Ex:Re fait fondre les coeurs brisés du Botanique
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
22/04/2019

Ex:Re fait fondre les coeurs brisés du Botanique

Il y a deux semaines de cela, entre les murs du Botanique, il s’est passé quelque chose. Un instant de douceur, de délicatesse et d’émotions dans une atmosphère intimiste, chaude et confortable. Un moment hors du temps orchestré par la voix céleste d’Elena Tonra, membre du collectif Daughter, qui nous a fait l’honneur de venir présenter son nouveau projet Ex:Re. Une démarche artistique fulgurante pour laquelle nous vous déclarions déjà tout notre amour ici. Cependant, alors que nous pensions que ce pseudonyme mystérieux couvrait le projet solo de cette jeune femme qu’on aime tant, ce show intense nous prouve que le mot quatuor n’a jamais résonné si fort dans une salle de concert. Une alchimie artistique comme on en voit rarement, qui a entraîné cette Orangerie bondée dans les méandres corrosifs des peines de la chanteuse. On vous le répète : hors du temps. 

S’il y a bien un domaine dans lequel le Botanique règne en roi, ce sont les premières parties. D’ici ou d’ailleurs, c’est avec avant-gardisme et prise de risques que l’équipe flirte pour dénicher des petites perles ascendantes aussi talentueuses que prometteuses. Et ce soir là il l’a bien prouvé avec une ouverture de soirée aux couleurs du pays et aux frissons garantis. Gustav Leo, grand éphèbe à la barbe imposante et à la voix délicieusement rauque. Jonglant entre différents styles de grattes, il a su capter l’attention d’une foule réceptive avec des compositions originales s’inscrivant dans un style lo-fi, parfois jazzy ou joliment triste. Coups de coeur pour ses loops moelleuses dynamisant chaque morceau ou encore pour ses sulfureux arpèges envoûtants sur Penelope, ode étonnante à la grande actrice espagnole. Une pure découverte des plus intéressantes et un véritable tremplin pour ce jeune Flamand qui fait des premiers pas de géants dans le monde de la musique.

© Stephane Risack / Gustav Leo au Botanique – Avril 2019

Vient ensuite l’événement tant attendu. L’arrivée sur scène de cette machine à larmes, de cette génératrice de mélancolies si addictives, de cette magicienne des émotions. Elena Tonra nous avait déjà tant fait frissonner en live aux côtés de Igor Haefeli et de Remi Aguilella aux temps de Daughter et nous étions donc impatients de découvrir ce que ce nouveau collectif réservait à nos petits coeurs brisés. Il faut dire que l’opus éponyme avait de quoi nous faire languir d’envie avec des titres devenus ritournelles dans nos oreilles comme Romance ou encore The DazzlerUn purgatoire thérapeutique, des décibels qui frappent au plus profond de soi au rythme de mélodies crève-coeurs : voilà ce qui nous attendait ce soir-là au Botanique.

Tout commence avec une caresse. My Heart vient briser la glace avec un guitare-voix qui annonce la couleur. Le titre qui clôturait l’album ouvre ici la soirée avec grâce et légèreté, instaurant un silence presque religieux dans cette salle ensorcelée par les fluctuations vocales angéliques d’Elena. Tous les regards sont posés sur la jeune artiste, vulnérable et fragile qui chante les paroles de cette balade déchirante comme on cracherait l’acidité d’une douleur dévorante. “In your hands, in your hands, my heart” S’enchaîne alors Where The Time Went, sur lequel la batterie de Fabian Prynn, producteur de l’album, vient enfin nous apporter les percussions déjà si vibrantes sur l’album qui prennent en live une dimension plus profonde encore. C’est aussi au tour de Josephine Stephenson et de son violoncelle enchanteur de venir jouer de leurs charmes pour enrober la voix de Tonra d’une enveloppe épaisse d’onctuosité. C’est finalement l’occasion de découvrir Jethro Fox, le jeune crooner anglais qui vient se greffer au groupe pour constituer la quatrième perle de ce bijou scintillant d’alchimie.

Le temps d’une pause, la jeune artiste tente tant bien que mal de canaliser les applaudissements et autres cris frénétiques d’une foule plus que comblée par ce début de concert. Une réponse inespérée aux attentes d’un public chanceux de pouvoir assister à l’une des deux précieuses représentations européennes du groupe. Remerciant les fans qui l’ont suivie dans ce détour artistique, la jeune Anglaise exprime sa joie d’être de retour ici, près de six ans après son dernier passage au Botanique avec Daughter. Le groupe reprend ensuite sa performance avec le brûlant Crushing et l’impétueux I Can’t Keep You. Moins doux que les précédents, ces titres offrent un temps plus soutenu de la soirée avec des percussions plus rapides et des riffs plus énergiques. C’est le côté moins connu du registre de la chanteuse, avec une ambiance plus rock qui nous fait secouer la tête et les épaules le temps de quelques instants. L’occasion aussi pour la voix de la jeune Josephine de s’enlacer à celle d’Elena pour déverser toute la beauté de cette alliance vocale.

