“Fort préparé, fort pensé, mais d’une certaine façon toujours à l’arrache” – la recette de David Numwami
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Auteur·ice : Victor Houillon
22/09/2021

“Fort préparé, fort pensé, mais d’une certaine façon toujours à l’arrache” – la recette de David Numwami

Alors qu’il n’avait alors sorti que deux titres, on avait rencontré un David Numwami aux cheveux bicolores fin 2020 pour discuter avec le personnage le plus bonhommique de la scène pop belge. On a profité d’un passage sur la plage de Nice pour discuter à nouveau avec notre chansonnier préféré. Un EP et quelques tresses plus tard, le roi David (littéralement son nom de scène) nous livre les secrets du Numwami World.

La Vague Parallèle : Hello David, ça va ?

David Numwami : Oui, très bien ! En ce moment, je fais deux tournées en même temps : la mienne et celle de Sébastien Tellier, parfois les deux en même temps car je fais également sa première partie. Depuis qu’on a pu refaire des concerts, je ne comprends même pas à quel point j’ai pu avoir de la chance. On a pu recommencer direct, et on ne s’arrête pas depuis.

LVP : On t’avait d’ailleurs aperçu à La Magnifique Society pour la reprise des festivals, dans ce format étrange où l’on ne s’avait pas s’il fallait être debout.

DN : Officiellement, je pense que vous n’aviez pas le droit (rires).

LVP : En parallèle, tu as sorti ton premier disque solo, que l’on attendait avec impatience. C’est une émotion différente de celle que tu ressentais avec les sorties du Colisée ?

DN :  Non, comme d’hab. En fait, une fois que le truc est sorti, je m’en fiche un peu. Je crois que c’est une chose qu’il ne faudrait pas que je fasse, mais j’ai toujours tendance à comparer le fait de faire de la musique à celui d’aller aux toilettes. Tu vois, si je vais aux toilettes, je ne vais pas regarder ma crotte pendant dix minutes. Une fois que c’est sorti, c’est bien, et je me concentre sur ce qui peut arriver après. Et ça passe par s’ouvrir. Que ce soit écouter de la musique, vivre, découvrir des gens. Et puis expulser de nouveau.

 

LVP : Tu as déjà entamé la prochaine étape ?

DN : C’est ça, je travaille sur un premier album.

LVP : Justement, quand on s’était rencontré en fin d’année dernière, tu m’avais annoncé envisager un double album.

DN : Eh oui, c’est vrai que j’étais encore là-dedans (rires) !

LVP : Pourquoi as-tu changé d’avis ?

DN : La raison la plus évidente est que je n’étais pas capable de faire un double album (rires). Je m’étais un peu surestimé. Et puis, tu vois, parfois tu as un projet que tu comprends au début. Ensuite, tu t’accroches, mais tu ne sais plus trop quelle était l’intention de départ.

Je perds beaucoup de temps à imaginer des concepts alors que je pourrais juste faire de la musique.

LVP : Tu savais que tu voulais faire un double album, mais tu ne savais plus pourquoi ?

DN : Oui, c’est ça ! J’ai dû avoir cette idée un soir, je ne sais pas ce qu’il s’était passé dans ma tête. Je m’y suis un peu accroché alors que je n’aurais peut-être pas dû. J’ai fini par me rendre compte qu’un EP, c’était bien, j’avais déjà les morceaux. Et maintenant, je me penche sur un album. En fait, je perds beaucoup de temps à imaginer des concepts alors que je pourrais juste faire de la musique.

LVP : En parlant de concept, le plan promo autour de Numwami World est vraiment frais et réussi, délicieusement drôle. C’était mûrement réfléchi ou l’envie du moment ?

DN : Tout s’est fait en un jour. J’ai écrit les storyboards pour ces teasers, puis je les ai présentés à Roxanne, une amie réalisatrice, qui m’a aidé à corriger les deux-trois petits trucs qui ne marchaient pas. On les a carrément réalisés à deux. Et on a tout tourné en trois heures. Mais tu vois, c’était très court. C’était surtout la post-prod qui a pris un peu de temps.

LVP : Les musiques, c’étaient des embryons de chansons ?

DN : Oui, des embryons de chansons, parfois des choses que je faisais pour l’occasion. Généralement, c’était hyper stressant. La veille à 23h, « oh merde, David, tu pourrais me renvoyer le son pour que je mette les dessins dessus ? ». Mais c’était hyper drôle. Avec moi, c’est toujours fort préparé, fort pensé, mais d’une certaine façon toujours à l’arrache. Je ne sais pas pourquoi.

