Future Nostalgia : le manifeste disco pop de Dua Lipa
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
12/04/2020

Future Nostalgia : le manifeste disco pop de Dua Lipa

Retour vers le futur. Près de trois ans après le succès fracassant de son premier disque éponyme, Dua Lipa s’est plongée dans une nostalgie étincelante, pour infuser toute la pétulance de la pop d’antan à son univers acidulé. De l’effervescence eighties à la Minogue, des basses généreuses à la fibre disco irrésistible, la popstar d’origine kosovare a su se réinventer avec intelligence et goût, pour donner vie à un alter ego pétillant. L’occasion pour elle de recentrer son sujet, de dessiner plus clairement son intention artistique actuelle et d’éviter de s’essayer timidement à chaque répertoire comme le faisait son précédent opus. Si Madonna, Donna Summer, Blondie, Gwen Stefani et Robyn se retrouvaient pour une orgie créative, le résultat serait très certainement Future Nostalgia. Si ça ce n’est pas vendeur. 

La réinvention, voilà un défi auquel nombre d’artistes ont dû se frotter, avec plus ou moins de succès. Dans le cas de la scène féminine, cette notion d’innovation et de métamorphose perpétuelle sur chaque nouveau projet est encore plus concrète. Ah, le showbiz ! Incapable de voir une femme garder le même univers sur deux disques différents. À côté de ça, on ne s’étonne plus de voir nos groupes de rock gonflés à la testostérone arborer la même esthétique tout au long de leur carrière. Enfin, une fois passée cette contestation féministe et grognarde, on se reprend et on s’aperçoit que certaines musiciennes s’appliquent à ne pas appréhender cette contrainte comme un obstacle, mais bien comme un catalyseur créatif. C’est le cas de Dua Lipa, qui effectue, avec ce nouvel album, une mue surprenante et qui brille là où on ne l’attendait pas.

Immergée dans un esprit chaloupé et électrifiant, c’est nourrie par les rythmes discos qui ont composé le terreau fertile de la pop d’aujourd’hui que l’artiste a construit cette nouvelle galette. D’entrée de jeu, le morceau Future Nostalgia démontre l’intention de l’œuvre entière : un mélange de sonorités organiques et électroniques, la collision du style vintage et du futuriste. Coloration capillaire volontairement marquée et excentrique, couleurs franches ou totalement épurées : c’est l’époque du tout ou rien, pas d’entre-deux. Rencontrez la nouvelle Dua Lipa, victime d’un dysfonctionnement de la machine à voyager dans le temps. Et ce, pour notre plus grand plaisir.

Avec cet album, je voulais sortir de ma zone de confort et me mettre au défi de créer de la musique qui pourrait siéger aux côtés de mes classiques pop préférés, tout en restant novatrice et propre à mon univers.

Dans la lignée du girl power stimulant qui habitait ses tubes IDGAF ou New RulesDua agrémente sa philosophie nouvelle d’une bonne dose d’égo-trip à en faire rougir Lomepal (sans mauvais jeu de mots). Le résultat donne un esprit farouchement féministe et indépendant, à l’origine de morceaux parfois impertinents mais toujours empowering, à l’image du vibrant Don’t Start Now. L’intention est de scander qu’elle vaut mieux que toutes ces relations toxiques du passé, et rien de plus percutant qu’une chanson aussi vivante pour le transmettre.

Si le disque ne comporte aucun featuring, un seul élément pourrait être susceptible de voler la vedette à la pop star : ses lignes de basse. Incroyables, puissantes, fracassantes, explosives : les mots nous manquent face à l’efficacité et l’intelligence avec lesquelles cet instrument est ici manié, apportant cette délicieuse fièvre du samedi soir à la plupart des oeuvres. La triade LevitatingPretty Please et Hallucinate constitue ainsi le noyau dur de l’album, portée par l’incandescence de cette magie à cordes. Relatant toutes les trois toute la passion charnelle de Lipa pour son nouvel amant, les titres s’enchaînent naturellement et prouvent toute la cohésion disco-pop du projet.

À deux reprises, l’artiste s’inspire de samples de légende pour les remettre au goût du jour et leur offrir un hommage remarquable. Ainsi, Break My Heart invite les riffs impétueux du groupe INXS pour construire un semblant de corona anthem“I would’ve stayed at home, cause I was doing better alone”. On ne t’a jamais aussi bien comprise, Dua ! Le titre est un banger réfléchi qui vient puiser dans des fondements pop, pour délivrer un potentiel disco exaltant sur lequel le voguing fait loi. Pour Love Again, l’objectivité manque à l’appel face à cette intro tout bonnement divine. Une évolution instrumentale qui nous rappelle subtilement le mythique Hung Up de Madonna, par son crescendo orchestral qui, au moment d’atteindre son climax, offre des refrains frissonnants et galvanisants. Cet hymne à l’amour retrouvé s’articule autour d’un extrait galactique à la Star Wars, qui trouve en réalité son origine en 1932 avec le tube jazz My Woman du crooner sud-africain Al Bowlly.

Au milieu de cette euphorie musicale éclatante, le seul petit bémol demeure Cool. Un peu trop effacé par rapport au reste du disque,  il semblerait que sa position lui porte préjudice, encerclé par les explosifs Don’t Start Now et Physical, ce qui n’aide pas à relever l’intérêt du titre. Good In Bed, lui, gagne la place de coup de cœur de par son côté audacieux et inattendu. À la production du titre, on retrouve le duo new-yorkais Take A Daytrip, dont la maestria créatrice faisait déjà des étincelles sur le Mo Mamba de Sheck Wes, protégé talentueux de Travis Scott. L’association de leur univers et de celui de Dua semblait donc surprenante mais nous offre finalement un délicieux morceau libidineux, dont le refrain joue sur une hasardeuse structure descendante qui fait son effet. On en redemande.

Si le titre introductif dévoilait la facette fierce et chevaleresque de l’engagement féministe de l’autrice-compositrice-interprète, Boys Will Be Boys clôture le spectacle sur un ton plus délicat, mais tout aussi poignant. “Boys will be boys, but girls will be women” chante-t-elle, exprimant cette idée que les déviances du genre masculin seront toujours excusées par la nature masculine. Elle détourne alors l’adage grotesque du “un mec reste un mec” en mettant l’exergue sur le fait que, pendant ce temps-là, les filles deviendront femmes et surpasseront toutes les injustices que cela comporte. Dua présidente !

Tout au long de l’opus, on retrouve aussi cette notion de female alpha qui transcende la nouvelle identité artistique de la chanteuse. Avec Future Nostalgia, elle nous démontre une version plus assumée et assurée d’elle-même. En s’inspirant des grandes références de la musique du passé, elle semble avoir trouvé la voie de son esthétique future. Une confiance en soi nouvelle, qui l’autorise aujourd’hui à prendre des risques pour proposer une musique différente et audacieuse, sans concessions. Le goût du risque semble payer et nous offre l’un des meilleurs albums pop du moment, assurément mainstream mais qui en joue, pour infuser à ces rythmes communs une juste dose d’excentricité. Dua Lipa redéfinit la notion de pop queen et voici les obsèques colorées et chaloupées de son innocence envolée.


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