Des anges avec des piercings sur les ailes, la tour du château cristal, ses amis fantômes et des étoiles qui le regardent : bienvenue dans l’univers d’eugene. Il a des allures de roman fantastique, cet univers. Il est sombre, émotif et un peu triste. Pourtant, il est interprété avec plein d’énergie sur des sonorités hyperpop et techno. C’est le contraste de la musique d’eugene : on écoute en boucle l’intro de World End, son dernier EP, seul chez soi et on veut danser en club sur la deuxième track.
La Vague Parallèle : Hello eugene. Il y a quelques semaines, il y a eu la release party de World End, ton dernier EP, à la Brasserie Illegaal. Comment ça s’est passé ?
eugene : C’était trop bien ! Y avait plein d’invités, des gens de partout : de Bruxelles et de France. Il y a même un gars qui s’est déplacé depuis Toulouse. Ça s’est fait en famille. Y a du monde qui est venu alors qu’on a annoncé ça quelques jours à l’avance seulement. Il y a eu une super chouette ambiance, c’était une bête de soirée.
LVP : En annonçant la soirée, tu disais que c’était important pour toi de le faire à Bruxelles. Pourquoi ?
eugene : J’ai dit ça moi (rires) ? En vrai c’est important pour moi parce que c’est là d’où je viens. Cette année j’ai découvert ce qui se faisait en France et j’ai pas mal traîné dans des soirées là-bas. Par exemple, j’ai été aux Rêves Partys de Yume et j’ai été choqué par l’énergie de cette communauté. J’avais jamais vu un concert où le public était aussi curieux de la musique proposée et où les artistes étaient aussi bienveillants entre eux. En fait, c’est une vrai scène qui implique tout le monde : les artistes, le public mais aussi les organisateurs, les photographes et les ingés son. Je trouve ça important d’essayer de faire pareil et de retrouver cette énergie à Bruxelles. Je pense que c’est une ville où il peut se passer ce genre de choses en ce moment.
LVP : Il y a une scène qui est en train d’émerger à Bruxelles aussi ?
eugene : Franchement, je sais pas. J’ai l’impression que c’est le genre d’expression qu’on utilise tous les cinq ans quand y a des artistes qui commencent à faire parler d’eux. Je trouve ça un peu pompeux de dire ça. Je pense que c’est quelque chose sur lequel on peut parler qu’à la postérité. Il faut se contenter de faire et on verra dans cinq ans si c’était vraiment une scène ou si c’était juste des gens qui faisaient de la musique entre eux et qui se sont éparpillés par la suite. Après, c’est vrai que ça fait longtemps qu’on a plus vu une scène prendre le devant à Bruxelles. Soit parce que les gens se sont trop vite éparpillés ou qu’ils ont été signés par des majors qui ont estampillé leur musique. Puis y a le covid qui a brisé des élans aussi. Avec ce qui se fait dans le rap ici depuis deux-trois ans, peut-être qu’on est en train de faire quelque chose. Mais ça sert à rien d’être pompeux, on verra !
LVP : Tu dirais quoi toi si des majors venaient vers toi ?
eugene : (rires) Si une major peut me permettre de bosser un big projet et de donner un billet aux gens avec qui je bosse, c’est cool ! Après, on est pas bêtes, on signera pas n’importe quoi. On signera uniquement si ça nous permet de faire de la bonne musique dans la direction où on veut aller. L’important c’est qu’on puisse toujours faire ce qu’on aime et qu’on reste entre nous.
LVP : Ça semble important pour toi le fait de “rester entre nous”. D’ailleurs, quand on parle de toi, on parle aussi souvent de ton entourage, de ton groupe XXL ou de J&A. Quelle est l’importance pour toi d’être entouré dans ta musique ?
eugene : La musique, c’est pas l’œuvre d’une seule personne. C’est le fruit de plein de choses, ça dépasse l’individualité. J’ai toujours été entouré dans la musique. Il y a tellement d’amitiés qui se sont crées grâce à elle. Moi, je peux pas faire ça tout seul. Ce serait une illusion de croire qu’on peut se faire solo. On est toujours influencé par son entourage et par ce qu’on aime.