 

LVP : Avec ces teasers, dans Hello, ou à l’époque la chanson sur les sauvegardes, tu as une manière originale de t’adresser à ton public.

DN : Ça s’est fait vraiment sans réfléchir. Pour Hello, j’étais en train de faire une intro pour l’EP et… Comment et pourquoi j’ai eu cette idée ? Hmm… En fait, je faisais une résidence dans un hôtel de Bruxelles pendant un des confinements. Il y avait différents musiciens dans les chambres, on y bossait comme dans un studio, pendant six mois. Ma voisine de chambre était Gina, une dame américaine. Je l’entendais parler au travers des murs. Je me disais “Wow, sa voix ! Trop bien !” J’étais allé voir une de ses performances, et son projet m’avait beaucoup touché. Et donc, cette intro, je lui ai proposé de venir parler dessus. C’était marrant, on a fait plein d’essais. J’avais écrit ce texte, car c’est chouette de rentrer dans un album avec quelqu’un qui t’accueille. Là, j’imaginais que c’était moi, mais je ne sais pas pourquoi, je n’avais pas envie de le faire avec ma voix. Donc elle parle comme si elle était moi. Bon, je ne sais toujours pas quel est le sens derrière ça, mais voilà (rires). C’était marrant, on a fait plein d’essais, mais je ne me retrouvais pas dans ce qu’elle disait. Et puis on a eu l’idée qu’elle m’imite, pas en imitant ma voix, mais elle a proposé de parler comme si elle ne savait pas ce qu’elle disait (rires). Ouais, je pense que j’ai un truc comme ça, je parle et on a l’impression que je ne sais pas ce que je suis en train de dire, que je cherche ce dont je parle. La preuve, c’est que je ne sais plus quelle était ta question.

 

Numwami World, c’est une version légèrement romancée de ce qui se passe dans ma tête. Une version de moi où j’ai refermé quelques tiroirs.

LVP : Tu y as répondu ! Dans cette manière de s’adresser aux gens, il y a un côté extrêmement bienveillant, mielleux. Est-ce que c’est une bienveillance que tu recherches chaque jour ou bien Numwami World est ton monde en exacerbé ?

DN : Numwami World, c’est une version légèrement romancée de ce qui se passe dans ma tête. L’idée, c’est de dire « bienvenue dans mon cœur ». Mais c’est une version de moi où j’ai refermé quelques tiroirs. Tu vois, c’est comme quand tu invites quelqu’un chez toi. Tu fais un peu le ménage, tu ranges tes lessives et tu caches ton linge sale sous le lit. C’est Numwami World, version j’invite des gens à la maison plutôt qu’ils ne rentrent à l’improviste chez moi.

LVP :  Il y a tout de même une chanson où tu laisses traîner ton linge salle, c’est…

DN :Numwami World !

LVP : Thema ?

DN : Ah oui !

LVP : Tu aurais dit Numwami World ?

DN : Oui, mais ce n’est pas forcément mon linge sale, c’est autre chose. Mais Thema ? Ah oui, c’est possible.

LVP : Je pensais à cette chanson car les paroles évoquent une obsession envers quelqu’un, l’addiction à l’écran de téléphone.

DN : C’est vrai qu’il y a un côté moins…. Moins classe (rires). Dans Numwami World, c’est différent. Ce n’est pas du linge sale, mais je fais référence à des choses plus profondes dans ma vie. J’accepte de dire un truc triste sans essayer de le rendre marrant. J’ai l’impression que c’est la première fois où je me suis dit « David, si tu as un truc triste à dire, tu n’es pas obligé de le dire avec un sourire ». Ça peut aller. Mais pour Thema, c’est vrai que j’avais oublié qu’il y avait un côté légèrement malsain dans ce morceau. Oui, c’est vrai, il y a un léger côté un peu moins mignon que dans le reste de l’album.

 

LVP : Ce côté mignon que tu évoques, on le retrouve notamment au cours de l’album dans ces mélodies ciselées comme pouvait les créer Christophe, qui montent, rebondissent pour finir sur la bonne note au bon moment. Parfois même avec une voix et un instrument qui se suivent. Il y a forcément plein de manières de composer, mais est-ce que ce genre de mélodie régit le reste de la chanson chez toi ?

