“Faire ressentir nos sentiments à des gens qui ne nous comprennent pas”- Fantomes entre chien et loups
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Auteur·ice : Joseph Lanfranchi
25/10/2021

“Faire ressentir nos sentiments à des gens qui ne nous comprennent pas”- Fantomes entre chien et loups

Après la déflagration de leur premier album qui continue de résonner dans nos cœurs, les Fantômes sont de retour pour un concert en forme de grande célébration live volcanique à La Maroquinerie et un peu partout en France. L’occasion de revenir sur les prémices du groupe que nous avions rencontré il y a quelques mois à l’occasion de la sortie d’It’s OK. Échanges croisés entre souvenirs alcoolisés, amour infini du rock’n’roll, et joie de vivre par tous les temps.

La Vague Parallèle : Vous sortez votre premier album sur Pan European, est-ce que vous pouvez l’éclairer grâce à vos origines et votre parcours ? Qu’est-ce qui vous a permis et poussé à l’écrire ?

Mustapha : On s’est rencontré il y a 5 ou 6 ans en travaillant dans un bar qui s’appelle La Mécanique Ondulatoire. J’avais joué dans des groupes de hardcore assez énervés mais arrêté car cela ne me convenait plus. Paul jouait dans un groupe de garage rock. On est rapidement devenu pote grâce à nos goûts musicaux assez proches. Il jouait de la guitare et moi de la batterie. On travaillait souvent la nuit et on se bourrait la gueule ensemble. C’était assez cool et amusant mais il y a eu un moment où on en a eu marre de servir des pintes à des mecs bourrés qui s’en battent les couilles et te parlent comme à de la merde pour être payé 10€ de l’heure au black. On a commencé à jouer ensemble pour s’amuser les dimanches quand on ne travaillait pas. Juste pour le fun. Et c’était le feu, c’était hyper simple et super naturel ; on a commencé à composer des morceaux. Puis on a rencontré Pan European, ils nous ont signés et fait un contrat à un million, ils nous ont offert un yacht et un château chacun (rires).

Paul : Ils nous ont proposé de nous suivre à un concert de Kaiser Chief. Plus sérieusement on a eu de la chance qu’ils nous repèrent car le rock n’était, et n’est toujours pas, à la mode et qu’ils ne font pas beaucoup de rock. Ils nous ont fait confiance et c’était vraiment un coup de pouce d’enfer d’avoir un contrat pour un EP puis un album. Ce qui est quand même assez fou parce que le rock ce n’est pas ce qui marche en ce moment. C’est très dur d’obtenir de la visibilité dans les médias classiques non spécialisés quand tu fais du rock et n’es pas encore reconnu.

LVP : Et vous ne chantez même pas en français, vous êtes vraiment à côté de la plaque… D’ailleurs faire du rock en 2021, ça ne laisse pas parfois l’impression que tout a déjà été fait ? Que c’est un peu une musique passée ?

Paul : C’est inépuisable, ça reste des accords avec des mélodies. Effectivement parfois quand tu joues des accords ça te rappelle une chanson mais tu peux toujours ajouter ta touche avec des influences qui viennent d’ailleurs. Et tu as toujours la voix qui peut permettre de modifier complètement une musique. C’est tellement vaste que lorsque tout s’entremêle tu arrives à créer petit à petit ton son.

Mus : Il y a vraiment énormément de trucs qui ont été faits et on n’a pas la prétention de dire qu’on va inventer quelque chose. Au final c’est une alchimie qui se crée, une espèce de nouvelle recette où tu t’imprègnes de tout ce que tu as écouté et que tu retranscris avec ton énergie, ton feeling et naturellement tu as quelque chose qui se crée, tu as un petit truc en plus, un nouvel équilibre et ça peut suffire. Putain j’ai l’impression d’essayer de vendre des pommes de terres (rires).