© Stephane Risack / Ex:Re au Botanique – Avril 2019

On redescend en pression avec New York, un de nos préférés sur l’album qui s’offre ici une composition tout en évolution : on démarre en douceur sur les arpèges redondants de Fox auxquels s’ajoutent les basses intenses de Tonra, les coups de violoncelle fiévreux de Stephenson et la batterie pétulante de Prynn. Une effervescence alléchante entre les quatre membres d’Ex:Re qui ne forment qu’un le temps de cette hymne amère emplie de rage et de fureur. Aux première notes de The Dazzler, nos coeurs s’emballent et on reprend en choeur les paroles sombres de cette balade brumeuse aux effluves de larmes séchées et d’alcoolémie réparatrice. “Drunk in my hotel room, I look perfect. I look like I’m 24 before I caught your coldness. God, I’m gorgeous.” On ressent chacune des émotions qui paradoxalement nous déchiquettent le coeur et nous câlinent les oreilles. La frénésie du batteur captive la foule et c’est dans une transe communicative que l’Orangerie vibre pendant plus de quatre minutes dans cette atmosphère si particulière de pure intensité.

Too Sad. Comme son nom l’indique, ce prochain morceau puise dans les recoins les plus âpres des chagrins d’Ex:Re pour livrer un condensé de puissante mélancolie. Débarrassée de ses guitares imposantes, c’est aussi la première fois depuis le début du concert que la jeune chanteuse se retrouve “à nue” face à son public. Une posture scénique délicate avec des mains repliées au torse, des gestes alertes et une certaine fragilité corporelle renforçant cet esprit de vulnérabilité avec un personnage mesmérisant bercé par l’innocence et la tendresse. Si la jeune sentimentale écrivait cet album dans une urgence en réponse à un profond besoin de catharsis artistique, c’est très distinctement que l’on ressent cette urgence dans chaque mot chanté et chaque note jouée.

© Stephane Risack / Ex:Re au Botanique – Avril 2019

Sur 5 AM, on frémit face à la beauté d’une voix aussi voluptueuse que celle d’Elena Tonra. Une hymne déchirante sur les noirceurs de la nuit, des mélodies étouffantes d’intensité dirigées par les percussions hystériques de Fabian. Ce dernier, emporté par la furia de sa performance, en perd ses lunettes mais nullement son sens aigu du rythme. Un morceau qui s’inscrit dans la continuité d’un concert brillant et sans faute durant lequel l’émotion et la puissance auront suivi une constante remarquable. Le temps de saluer sa foule du soir que les sonorités de l’emblématique Romance retentissent. Véritable point d’orgue de la soirée, la prestation du premier titre dévoilé par Ex:Re en novembre dernier nous offre toutes les émotions que la version studio proposait déjà et plus encore. Le morceau se compose de plus de cinq minutes et aucune seconde n’est superflue tant chaque instant de la performance semble habité d’une forme de sensibilité transcendante qui vient ébahir le public une dernière fois. “Romance is dead and done” Elena Tonra nous le répète une fois de plus : l’amour ça fait mal et elle vient de nous donner 10 bonnes raisons de la croire. 10 bonnes raisons aussi de croire au pouvoir de la musique, au pouvoir de concerts comme celui-ci. Ceux qui nous ramènent à nous même le temps d’une soirée pour explorer des émotions méconnues ou enfouies.

Rappelée en force par une foule envieuse de toujours plus de frissons, Elena Tonra remonte sur scène avec les trois prodiges qui l’accompagnent et qu’elle ne manquera pas de complimenter tout au long du concert. Dans une réinterprétation bien à elle de Everybody’s Got To Learn Sometimes du groupe The Korgis, elle nous arrose d’une dernière pluie d’émotions en tout genre, d’un dernier pic d’intensité qui vient clôturer royalement ce précieux moment. Un show intense, tout en simplicité et en sourires qui nous aura tenu en haleine de tout son long, enchantés par la douce mélancolie qui planait dans l’Orangerie. S’il n’y avait pas un nuage dans le ciel ce soir-là, il y’avait tout un tas de tempêtes dans nos coeurs.

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