Feu! Chatterton réenchante le monde avec son Palais d’argile
"
Auteur·ice : Paul Mougeot
15/03/2021

Feu! Chatterton réenchante le monde avec son Palais d’argile

En ces temps troublés qui ont définitivement couronné les écrans comme l’interface indispensable à nos vies, les garçons de Feu! Chatterton viennent de dévoiler Palais d’argile, un nouvel album en forme de fresque numérique vers un monde nouveau…  Pour le groupe comme pour son public.

Pour Feu! Chatterton, le temps est au troisième album. Déjà. De jeunes pousses à révélations puis à valeurs sûres, les cinq garçons ont franchi en une décennie tous les paliers qui les séparaient des cimes de la musique francophone, sans qu’on n’ait vraiment vu le temps passer. Il a pourtant fait son œuvre, contribuant à les installer confortablement aux côtés de celles et ceux dont on prononce le nom comme une évidence au moment de la revue d’effectif, comme si leur présence était acquise par avance et qu’une place leur était réservée pour longtemps.

Loin de se reposer sur ses lauriers pour autant, Feu! Chatterton n’a pas rechigné à se réinventer après deux albums qui avaient consacré ce style unique, combinaison de vers déclamés d’une voix de velours et d’influences rock finement découpées dans l’étoffe la plus noble. À la production, le quintette s’est ainsi attaché les services d’Arnaud Rebotini, prophète d’une toute autre chapelle venu prêcher la parole de ses machines auprès de ses nouvelles ouailles. Une collaboration aussi étonnante qu’alléchante qui aura donc donné naissance à un disque riche de plus d’une douzaine de morceaux, comme autant d’histoires passionnantes et de sentiments bruts stockés sur le disque dur de ce magnifique Palais d’argile.

Comme un clin d’œil effronté à ce qui est devenu une triste habitude, c’est de l’annulation d’un spectacle qu’est né cet album à l’aura forcément singulière. C’est d’ailleurs sur les planches du théâtre des Bouffes du Nord que Palais d’argile aurait dû voir le jour sous la forme d’une œuvre originale, à mi-chemin entre la pièce de théâtre et la comédie musicale, avec ses personnages et sa mise en scène. Si le souffle impitoyable de la crise a balayé toute perspective de la voir jouée telle quelle par ses géniteurs, ses morceaux demeurent toutefois et ont conservé leur architecture et leur âme.

Qu’à cela ne tienne. Véritable fresque numérique, Palais d’argile vit tout aussi bien sur nos écrans et dans nos casques. Ses différents pans restituent à merveille l’esprit de la scène, ses respirations et ses silences, la succession des émotions qui dessinent le paysage de son intrigue. Les chapitres fougueux et engagés (Écran Total, Libre) y côtoient ainsi les récits contemplatifs (La Mer, L’homme qui vient) et les poèmes griffonnés là (Panthère) pour former cet assemblage perpétuellement tiraillé entre hier et demain. Son incipit donne d’ailleurs immédiatement le ton d’une œuvre libre, métissée, audacieuse et maîtrisée à la fois.

Feu! Chatterton

Pour la première fois, semble-t-il, le groupe a laissé le monde moderne crever sa bulle confortable, sans pour autant trahir sa patte inimitable, quasi-anachronique. Mieux, Feu! Chatterton s’est constitué un lexique tout neuf. Musicalement, bien sûr, puisque le travail d’orfèvre entrepris avec Arnaud Rebotini transparaît tout au long de l’album comme un fil d’or (Aux Confins, Monde Nouveau), mais également dans le choix soigneux des mots qui garnissent les textes d’Arthur Teboul. Habitué à jongler avec les références nobles, le crooner parisien a cette fois pris le parti de se confronter plus durement à la réalité de son époque et de s’en approprier les références, non pas pour en détourner le sens mais plutôt pour leur en insuffler (Cristaux liquides, Écran Total), refusant du même coup la vacuité que ce nouveau langage tend parfois à imposer.

Arthur, Clément, Raphaël, Antoine et Sébastien n’ont cependant rien perdu de cette science exacte de la mélodie qui les place aux côtés des conteurs à la voix d’or que sont les Ferré ou les Reggiani, même lorsqu’ils empruntent leurs prouesses à d’autres, comme c’est le cas pour Compagnons (poème de Jacques Prévert mis en musique par Joseph Kosma) ou Avant qu’il n’y ait le monde (adapté d’un poème de William Butler Yeats).

À l’arrivée, c’est peut-être cette quête brûlante de sens, cette volonté de tracer un trait d’union entre un passé dont on ne veut plus et un futur encore trop incertain qui fait de ce troisième album un disque à part, un peu plus grand que les autres. Avec Palais d’argile, Feu! Chatterton exploite pleinement la théâtralité de sa musique dans un opus qui tient autant du périple rock progressif que de la pièce engagée. Surtout, les cinq compères embrassent pleinement leur condition d’artistes, immuables augures des temps modernes, pour accompagner la fin d’une époque et accueillir la suivante avec une certaine intransigeance.

C’est de cette manière que Feu! Chatterton parvient à réenchanter le monde, à faire chanter les circuits imprimés, rugir les serveurs et calquer le rythme des machines sur celui de nos cœurs, au moment où le monde en a cruellement besoin. Merci les gars !


 

 

 

@ET-DC@eyJkeW5hbWljIjp0cnVlLCJjb250ZW50IjoiY3VzdG9tX21ldGFfY2hvaXNpcl9sYV9jb3VsZXVyX2RlX3NvdWxpZ25lbWVudCIsInNldHRpbmdzIjp7ImJlZm9yZSI6IiIsImFmdGVyIjoiIiwiZW5hYmxlX2h0bWwiOiJvZmYifX0=@