LVP : On a l’impression que tu te crées des mondes à toi dans ta musique. T’évolues dans d’autres univers où il y a des anges et des fantômes. Ils te viennent d’où ces univers ?
eugene : C’est dans ma tête ! Ces univers, ces mondes, ces images, je les crée dans ma tête. C’est des images mentales qui veulent dire plein de choses pour moi. Je réfléchis beaucoup à ce que j’écris. L’écriture est tout aussi importante que la musique pour moi. Je me suis toujours beaucoup exprimé en utilisant des métaphores, des symboles. Ça me permet de comprendre le monde qui m’entoure. Même dans mes relations proches, j’utilise souvent des images pour m’exprimer. Je pense que c’est des clés de lecture pour mieux appréhender le réel.
LVP : Dans ton écriture, tu utilises beaucoup de gimmicks. Il y a certaines phrases qui reviennent souvent dans tes morceaux. En tant qu’auditeur, ça permet d’avoir une lecture transversale de tes projets. C’est une volonté de ta part ?
eugene : Je sais pas trop. Je pense qu’il y a des phrases ou des images que j’aime répéter sur plusieurs sons parce qu’elles font sens pour moi. Et comme tu dis, j’aime bien voir chaque EP comme un univers avec des rapports entre les sons. Les gimmicks que je répète aident à créer cet univers.
LVP : Dans l’intro de World End, tu dis “Il est loin le paradise, on en a fait du chemin“. Tu fais référence à Paradise Kiss, ton EP précédent ?
eugene : Exactement ! Paradise Kiss je l’ai écrit y a longtemps. C’était en 2021 donc évidemment j’ai fait du chemin depuis. Que ce soit musicalement ou dans la vie, je suis plus là où j’en étais.
LVP : Qu’est-ce qui a changé depuis ?
eugene : Paradise Kiss, c’était un moment où je renouais contact avec Ego8 et où je rencontrais Neophron. On était vraiment en train d’expérimenter un nouveau son. J’avais l’impression qu’on était les seuls à faire ce son-là. Avec le recul, je sais que ce n’était pas le cas mais c’était l’impression que j’avais à ce moment-là. On expérimentait, on testait des trucs, on bidouillait. Avec World End, on a essayé de maîtriser tout ce qu’on a expérimenté avec Paradise Kiss. En commençant World End, on savait vers où on allait. Il y a une continuité entre les deux projets mais on a eu la volonté d’aller plus loin. Entre les deux projets, il y a aussi eu ma rencontre avec Neophron. Il m’a fait découvrir qu’en France, il se passait des trucs grave intéressants alors que j’avais un peu décroché sur ce qu’il se passait musicalement là-bas. Dans ma vie personnelle aussi il s’est passé plein de trucs : j’ai déménagé, j’ai repris les études, je me suis éloigné de pas mal de choses. Je me suis rendu compte que j’avais envie de voir ailleurs, de voyager. De quitter la ville comme je dis dans l’EP. C’est pour ça que j’ai appelé l’EP World End. C’est pour marquer la fin d’un cycle et le début d’un nouveau.
LVP : Ça y est, t’as trouvé ton son maintenant ?
eugene : Pour World End en tout cas, on a trouvé un son. L’EP est cohérent, j’en suis trop content. Mais si j’ai arrêté World End à six titres c’est parce que j’estimais avoir fait ce que j’avais à faire avec ce son-là. Et forcément, j’ai toujours envie de faire évoluer ma musique. Sinon, on stagnerait et stagner c’est mourir.