Paul : Et c’est une question qui se pose pour presque toutes les musiques aujourd’hui, tu as énormément de drum machine et de beat que tu réentends partout. En musique tout le monde s’inspire de tout, que ce soit le rock ou la musique électronique et au final c’est quelque chose de positif. Après tu as bien sûr des cycles de mode ou de trucs un peu plus en vogue qui vont et viennent.

 

LVP : Si je me lance et que j’essaye de décrire votre rock, je dirais “du rock très émotionnel”. Pour moi on est vraiment transporté par vos chansons, que ce soit dans un état ou dans un autre. Ce qui n’est pas toujours le cas dans ce genre de musique. 

Mus : Ça fait plaisir d’entendre ça et je pense que c’est à l’image de ce que j’ai vécu lorsque j’ai découvert le rock. Quand j’étais jeune et que je ne parlais pas anglais je ne comprenais pas ce qu’ils chantaient mais pourtant ça me faisait péter un câble. Je me sentais triste ou joyeux ou ultra motivé en écoutant telle ou telle chanson. C’est vraiment ce qui est fantastique avec la musique de façon générale. Et c’est ce qu’on essaye de faire, faire ressentir nos sentiments à une personne qui ne va pas forcément comprendre ce qu’on raconte. Tout est dans la manière d’interpréter, de dire ce que tu as envie de dire ou de jouer ce que tu as envie de jouer.

LVP : Vos chansons donnent l’impression que les sensations sont importantes pour vous. Vous parlez beaucoup du soleil, de la pluie, de la nuit, des couleurs, etc.

Paul : Quand tu parles d’une idée globale, comme la pluie ou le soleil, ça parle à tout le monde et ça évoque forcément quelque chose aux gens. Le morceau City At Night, qui parle vraiment de la nuit, on a essayé de retranscrire dans la musique ce dont on parle dans les paroles et qui tourne autour de pourquoi on sort, pourquoi on agit comme ça avec ce côté un peu dark qui ressort assez évidemment. 

Mus : L’album est assez sombre en réalité. Le titre It’s OK, ça va, c’est un peu le leitmotiv de notre vie quotidienne. Je généralise mais c’est un ressenti assez répandu : qu’on a tous un peu des vies de merde sans avoir des vies de merde. Il y a toujours des moments où tu trouves, quelle que soit la raison, que ta vie est nulle mais que tu peux faire avec. Ça va quoi. 

Paul : Exactement comme lorsqu’on te demande si ça va. Tu réponds que ça va et voilà. Tout le monde s’en fout de ta réponse.

LVP : D’où une sorte de désabusement optimiste qu’on ressent en écoutant l’album. Certaines chansons rendent à la fois triste et joyeux.

Paul : Parce qu’on ne sait pas nous-mêmes si elles nous rendent tristes ou joyeux. 

Mus : Parce que même si la vie c’est quand même pas mal de la merde on a aussi envie d’être bien et de retrouver cette naïveté joyeuse, de ne pas trop se poser de questions pour retrouver ce besoin vital d’être bien. Parfois il faut aller prendre le bonheur là où tu peux le trouver. Dans les plaisirs simples pour simplement profiter.

LVP : Il y a pas mal de plaisirs de la vie de tous les jours qui nous ont été retirés depuis un long moment justement (interview faite en février 2021). Du coup il ne reste plus que la merde.

Mus : En ce moment ce n’est clairement pas OK.

 

LVP : La composition et l’enregistrement ont été un processus cathartique qui vous a aidé à expulser des choses ? À les faire ressortir et les gérer ?

Paul : À 100%.

Mus : Après ça a été un peu particulier car on a mis du temps à enregistrer l’album et on s’est parfois pris la tête. Ça a été assez intense et on donnait vraiment tout en studio. C’était des moments où on pouvait vraiment se lâcher et larguer les soupapes.

