Parmi les événements qui ont marqué cette drôle de rentrée, il en est un qu’on attendait tout particulièrement. Si vous êtes arrivé·es jusqu’ici, vous vous en doutez : on parle bien sûr de la sortie du premier EP de Gabriel Tur, Papillon Blanc. Un disque qui trouve son inspiration dans la vie quotidienne et que le jeune artiste habitué de nos colonnes a pris le temps de mûrir pour qu’il colle à sa conception de la musique.
Ce n’est pas une nouveauté, le vent souffle fort sur le milieu de la musique. Sans doute encore plus fort qu’ailleurs. Il dicte les tendances, consume les feux de paille et assure ainsi un renouvellement régulier – parfois au détriment de la qualité. Pour survivre et durer sans se faire balayer, il existe alors deux options. On peut se laisser porter par le courant, en espérant être suffisamment endurant·e pour planer et éviter de sombrer dans les abîmes de l’oubli à la moindre secousse. On peut aussi garder les pieds solidement ancrés au sol et faire front, animé·e par une foi inébranlable en son art. Ce qui semble l’apanage de quelques monstres sacrés n’est en réalité pas si inaccessible. Question de tempérament. Question de convictions, aussi.
En l’occurrence, le vent n’a pas de prise sur Gabriel Tur. Il faut dire que le garçon s’est depuis longtemps fait une certaine idée de la chanson française, qu’il garde chevillée au corps et à l’esprit. Il n’est peut-être pas de ceux qui font les modes, mais il n’est pas non plus de ceux qui les suivent. C’est précisément cela qu’on vient chercher chez lui : un héritage d’un autre temps, délicat et racé, qui s’inscrit dans la grande tradition de celles et ceux qui font de leur musique un idéal intangible, en dépit de l’époque et du contexte. Un profil rare, surtout lorsqu’on y ajoute un passif brillant d’auteur, comédien et metteur en scène qui donne une saveur supplémentaire à un univers déjà haut en couleurs.
C’est sans doute pour satisfaire cette exigence artistique que le grand gaillard a pris le temps de dévoiler la première pierre d’un édifice qu’il bâtit patiemment depuis 2017 avec l’aide de Jaune, son compère de toujours au studio comme à la scène. Souvenez-vous : l’année dernière, on vous présentait en avant-première ses deux premiers singles, l’éponyme Papillon Blanc et Trigolove, avec la certitude d’avoir découvert un projet unique et la frustration de ne pas en avoir davantage à se mettre sous la dent. Le manque est désormais comblé par ce premier disque riche de sept titres qui illustrent à merveille la pop intemporelle au charme un brin suranné qui fait la marque de fabrique de Gabriel Tur.
Papillon Blanc se décline en sept morceaux et autant de jolis contes qui n’obéissent qu’à leurs propres règles, peuplés de personnages insolites et de paraboles pleines de malice. Pour autant, inutile d’y chercher le dépaysement ou la fantaisie. Car la grande force de Gabriel Tur réside dans sa capacité à enchanter les petits riens de la vie quotidienne pour en faire d’authentiques moments de magie et d’évasion. Un monde intérieur dans lequel l’amour occupe forcément une place importante, qu’il s’agisse de l’idylle naissante et béate, qui résonne sur les synthés 80s de La Star, de la relation qui tourne au vinaigre avec la métaphore culinaire de Biscuit ou de l’attirance à sens unique dont parle Trigolove, à mi-chemin entre le piano/voix et la pièce de théâtre.
Et lorsque le propos se fait plus grave, ou disons plus sérieux, il ne perd rien en beauté ni en finesse. Avec cette élégante simplicité qui rappelle William Sheller ou Serge Gainsbourg, Gabriel Tur parvient ainsi à mettre de la poésie dans les moments les plus douloureux de notre existence, comme avec l’envoûtant Papillon Blanc, dont le passage symbolise la perte d’un être cher. Il finit même par s’essayer avec une grande justesse au réquisitoire social en s’immisçant dans le quotidien de celles et ceux que la communauté met au ban : les habitant·e·s des Cités, avec un morceau criant de vérité, et Partez Devant, qui vante avec une pointe d’humour les mérites de l’oisiveté lorsque les frontières entre le travail et la vie personnelle deviennent trop floues.
À l’arrivée, on ne pourra que se féliciter que Gabriel Tur ait pris le temps de peaufiner un EP qui laisse entrevoir un bel avenir pour son auteur. Sous ses doigts, la routine devient un enchaînement de surprises et de plaisirs qui valent enfin la peine d’être vécus. Un petit miracle qui justifiait amplement ces quelques années d’attentes. En tout cas, après avoir soigneusement préparé sa métamorphose, le Papillon Blanc a enfin pris son envol. Puisse le battement de ses ailes bousculer le monde de la pop pendant un long moment !
Pratiquant assidu du headbang nonchalant en milieu festif. Je dégaine mon stylo entre deux mouvements de tête.