DN : Oui ! Comment dire… Généralement, je travaille totalement dans ma tête. Forcément, étant un peu limité, les mélodies se répètent. La structure, les mélodies, les arrangements, j’imagine tout. Une fois que j’entends le morceau tel quel, je commence à le faire. Mais les mélodies, c’est dur ! Tu vois, je me suis battu hyper fort avec Beats! (il chante la mélodie). Au début, c’était un truc beaucoup plus complexe, avec beaucoup de notes, et je n’arrivais pas à ressentir quelque chose en l’écoutant. C’était trop. Il m’a fallu peut-être deux semaines pour résoudre ce problème. J’avais l’impression d’être face à un bloc de marbre où il y avait une sculpture à l’intérieur. J’ai raboté, raboté, jusqu’à cette mélodie que tu entends et qui me semblait être l’équilibre parfait, avec ces notes qui se répètent (il chante à nouveau en accentuant les fins de phrases). Le nombre parfait de notes à chaque phrase, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7. C’est un truc tout con, en fait. Mais ce n’est pas évident d’arriver à un truc efficace, au contraire. SI je me laisse aller, je vais retourner vers mon passif de jammeur prog-rock. (7 Days de Craig David passe à la radio de l’hôtel.) Oh, Craig David !  En parlant de perfection.

 

LVP : Et d’efficacité !

DN : Oui (rires) ! Mais Beats! , c’était vraiment ce combat jusqu’à ce résultat final. C’est vraiment l’exemple de ces chansons que je finalise, on va dire à 80% dans ma tête, et une fois enregistrées je me rends compte qu’il y a encore des problèmes. Après l’enregistrement, j’avais le morceau presque tel quel, mais je me disais « c’est trop bizarre, il ne vit pas ». Comme si j’entendais trop qu’il avait été fait dans mon ordi. À chaque fois que je l’écoutais, je le trouvais bien, mais il n’était pas vivant, trop digital.

LVP : Et comment as-tu résolu ce problème ?

DN : Eh bien, j’ai respiré (rires). J’ai enregistré une respiration, pas fort, mais pendant presque tout le morceau, tu as une piste de souffle à droite et une à gauche. Et tout d’un coup, sans avoir l’impression d’ergoter ou quoi que ce soit, je voyais enfin un être vivant. C’est marrant, la musique c’est quand même une suite d’emmerdements. Toujours des problèmes. Enfin, non, composer ne me pose jamais de problèmes. Je peaufine après, mais ça ne me prend pas plus de vingt minutes pour écrire un morceau comme Thema. Si on compte le peaufinement, en un jour, c’est généralement fini. C’est après que ça se complique.

 

LVP : En parlant de complications, comme de plus en plus d’artistes, tu as monté ton propre label. C’était une question de liberté ?

DN : Oui, tout à fait. J’ai enchaîné pas mal de rendez-vous en label. Je revenais toujours en me disant « eh bien dis donc, je n’ai pas envie d’être là-bas ». Et puis, j’ai toujours rêvé de faire un label depuis que je suis petit. Quand j’avais dix ans, j’étais fasciné par le label Domino Records. J’ai toujours eu en tête d’en monter un pour sortir d’autres gens que moi. Pas tout de suite, car j’ai encore pas mal de choses à apprendre, mais pourquoi pas dans un an. Cet EP, c’était l’occasion de me faire plaisir en concrétisant tout ça. Ce n’est même pas tellement juste une réaction en se disant « les labels, c’est des boomers », c’est aussi que, vraiment, je suis très content de monter un label. C’est un autre moyen de créer. D’être stimulé.

LVP : Une dernière question pour revenir à Numwami World : avec ces sept titres, je l’ai vécu comme une semaine de vacances. Hello serait le premier jour des vacances, suivi de chansons positives comme le début des vacances, et après…

DN : … après ça part en couilles (rires) !

Un voyage dont, personnellement, je n’ai pas d’interprétation claire.

LVP : C’est ça, avec des chansons aigres-douces.

DN : C’est vrai qu’il y a l’idée de faire un chemin. Commencer joyeux pour finir un peu maudit. On retrouve ça également dans les films. J’ai passé pas mal de temps avec Joseph, mon manager, à essayer de trouver l’ordre des chansons qui s’enchaînait le mieux. Faire un voyage dont, personnellement, je n’ai pas d’interprétation claire mais je trouve ça parfait si tu as vu ça de cette manière. Chacun peut y déceler une direction.


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