Paul : Ça s’est fait en plusieurs étapes, car on n’avait pas toutes les chansons prêtes quand on est rentré en studio et on a dû composer pendant l’enregistrement. On a eu de la chance car on a enregistré chez un ami ce qui nous a donné plus de liberté et de souplesse au niveau du planning et de la durée. On a travaillé en deux temps : on a commencé par la musique avant de faire les paroles et les mélodies. Les paroles ont mis un peu de temps à venir mais à un moment ça s’est débloqué et tout a suivi.

Mus : Et merci à Pan European qui nous ont conseillé d’aller en studio même sans tout avoir et sans nous mettre la pression. Niveau humain ils sont vraiment géniaux, ils font confiance, le dialogue est là et ils te soutiennent vraiment c’est super agréable. Ça reste un label donc tu as des contraintes et il faut rendre des comptes à un moment mais tu gardes une vraie liberté et tout se fait dans le partage et c’est vraiment top. Pan European les meilleurs : sans vouloir faire les fayots (rires).

LVP : Vous sortez votre album sans pouvoir le jouer en concert.

Paul : C’est compliqué car on a envie de continuer à composer de la musique et sans avoir joué It’s OK c’est assez frustrant. Notre musique est clairement faite pour être jouée en live, pour qu’on lui redonne une énergie nouvelle. On a quand même fait un concert à Troie mais c’était très bizarre, c’était un concert Covid assis. Avec notre musique ce n’est pas naturel car les gens ne pouvaient pas bouger. On les voyait bouger un peu la tête mais on ne ressentait pas leurs émotions. Pourtant le concert s’est super bien passé. Il n’y avait pas un bruit pendant le morceau mais les gens applaudissaient beaucoup à la fin de chaque chanson. Ils étaient super contents, on a fait un rappel.

LVP : Et vous ne savez pas quand vous pourrez le jouer. Jouer un album un an après sa sortie ne doit pas être évident.
Paul : On en a parlé avec notre label. On s’est posé cette question car l’album a été fait à un instant donné avec les émotions qu’on avait à ce moment. On ne peut pas savoir si on sera encore dans le même état d’esprit et donc si on aura envie de jouer tel ou tel morceau dans un futur plus ou moins proche.

LVP : Vous êtes assez discrets sur les réseaux, sur les pochettes de vos premiers EP on ne vous voit pas. Et sur celle d’It’s OK c’est vous mais déformés. C’est une volonté de vous effacer derrière votre musique ?

Mus : On a vu les Daft Punk, on les a trouvés trop stylés et on s’est dit que ça pouvait marcher pour nous aussi (rires). Plus sérieusement le fait de ne pas se mettre en avant permet de se sentir plus libre et de faire plus de choses tranquillement. On n’a jamais été trop à l’aise devant l’objectif.
Paul : Et ça amène plus de créativité dans la recherche de ce que tu veux montrer que des photos avec un beau décor ou avec des costumes qui sont là sans qu’on sache trop pourquoi. La pochette de l’album c’est nos deux têtes qui ont été modelées. On avait vraiment cette envie de montrer cette expression un peu figée. Comme pour le smiley sur nos singles et EP précédents. Ça rejoint l’état d’esprit derrière It’s OK” avec ce visage un peu inerte et inexpressif.

Mus : À l’origine, le smiley c’est la tête de Paul lorsqu’il est trop raide. Lorsque tu lui demandes s’il va bien quand tu bois pas mal de verres avec lui, il te regarde, sourit et ça donne ce smiley (rires)

LVP : Vous prenez part à toute la création autour de la musique ?

Paul : Surtout Mus. Il a toujours pleins d’idées par rapport aux clips.
Mus :  On délègue ensuite l’idée à quelqu’un, et c’est souvent des idées très simples, sur le procédé à utiliser par exemple. On confie la suite à des gens avec qui on se sent à l’aise. C’est très souvent des gens qu’on connaît et avec qui on a un bon feeling. On fait du rock en France, si on faisait de la musique pour se faire de l’argent on ne ferait pas ça. Du coup on se fait plaisir et il faut que tout soit simple et naturel.

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