Depuis quelques années, Gargäntua étonne et détonne par son esthétique hybride, qui habille la chanson française de parures techno brutales et jouissives à la fois. Propulsé sur le devant de la scène il y a quelques mois grâce à Faim du Game, un album qui a su sublimer cette recette absolument imparable, le duo orléanais faisait partie des curiosités de la programmation du MaMA Festival qu’on n’aurait manquées sous aucun prétexte. Expédition dans les entrailles de la bête.

La Vague Parallèle : Hello les gars, comment ça va ?
J4N D4RK : Très bien, on joue ce soir au MaMA Festival et demain au Nancy Jazz Pulsations. On est hyper excité !
LVP : C’est la première fois qu’on vous retrouve en interview dans les colonnes de La Vague Parallèle. Est-ce que vous pouvez vous présenter pour celles et ceux qui ne vous connaîtraient pas encore ?
JD : Carrément ! On est Gargäntua, un duo de techno chanson déviante qui chante en français. Je suis J4N D4RK et mon acolyte s’appelle GOD3FROY.
LVP : Dans votre musique, vous jouez beaucoup sur le contraste entre des grosses prods qui tabassent et une écriture simple, faussement candide et naïve. Comment est-ce que vous construisez cet équilibre entre les deux ?
JD : Ce n’est jamais trop la même chose, ça peut venir de l’un comme de l’autre… Il n’y a pas de processus défini.
GOD3FROY : D’ailleurs, ce n’est pas toujours candide.
JD : Non, ce n’est pas toujours candide. On fait tout à deux donc c’est vrai que ça peut venir des deux côtés. Soit le texte amène une prod, soit la prod amène un texte et parfois, il se passe pas mal de temps entre ces différentes étapes. Il n’y a pas vraiment de règle, c’est assez irrégulier.
G : C’est ça, ça nous vient spontanément ou pas. Parfois, on se met autour de la table avec pour projet de terminer avec un morceau, mais ça arrive aussi que le morceau vienne de lui-même.
JD : Il arrive aussi que ce soit un concept, une idée de texte, une phrase ou un rythme qui amène un morceau.
LVP : Justement, votre écriture se caractérise aussi par son côté direct et épuré. Comment fait-on pour être aussi percutant avec si peu de mots ?
JD : Déjà, je crois qu’il y a une sorte de tabou autour du français. Personne n’ose chanter en français, comme s’il y avait une certaine pression à le faire. C’est peut-être un peu moins vrai dans le rap, mais c’est vraiment le cas dans la chanson. C’est un exercice assez difficile : c’est toujours le fruit d’un compromis entre GOD3FROY et moi-même de prendre le temps de trouver le mot juste. C’est beaucoup plus compliqué de faire une phrase concise en français, de parvenir à exprimer correctement une pensée complexe.
G : Les années 2000 et 2010 ont été marquées par des générations d’artistes français qui n’osaient pas chanter en français et qui préféraient chanter en anglais, ce qui peut se comprendre. Chanter dans une langue qui n’est pas sa langue maternelle, c’est aussi faire en sorte de fermer les yeux sur tout ce qui peut être maladroit dans ce qu’on dit.
Il n’y a que les anglophones natifs qui peuvent se rendre compte des maladresses qu’un artiste français peut faire en anglais. De la même manière que quand Bryan Adams chante en français pour la BO de Spirit : L’Étalon des plaines, il n’y a que les francophones natifs qui grincent des dents. En français, c’est plus difficile parce qu’on est plus critique vis-à-vis de soi-même.
JD : Je pense aussi qu’il arrive souvent que les gens chantent en anglais pour cacher le vide de leurs propos.
LVP : Il vous est déjà arrivé de vous interdire certaines choses parce que vous chantiez en français ?
JD : Oui, bien sûr ! Des formules bateau ou bêbêtes…
G : Tout ce qui est fade, tout ce qui sonne creux et que beaucoup se permettent de chanter en anglais, en fait.
LVP : Quand on regarde votre carrière et votre discographie, on a le sentiment que le second degré et l’ironie qui caractérisent votre musique se sont progressivement teintés d’un certain caractère politique. Qu’est-ce qui a été l’élément déclencheur de cette envie ou de ce besoin ?
JD : C’est très juste, ce côté politique a pris de plus en plus de place. Après, il n’y a pas forcément eu d’élément déclencheur, je pense qu’il était là depuis le début et qu’il a pris de plus en plus d’ampleur avec le temps. Il faut dire que notre tout premier morceau, c’était Mohammed je t’aime, un morceau plutôt politique. On s’est dit que c’était peut-être là notre place, que c’était là qu’on se sentait le mieux.
G : Effectivement, on s’est dit que c’était vers ça qu’on voulait tendre, mais dès le départ, dans le choix du nom Gargäntua, il y avait cette volonté politique de camoufler des idées derrière une musique techno répétitive et parfois brutale. C’est exactement ce que fait Rabelais dans son œuvre : incorporer énormément d’idées philosophiques et politiques dans un ouvrage qui, quand on le lit de manière superficielle, est essentiellement violent et vulgaire. Donc c’était dès l’origine dans l’ADN du projet, mais il a fallu qu’on s’approprie ce caractère politique, qu’on apprenne à faire ce qu’on avait envie de faire.