LVP : Quand est-ce qu’on peut s’attendre à un album d’eugene ?
eugene : Je sais que le prochain projet, j’aimerais prendre moins de temps à le faire. Dès que tu passes plus de six mois sur un projet, ça devient pénible. Si tu peux pas y dédier toute ta vie, ça amène des passages à vide et des moments douloureux à vivre. Si tu te fixes une limite dans la phase créative, ça permet de faire ça dans une manière plus décomplexée et paisible. Le but, c’est de faire de la musique en étant en paix. Quand tu commences à travailler avec un label, on vient te parler de toutes sortes de choses qui n’ont rien à voir avec la musique. Le but, c’est de garder une partie de pureté là-dedans. Plus tu commences à rentrer dans l’industrie, plus c’est des choses superflues qui prennent de la place. Il faut pas oublier pourquoi tu fais de la musique. J’ai envie de rester les mains dans la musique et je pense que me fixer une limite de temps, ça peut aider. Pour ce qui est d’un album, je sais pas encore. Je suis partagé entre refaire un truc assez léché comme World End où partir sur une mixtape où j’inviterais pas mal d’artistes en featuring. En vrai, je vais juste faire de la musique et je vais voir ce qui va sortir.
© Melissa Fauve
LVP : Tu t’es pas toujours appelé eugene, avant c’était Mélo. Pourquoi t’as choisi de prendre ton vrai prénom comme blaze ?
eugene : Tu sais, parfois je vois ça comme un fardeau et je me dis que c’est juste mon prénom et que je l’assume jusqu’au bout. Au moment où je suis passé de Mélo à eugene, c’était une période où j’ai eu beaucoup de révélations et de remises en question. Choisir mon prénom, ça marquait l’idée d’être le plus vrai possible. Parfois je me dis que je me sentirais plus libre avec un autre blase, mais c’est comme ça. Et puis c’est drôle. Le père de ma copine il m’a dit que j’avais un blase de vieux alors que je faisais de la musique de jeune.
LVP : Musicalement aussi, ça a pas mal évolué depuis Chambre Rouge, ton premier EP sorti sous le nom de Melo.
eugene : A fond ! Chambre Rouge, je l’ai sorti à une époque où j’avais l’impression que le rap francophone était en train de s’essouffler. Ceux qui avaient apporté de la fraicheur vers 2015, soit ils devenaient nazes, soit ils s’essoufflaient. Et puis c’est un moment où il y a eu le #metoo du rap français où beaucoup de rappeurs se sont révélés être des agresseurs. Tout ça, ça m’a un peu dégoûté et blasé du rap francophone. Du coup, je me suis retrouvé à écouter d’autres styles de musique. Ma révélation ça a été How I’m Feeling Now de Charly XCX. Cet album m’a ouvert la porte à la pop, à l’hyperpop et à la musique électronique. Avant ça, j’étais un bousillé de rap francophone. J’écoutais que ça depuis que j’ai eu mon premier iPod. Dans la même année, il y a Playboy Carti qui sort Whole Lotta Red. Tu mets tout ça en même temps et tu rajoutes le confinement, ça m’a ouvert plein de portes. Ça a vraiment été un tournant dans ma vie.
LVP : Aujourd’hui, t’as séparé les profils Melo et eugene sur les plateformes de streaming. Tu voulais te dissocier de tes premiers morceaux ?
eugene : Je l’ai fait tout récemment, il y a deux semaines ! J’aime bien les artistes qui peuvent changer de nom dans leur carrière ou qui ont des projets différents sous différents noms. Avec Ego8, on parle de lancer un jour un projet en duo sous un autre nom. C’est peut-être un délire égocentrique de vouloir compartimenter sa musique. Mais pour moi, ce que j’ai fait sous le nom de Melo n’a rien à voir avec ce que je fais maintenant. Il y a même certains sons que je regrette. J’ai souvent le débat avec Mano, mon manager. Il me dit qu’une fois que t’as sorti ta musique, elle t’appartient plus vraiment. J’ai pas supprimé ce que j’ai fait mais j’avais besoin de distinguer les deux. Et qui sait, peut-être que dans cinq ans, je ferai de la musique sous un autre nom.
Le rap nous a sauvé la vie, il mérite d’être aux Beaux-arts