Gaspard Augé : “Il y avait quelque chose d’assez plaisant dans le fait de rompre le rythme de Justice”
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Auteur·ice : Guillaume Scheunders
25/06/2021

Gaspard Augé : “Il y avait quelque chose d’assez plaisant dans le fait de rompre le rythme de Justice”

Après avoir tout vécu au sein du duo Justice, Gaspard Augé s’affranchit de son compatriote Xavier De Rosnay le temps d’un album pour nous emmener avec lui dans ses Escapades. Un premier album solo entièrement instrumental calquant de manière assumée les codes du groupe pour lequel il officie depuis près de 20 ans. Synthés 80’s, rythmique brute et marquée, le producteur reste dans son domaine de prédilection. On a pu contacter l’un des piliers d’Ed Banger pour lui poser quelques questions.

La Vague Parallèle : Salut Gaspard ! Félicitations pour cet album, mais pourquoi cette volonté de partir en solo, c’est une décision qui mûrissait depuis un moment ?

Gaspard Augé : C’est plus un concours de circonstances car cela faisait très longtemps que j’avais beaucoup d’embryons de morceaux, de petits bouts de mélodies, d’idées sonores et j’ai juste trié tout ça pour en faire un disque. Mais ce n’est pas quelque chose qui est fait en réaction à Justice, c’est juste que ça m’est apparu comme le bon moment pour le faire et je l’ai fait, avec les bonnes personnes. L’idée était de faire un disque sans vraiment de pression, quelque chose d’un peu plus libre formellement car c’est un disque complètement instrumental. J’avais un peu perdu l’intérêt de faire des chansons à proprement parler, avec couplet-refrain et avec cette barrière de la langue. Ce disque est un peu le reflet de la musique que j’écoute depuis des années. 

LVP : Vous avez tourné pendant longtemps avec Justice, notamment avec Woman Worldwide. Comment tu te sentais après cette tournée ?

G.A. : Il y avait quelque chose d’assez plaisant dans le fait de rompre un peu avec le rythme qu’on a avec Justice. On passe un an et demi à préparer un disque, six mois à préparer un live et un an et demi à tourner. C’est aussi pour ça qu’on n’a fait que trois disques jusqu’à maintenant, on prend pas mal de temps pour faire les choses et ensuite on tourne. Ce qui est assez drôle, c’est qu’on n’a pas du tout arrêté de travailler avec Xavier. On a bossé sur plein de projets en parallèle de ce disque. On ne tournait pas et on commençait à écrire pour notre futur disque. Et moi, j’avais envie de faire ce projet seul. Mais il ne faut pas voir ça comme une remise en question de Justice, c’est quelque chose de plus personnel. Parce qu’effectivement, même si Justice est une groupe très démocratique où si l’un de nous deux n’aime pas quelque chose, on ne le finit pas, il y a toujours une certaine notion de compromis. Là, c’est un disque qui me ressemble plus mais qui contient des ingrédients que l’on retrouve dans Justice

 

LVP : C’est aussi un album qui nous emmène en voyage, comme le souligne le titre. On ressent des influences de beaucoup de pays. C’était une volonté d’explorer différents genres et de les reprendre à ta sauce ? 

G.A. : Je ne me suis pas trop posé la question du genre, mais j’aime bien les albums qui sont assez variés, qui ne sont pas unidimensionnels et qui proposent plusieurs ambiances, émotions différentes. C’est vrai que c’est un disque qui est assez universel dans le sens où tu n’as pas de paroles, de messages explicites et chacun peut y mettre son affect, son expérience personnelle suivant sa propre histoire et sa propre culture musicale. Forcément, il y a des morceaux qui vont faire penser à quelque chose qu’untel a déjà entendu, d’autres pour qui c’est complètement nouveau ou encore quelqu’un va trouver que tel morceau ressemble à tel groupe même si moi ce n’est pas forcément mon référent. C’est ça qui est intéressant, c’est proposer du contenu suffisamment évocateur pour que chacun puisse poser ses propres fantasmes sur la musique.

LVP : On ressent aussi une influence de la musique classique. Il y a des compositeurs qui t’ont inspiré pour cet album? 

G.A. : Je suis loin d’être un expert en musique classique. Ce qui est amusant, c’est que même quelqu’un qui pense ne rien connaître du tout en musique classique connaît une centaine de morceaux par les films, par la pub… Ce n’est pas pour rien que c’est utilisé pour illustrer des images parce que c’est très évocateur. Je ne connais pas vraiment de musique plus évocatrice que le classique. Et ça propose une richesse émotionnelle beaucoup plus variée, nuancée et subtile que par exemple la pop mainstream. 

LVP : En parlant de films, la formule d’un album instrumental évoque inévitablement une dimension cinématographique. Est-ce que tu avais des œuvres en tête en composant ton album ? Ou bien est-ce que tu as imaginé ta musique illustrant une œuvre en particulier ? 

G.A. : Pas vraiment. Dans la plupart de mes films préférés, il y a très peu de musique dedans. J’aime bien les films où tu ne te fais pas tordre le bras par le réalisateur pour être ému. Je suis un peu allergique à tous les trucs à la Hans Zimmer, même s’il a fait des trucs super. Le problème, c’est surtout tous ses suiveurs qui font un peu des trucs avec des drones, des percussions ou des grosses tartines de violons. Je trouve que ça force l’émotion de l’auditeur ou du spectateur car le réalisateur dicte là où il faut être pris en mettant des violons, là où il faut être inquiet en mettant une musique qui fait peur… Ça bride un peu l’imaginaire des gens. C’est une sorte de viol émotionnel où on te dit “voilà, maintenant tu dois ressentir ça”. Je trouve que ça limite l’expérience. C’est plus dans cette optique-là que je ne voulais pas de voix, car il y a un message à partir du moment où il y a des paroles et ça dirige la perception. Je préfère laisser les gens libres de mettre leurs propres images sur ma musique. C’est aussi dans cet esprit-là que j’ai proposé des vidéos très courtes. Il y a une narration très succincte qui n’est pas vraiment explicative. C’est plus pour proposer une espèce de support fantasmatique pour les gens. Un peu comme quand je fais une pochette, c’est pour donner une indication d’un univers et orienter un peu la perception de l’auditeur sans être didactique. C’est ce qu’il y a d’intéressant dans la musique : il n’y a rien d’autre à comprendre que d’être touché. En tout cas pour la musique que j’aime et que je fais. C’est toujours un peu raté quand tu dois dire aux gens : “ah non mais en fait c’est parce que vous n’avez pas compris”. Il n’y a rien à comprendre, soit t’aimes bien, soit t’aimes pas. 

 

LVP : Dans cette optique-là, tu aurais à la limite pu ne pas sortir de clips alors?

G.A. : Ce qui m’intéressait, c’était de ne pas faire un clip de cinq minutes. Personne ne regarde un clip pendant cinq minutes d’ailleurs. J’ai une autre façon de concevoir les clips. Ce sont des vidéos que j’ai plus conçues comme des teasers pour la musique.

LVP : On retrouve toujours la “patte” Justice dans ta musique. Tu n’avais pas la volonté de t’affranchir complètement du groupe?

G.A. : C’est compliqué car je ne peux pas complètement m’affranchir de moi-même. Pour Justice j’ai des influences que j’adapte au projet. Mais je ne peux pas complètement me réinventer car c’est la musique que j’aime, et qu’on aime avec Xavier. On a toujours quelque chose d’assez épique, maximaliste, qui peut être très mélancolique. Xavier comme moi, on n’aime pas les émotions tièdes, on aime bien les choses assez tranchées, que ce soit du côté mélancolique et épique. 

LVP : Tu as fait appel à Victor Le Masne pour cet album, pourquoi lui ?

G.A. : La première raison, c’est que c’est un très bon ami et aussi un très bon arrangeur et compositeur. Après, c’était juste très agréable de travailler dans un climat assez joyeux, avec quelqu’un que je connais bien. On a un peu la même sensibilité musicale, même si lui il a une formation académique que je n’ai pas. Moi, je ne sais pas lire une partition. Mais c’est assez marrant de se retrouver avec quelqu’un qui a les clés de la musique et qui comprend les mathématiques de la musique. Car moi je fais de la musique de manière très instinctive et j’ai une oreille suffisante pour composer des morceaux. 

 

LVP : Il a donc aidé sur les arrangements et les compositions ?

G.A. : J’ai fait la majorité des compositions et il y a quelques morceaux où l’on est co-compositeurs. Mais j’ai amené toutes les bases des morceaux puis on les a emmenés ailleurs ensemble, également avec Michael Declerck, notre ingénieur du son. Ce qui était intéressant, c’est qu’on était à Motorbass, on avait accès à plein d’instruments et de synthétiseurs. C’était une démarche un peu plus expérimentale que lorsqu’on passe trop de temps sur un ordinateur. Il y avait quelque chose d’assez spontané et jouissif. 

LVP : Chez Ed Banger, il y a une sorte de renouveau avec Myd, Varnish La Piscine ou encore Mad Rey qui vient de débarquer. Est-ce que tu ressens ce nouveau souffle ? Qu’est-ce que tu en penses ?

G.A. : Je pense que c’est très bien que Pedro soit toujours animé de la même curiosité et du même enthousiasme qu’il a toujours eus. Comme la musique fonctionne toujours par phases, par revivals et par affinités, je trouve ça assez courageux de la part de Pedro de toujours sortir des artistes qui sont un peu inattendus. Mais ça prouve qu’il est toujours curieux et à l’affût de ce qui se passe. 

 

LVP : C’était un souffle qui était nécessaire dans le label ? 

G.A. : On commence à être un vieux label. On a commencé en 2001 donc ça fait 20 ans. Effectivement, c’est une durée de vie assez longue pour un label de musique, je ne sais pas s’il y a beaucoup de labels qui ont duré aussi longtemps. Après, ce n’est pas un gage de qualité mais c’est évidemment important pour un label de garder un pied dans la réalité et dans l’époque, donc oui je trouve que c’est bénéfique, oui. 

LVP : Tu as traversé quelques époques de l’électro française, qu’est-ce que tu penses de la scène électronique actuellement?

G.A. : Très honnêtement, je ne sais pas trop ce qui s’y passe. Déjà, tous les clubs sont fermés depuis un moment. J’imagine qu’il y a eu beaucoup d’artistes qui ont eu l’herbe coupée sous le pied parce qu’ils avaient sans doutes des albums prêts et des tournées de prévues et qui se sont faits un peu sacrifiés sur l’autel du covid. C’est vrai que la musique de club est quelque chose qui appartient à la jeunesse. Les modes de musique en club correspondent toujours à une dynamique de jeunes et moi ce n’est pas un truc qui m’a vraiment passionné. Je trouve ça très formaté. Et puis j’ai un problème avec la house car c’est une musique dont je n’ai pas vécu la naissance ni la montée en puissance et je trouve ça assez absurde que ce soit une musique qui reste aussi populaire. Après tant mieux si les gens s’amusent, c’est très bien. Mais cette espèce d’éternel revival de la scène house 90’s, ce n’est pas quelque chose qui me passionne. 

LVP : Et où en est Justice, il y a des projets en cours ?

G.A. : Oui ! On est en train de travailler sur notre prochain album pour le moment.


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