LVP : J’aimerais justement qu’on revienne sur Mohammed je t’aime, ce morceau qui a été un peu charnière pour vous. Malgré la beauté incroyable du clip, vous avez été victimes d’un déferlement de haine au moment de sa sortie, au point de devoir le retirer pendant quelques temps et de clôturer l’espace des commentaires. Comment avez-vous vécu cet épisode ? Est-ce qu’à un moment ça a pu vous décourager de faire des morceaux qui traitent de sujets sensibles ?
JD : Non, on s’est surtout dit qu’on était face à des gros cons – même si on le savait déjà -, et qu’on n’avait pas envie de jouer à l’escalade. Au contraire, ça donne envie de continuer à soulever des questions qui nous paraissent importantes.
G : Quelque part, ce qui s’est passé a validé la pertinence de nos propos et du sujet qu’on abordait. Ça nous a donné de la force parce que ça a confirmé l’utilité de ce qu’on faisait. On ne s’est jamais empêché de sortir quoi que ce soit suite à ça, en tout cas.
LVP : Sur scène également, vous avez progressivement fait évoluer votre proposition musicale dont l’esthétique visuelle est désormais beaucoup plus affirmée. Quels sont les ingrédients qui composent cette esthétique ?
JD : C’est quelque chose qui manque cruellement à la musique électronique : du grandiloquent, du spectacle, du théâtre…
G : Et puis de l’humain aussi, du risque !
JD : Oui, c’est ça. Cette musique faite par les ordinateurs, c’est important de lui apporter de l’humanité et de l’émotion, avec un côté différent à chaque spectacle.
LVP : Je voudrais aussi revenir sur votre dernier morceau, La mort avec toi, qui est absolument jouissif dans l’énergie qu’il dégage mais qui est également assez clivant dans ses paroles. Qu’est-ce que vous répondez aux personnes qui pourraient être choquées par le texte ?
JD : Tout le monde est nourri constamment de South Park, de jeux vidéos violents, de films de Tarantino, donc bon… C’est une histoire romantique en dessin animé, pour moi ça n’a rien de choquant. Aujourd’hui, on attend des artistes qu’ils incarnent la morale, le bon sens, le camp des gentils, mais l’art c’est aussi le point de vue des méchants le temps d’une chanson. Et puis, au fond, est-ce qu’il y a vraiment des gentils et des méchants ?
G : Par rapport au niveau moyen de violence qui se trouve dans tout ce qu’on peut consommer actuellement, je n’ai pas l’impression que le morceau se distingue particulièrement par sa violence. Qu’on parle de cinéma, de jeux vidéos, même de littérature, tout est violent.
Ce n’est pas forcément en se faisant le porte-parole de ce qui est moral que les artistes vont avoir le plus d’utilité. On a déjà une loi, un système juridique, une police, qui ont des utilités qui peuvent être discutées mais qui sont tout de même là pour ça. Par contre, si les artistes n’ont pas cette liberté de prendre tous les points de vue et de les adopter le temps d’une oeuvre pour faire émerger certaines questions, pour prendre certains partis, je trouve ça dommage. S’il y a des gens que ça choque, ça peut aussi être l’occasion pour eux de se poser la question, de se positionner, c’est comme ça que l’oeuvre aura son utilité. Selon nous, c’est une belle façon d’être artiste.
JD : Et évidemment, on ne fait pas l’apologie du terrorisme, ni du fait de brûler des églises…
LVP : Dans une interview parue il y a quelques mois, vous avez révélé que votre prochain album constituerait un virage pour votre musique. À quoi peut-on s’attendre ? Où en êtes-vous dans la création de cet album ?
JD : On en est… au milieu.
Cet album, ce sera plus de textes, plus de politique, plus de poésie, plus d’influences diverses. Une musique électronique qui évolue… Ce sera plus Gargäntua, en fait.
LVP : Qu’est-ce que ça représente pour vous de jouer au MaMA, de figurer parmi les artistes qu’on considère comme les plus prometteurs du moment ?
JD : C’est une vraie reconnaissance ! Ça fait 6 ans que le projet existe et quand on regarde en arrière, on se dit qu’on peut être fier de nous. C’est un honneur et on espère que le spectacle de ce soir va marquer les gens.
On a aussi hâte de découvrir la suite, de voir où on en sera dans 6 ans.
LVP : Pour finir, est-ce que vous pouvez partager avec nous une découverte musicale récente ?
G : On a beaucoup d’enthousiasme à l’égard de groupes comme Daisy Mortem ou Musique Post-Bourgeoise. On suit leur musique de très près.
JD : Il y a aussi Johnny Jane, avec lequel on va sortir un morceau sur le prochain disque. Et puis on est proche du label Jerry Horny, qui fait de la musique un peu breakée, de la ghetto-tech, et du label Bonsoir, vous habitez l’immeuble ?, qui sont des amis. Personnellement, je me nourris beaucoup de cette musique
G : Je dirais également LOVA LOVA, qu’on a rencontré aux iNOUÏS du Printemps de Bourges et qui nous a cloués sur scène.

- 30 octobre : Le Kilowatt (Vitry-sur-Seine)
Pratiquant assidu du headbang nonchalant en milieu festif. Je dégaine mon stylo entre deux mouvements de tête.