Everyday : L’électro sentimentale de Tourist
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
19/02/2019

Everyday : L’électro sentimentale de Tourist

L’électro a de beaux jours devant elle. Et surtout avec des sorties comme celle-ci. Bref récapitulatif : William Phillips (de son vrai nom) c’est le génie derrière le sublime titre Run, la bombe Your Girl qui a fait chauffer les compteurs de la chaîne Majestic Casual et aussi l’une des cinq plumes derrière le succès planétaire Stay With Me de Sam Smith. Un joli parcours qui cache aussi quelques perles moins considérées mais tout aussi somptueuses tel son dernier EP Wash qui brillait en 2017 par la douceur de Hush et We Stayed Up All Night. Trois ans après son premier album U, l’Anglais revient pour livrer un tableau apaisant exprimant ses états d’âme au travers de samples célestes et autres arrangements voluptueux.

Dénichée dans la section commentaire d’un de ses titres sur Youtube, une phrase nous a beaucoup marqués et symbolise avec brio l’essence même de cet album : “De la musique futuriste qui nous fait remonter le temps”. L’électro ambiante de Tourist n’est en effet pas vraiment le genre d’électro sur laquelle vous vous enfilerez vos derniers shots de tequila avant d’enflammer la piste de danse ou la musique idéale pour ambiancer vos potes éreintés. C’est plutôt le genre d’électro à écouter en solitaire, profondément, histoire de laisser grésiller le feu intérieur provoqué dès la première écoute. Une débâcle de sentiments, de souvenirs, d’émotions naissant de ces dix travaux qui ne résonnent jamais deux fois de la même manière tant leur composition est complexe et leur écho est profond. À chaque écoute une nouvelle texture, un nouveau son qui avait échappé à nos tympans, une nouvelle histoire qu’on avait pas vraiment entendue précédemment. Telle est la force de compositions si absconses, de ces milles-feuilles de samples plus efficaces les uns que les autres.

Si l’ordre d’écoute est respecté, on se rend compte que les premiers titres de Everyday ne font qu’un. Le premier, Awake, est directement lié au suivant, partageant avec lui les mêmes notes, véritables douceurs pour nos oreilles. Un condensé de légèreté qui prépare l’explosion Emily qui suit directement. S’y mêlent envolées vocales féminines, rythmes planants et percussions plus soutenues, rajoutant la juste dose de puissance et de vitalité pour nous faire vibrer au rythme de ce petit plaisir qui nous transporte sur ses montagnes russes. Parfois en haut, parfois en bas, ici rapide et là plus lent, mais toujours avec un sens du rythme remarquable. Deux titres qui font déjà leur effet et qui plantent le décor pour Someone Elsesurement le plus intense de l’album. Force est de constater que l’habileté avec laquelle le producteur parvient à faire onduler la puissance de ce morceau est tout bonnement captivante. Longue de quatre minutes, cette ode à la retenue et à la maîtrise de l’intensité nous transporte et nous berce comme une thérapie musicale de laquelle on sort lessivés et ravitaillés d’ondes positives et de délicatesse comfortable. Un vrai petit nuage.

Vient alors Love Themequi souligne le fil conducteur du recueil : l’amour. L’artiste Shura, pour laquelle il avait déjà remixé le titre What’s It Gonna Be?, s’invite sur un morceau plus rythmé et aux répétitions étourdissantes qui vient pulser au gré des “I don’t want to be the centre of attention but I want your love” susurrés comme des caresses par la jeune chanteuse. Les mêmes beats saccadés, la même atmosphère légèrement techno qui viennent faire contraster cette sortie avec le précédent album et que l’on retrouve sur ApolloHearts ou encore Violet qui constituent l’apothéose rythmique de cet Everyday. Pour le reste, on garde la même onctuosité dans les productions, avec par exemple le joli Gin Under The Sink. Des sons plus sensuels et envoûtants qui s’écoutent comme du miel dans un registre qui semble vaciller entre le chill-vibe et le lo-fi pour livrer ce que les deux ont de meilleur à offrir.

L’électro fait partie de ces genres musicaux périlleux où, en comparaison avec la pop où le rock par exemple, l’artiste ne dispose pas d’une voix et de son timbre pour pouvoir se démarquer des autres producteurs. Qu’est-ce qui va différencier un Tourist d’un Flume ou d’un The Blaze ? S’assurer de ne pas trop user de loopings redondants pour éviter de sonner “trop Bonobo“, éviter les refrains aux beats ravageurs pour ne pas se confondre avec Diplo. Le jeu est compliqué mais le blondinet semble avoir assimilé les règles avec talent et nous livre ici sa technique imparable. Le tout serait de s’inspirer de ces nombreux talents cités ci-dessus, de leur vampiriser la juste dose d’influences et d’articuler celles-ci à un noyau dur qui aiguillerait l’écoute et qui ferait que cette musique est forcément l’oeuvre de William Phillips et pas d’un autre : le minimalisme. Une notion qui transcende ce nouveau projet, de par son appellation mais aussi sa pochette. Cette photographie toute simple qui symbolise la banalité, ces petites choses du quotidien qui ont inspiré Tourist pour ce travail réussi. Un minimalisme qui rime avec justesse, avec beauté et avec “on en veut encore”. Et en disant cela, loin de nous l’idée d’exprimer une sensation de “pas assez”. Au contraire, on en veut encore de ces mélodies complexes et de leur lot d’émotions, de frissons et d’atmosphères. Encore et encore.

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