deux personnes (rires). J’ai appris à vivre avec mais j’ai aussi développé des trucs quand je suis en tournée, même si on n’est pas une très grosse équipe on est généralement huit ou neuf sur la route, je dois trouver des moments où je peux vraiment être seule et intégrer ça dans ma routine. Mon groupe comprend très bien ça, ça fait environ huit ans qu’on tourne ensemble donc tout le monde respecte les limites personnelles de chacun·e. Alors moi c’est assez intégré le fait que j’aime être seule le plus souvent possible et après ça me permet d’être correcte en contexte social une fois que j’ai mes batteries.

LVP : Avec la chanson Jim Carrey tu parles beaucoup de l’ego, qui fait aussi partie de ton métier. Quel a été ton chemin par rapport à ça ?

Charlotte : Je pense que tout le monde a une part d’ego qui peut te freiner dans certains aspects de ta vie et c’est pas forcément par rapport à la notoriété. Pour moi, c’est plutôt une voix intérieure qui nous démotive ou qui nous encourage, une voix qui nous dit qu’on n’est pas à la hauteur ou qu’on ne va pas y arriver. Donc c’est une chanson qui s’adresse à ces petites voix. Jim Carrey dans ses interviews a souvent abordé cet ego qui nous retient et qui nous empêche d’atteindre tous ces objectifs qui sont parfois juste devant nos yeux mais qu’on n’arrive pas à atteindre parce que on se démotive nous-même. Je le trouve hyper éloquent et brillant quand il parle de ce sujet donc j’ai vraiment connecté à ça. Mais je pense que tout le monde a une part d’ego qui le freine quelque part, je pense que c’est le travail d’une vie d’arriver à faire taire ces voix. Après effectivement peut-être que quand on commence à être connu·e il faut réussir à faire cette distinction entre nous-même en tant qu’humaine et Charlotte, la personnalité que les gens voient sur les réseaux sociaux ou quand ils écoutent ma musique. Parfois c’est dur de réconcilier ces deux aspects et de se rappeler qui on est réellement à la base et puis de rester positive quand on se fait des pep-talks dans notre tête (rires). Donc c’est vraiment à propos de ça, mais de plus en plus j’arrive à suivre mes instincts et à être patiente avec moi-même mais c’est un travail, c’est un work in progress.

Charlotte Cardin

© Aliocha Schneider

LVP : Tu as récemment sorti un single qui s’appelle Feel Good, est ce que tu peux nous parler de ton processus d’écriture ? 

Charlotte : C’est une chanson qui à la base était écrite uniquement en anglais, qu’on avait composé au tout début du processus de l’album. Puis on trouvait qu’elle n’avait pas forcément sa place dans l’album, elle était beaucoup plus house que les autres chansons de l’album. C’était quand même une chanson que j’aimais bien mais il y avait quelque chose qui ne fonctionnait pas. Je la gardais en tête mais je n’arrivais pas à lui trouver sa place dans le projet. Puis quand on a terminé la création de l’album, qui était 100% en anglais, j’avais envie d’écrire en français, j’avais besoin de ça, du coup avec mon producteur on a eu l’idée de ressortir cette chanson mais de la transformer complètement et de réécrire le refrain, les couplets et de changer un peu les mélodies. On a donc ressorti la maquette qui avait un refrain qui ressemblait fort mais des notes différentes. C’est une chanson qui partait un peu comme un genre de plaisir coupable et c’est devenu en studio quelque chose qui m’excitait énormément. Il y avait cette influence un peu Voyage Voyage, un peu chanson française des années 80 qui me plaisait énormément. Et donc c’est vraiment devenu une chanson qui me plait beaucoup mais elle a connu plusieurs vies avant de devenir ce qu’elle est maintenant.

LVP : C’est intéressant quand tu dis que tu voulais absolument écrire en français, c’est vraiment un besoin ? 

Charlotte : Oui parce que j’aime beaucoup écrire dans les deux langues, j’arrive à exprimer différentes parties de moi et je ne l’avais pas fait dans l’album 99 Nights donc j’avais juste envie d’écrire en français.

LVP : Next to you, c’est une chanson qui est très émotionnelle, que tu as composée avec le musicien Patrick Watson. Comment êtes-vous arrivés à ce résultat ? 

Charlotte : L’été dernier, j’ai écrit à Patrick Watson sur Instagram, j’étais en tête d’affiche de la soirée d’ouverture d’un gros festival qui s’appelle le Festival d’été de Québec, et j’avais envie d’avoir des inspirations spéciales dans mon concert. J’ai écrit à Patrick, ne sachant même pas s’il allait voir le message, de venir chanter avec moi. Puis, non seulement il a accepté de venir chanter avec moi, mais en plus il m’a dit qu’on devrait faire de la musique ensemble donc j’étais vraiment ravie. Donc depuis ce moment on écrit beaucoup ensemble, à chaque fois que je suis à Montréal je passe à son studio pour faire des chansons. Et cette chanson, Next To You, on a mis sept ou huit mois à l’écrire. C’était un très long processus créatif parce que c’est une chanson qui parle de laisser quelque chose de côté. Ça parle de grandir et de devenir la personne qu’on souhaite être, et moi c’était un moment dans ma vie où justement je prenais plein de décisions, et c’est comme si elle avait grandi chronologiquement au fur et à mesure que je prenais des décisions dans ma vie. C’est particulier pour moi parce que d’habitude j’écris mes chansons en ayant des réflexions sur un évènement qui s’est déjà passé, mais cette fois-ci j’étais en train de le vivre. Donc avec Patrick on parlait, on se racontait des histoires et cette chanson a vraiment grandi de manière organique, un mois à la fois, un accord à la fois, puis ça a été restructuré plein de fois. C’est vraiment une chanson qui a pris beaucoup de temps à s’écrire et je suis passée à travers toute une gamme d’émotions, c’est devenu ma chanson préférée de l’album parce qu’il y a toutes ces émotions et que ça parle de quelque chose que je vivais.

LVP : Et pour finir, quels sont tes projets pour la suite ? 

Charlotte : Là je vais tourner beaucoup, on a des dates jusqu’au mois de mars, on a des très beaux concerts prévus. Puis évidemment je vais travailler sur d’autres chansons, j’adore écrire, j’adore être en studio donc je vais continuer à faire de la musique et m’amuser.

LVP : Merci beaucoup Charlotte, c’était un plaisir ! 

Charlotte : Merci, à la prochaine !

Spécialement sélectionné pour toi :

Découvre d’autres articles :

Bleu:
Bleu: