Génération ascendant vierge
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Auteur·ice : Philomène Raxhon
06/06/2023

Génération ascendant vierge

Photos | Sergio de Rezende et Inès Ziouane

Dans les couloirs sinueux de l’Ancienne Belgique le 24 mai dernier, aux alentours de 19 heures, on pouvait entendre s’élever d’une loge une toute petite musique style “ASMR pluie d’été étude relaxation hydratation 24h d’affilée”. C’est dans cette ambiance à la fois feutrée et électrique, juste avant leur concert dans la mythique salle bruxelloise, que les membres d’ascendant vierge nous ont parlé de leur nouvel album, Une Nouvelle Chance, d’avions qui s’écrasent et de leur ascendant commun, l’ascendant casse-couille. 

Interview

La Vague Parallèle : Vous écoutez de la musique vachement chill avant un concert comme le vôtre.

Paul Seul : On est des faux en fait. On déteste la musique techno.

Mathilde Fernandez : C’est moi qui me mets un peu dans le mood, mais ça dépend des moments. Qu’est-ce qu’on écoutait la dernière fois ?

P.S. : Calvin Harris.

M.F. : Et Shania Twain aussi.

LVP : L’album apparaît assez apocalyptique, tout comme votre vision du monde un peu pessimiste. Pourtant, vous l’avez appelé Une Nouvelle Chance. C’est de l’ironie ou un aveu d’espoir ?

P.S. : C’est un aveu d’espoir je pense. On est si dark que ça ?

LVP : Non, vous avez aussi l’air de sentimentaux·ales. Une chanson comme On a Mountain, c’est plein de tendresse et d’espoir. 

M.F. : Ouais, voilà. Ce que je dis souvent, c’est qu’il y a un endroit où notre pessimisme rejoint notre optimisme. Plein de choses sont foirées donc autant essayer d’en tirer quelque chose.

P.S. : Ça s’appelle la théorie du fer à cheval. C’est quand t’es tellement de gauche que t’en deviens d’extrême-droite. 

© Inès Ziouane

LVP : Vous avez tous·tes les deux pas mal de projets derrière vous, et vous venez d’univers assez différents. En tant que duo, est-ce que vous êtes toujours d’accord ?

P.S. : Évidemment que non, il y a des trucs qui prêtent à discussion, heureusement.

M.F. : On est quand même assez d’accord !

P.S. : Ouais, pour avoir été dans d’autres configurations, on a une fluidité et un respect mutuel qui font que, quand quelque chose est important pour l’autre, c’est suffisant comme validation. Si Mathilde croit vraiment à un truc, ça me suffit.

M.F. : Carrément. On est assez alignés. On dit souvent qu’on a des univers opposés mais je pense qu’on a quand même des univers qui se rejoignent, Paul et moi. Ce côté de vouloir flirter avec les extrêmes. Je suis souvent qualifiée de chanteuse avec une douce voix… je ne suis pas tout à fait d’accord. Mon projet solo est quand même assez rugueux. Je vais me rapprocher plus d’artistes comme Mansfield.TYA, je trouve que ce qu’elles font à deux se rapproche plus de ce que je fais que des artistes de variété ou de chanson française, même pop électro. C’est pas hyper facile d’accès, ça peut rebuter. Ça, c’est avec ma voix, mais aussi avec les rythmiques, les thématiques, l’univers visuel et Paul, avec Casual Gabberz et son projet solo, c’est aussi de la musique un peu difficile d’accès. On se rejoint un peu là-dedans. On est un peu les épouvantards. 

P.S. : À notre tout premier rendez-vous professionnel, je ne citerai pas de noms mais on nous a dit qu’on était clairement identifiés tous les deux comme des CC. Casse-couilles. 

© Inès Ziouane

M.F. : Putain, c’est vrai. C’était incroyable. C’était dans une maison de disques. On n’avait jamais mis les pieds dans une maison de disques. 

LVP : Quand on dit ça, c’est juste que vous êtes exigeant·es ?

M.F. : On sait ce qu’on veut ! 

P.S. : Puis on a un parcours dardé.

M.F. : On a parfois juste dû se défendre.

LVP : À vos shows, on peut voir beaucoup de gens jeunes, qui font la teuf. Pourtant, vous apparaissez empreint·es de sérieux et de maturité. Il faut être discipliné·e pour faire de la musique qui donne envie d’envoyer tout balader ?

P.S. : Oui. Faut faire des choses funs très sérieusement. Clairement, quand on a commencé à bosser ensemble, on a mis nos conditions. Il y a des choses sur lesquelles on a tout de suite été d’accord. Par exemple, on a une certaine exigence sur des aspects qui n’intéressent pas forcément le grand public, comme la production d’un disque, les prises de voix, les gens qui travaillent avec nous, le mix. On s’est dit que si on n’a pas le budget pour faire un clip, il vaut mieux ne pas faire de clip. 

LVP : Visuellement aussi, c’est un projet qui est assez exigeant et ambitieux. Comment est-ce que vous avez pensé cet album en termes d’images ?

P.S. : Je pense que sur cet album, mais c’est aussi une manière de voir la vie, il y a eu beaucoup d’accidents heureux, de sérendipité. Par exemple, le visuel de l’album, quand on l’a fait, à aucun moment on ne s’est dit que ça allait être la pochette de l’album. On a fait ce shooting un peu dans l’urgence. Via un ami, on a su qu’il y avait un avion écrasé et que, pour l’instant, il n’y avait pas trop de contrôles mais qu’ils allaient sécuriser la zone. Il y a eu une certaine urgence de prendre ces photos, et c’était un moment où on commençait à faire les premiers tracks de l’album et où il y avait justement Une Nouvelle Chance. C’est aussi ça, des fois, faire de l’art, c’est capter l’instant. On s’est retrouvé avec le titre, Une Nouvelle Chance, et ces photos. Ça marchait. C’est là que tu te rends compte qu’il y a certaines choses que tu fais de manière instinctive et qui font sens avec le concept.

M.F. : Je suis complètement d’accord.

P.S. : Il y a ce que le monde nous offre et ce qu’on essaie de faire et, parfois… je peux citer Booba? “Une à une, mes cases s’allument, comme dans Billie Jean”. C’est un peu ça. Tu marches et, les cases, elles s’allument bien. 

© Inès Ziouane

LVP : Il y a aussi un sentiment de chance ?

P.S. : On parle souvent de la timeline de création des morceaux et de la réception de nos premiers morceaux avec le confinement. Pour nous, en tant que groupe, au moment T, c’était complètement badant, parce qu’il n’y avait pas de concerts. Rétrospectivement, en termes de connexion avec le public et de moment pour arriver au monde, c’était aussi une chance d’exister dans ce moment-là. Je ne sais pas où va aller le projet mais je sais qu’il y a des gens qui ont été touchés par notre musique.

M.F. : C’était tellement fort comme moment que ce sont des gens qui auront toujours ce rappel. Cette musique leur rappellera cette époque. On a marqué un temps et si c’est ce temps-là, c’est comme ça. Espérons que les gens continuent à écouter, même si le covid, c’est passé depuis un moment maintenant. Il y a un peu l’avant et l’après. Le côté Une Nouvelle Chance, c’est aussi un peu la transition. 

P.S. : Je pense que c’était un moment parfait pour se prendre des textes comme Faire et Refaire, avec un côté un peu mystique, un truc introspectif. Le moment du confinement, c’est un moment où les gens remettaient en perspective toute leur vie ; le travail, la famille, la ville, la campagne. Au final, c’est assez génial d’avoir pu entrer en connexion émotionnelle avec les gens à ce moment-là. 

M.F. : C’est vraiment ça, une connexion émotionnelle.

P.S. : C’est un peu niais de dire ça mais plus que l’argent et les streams, c’est cette approbation que tu recherches. 

LVP : On est juste avant le show. Vous vous sentez comment?

P.S. : C’est une date importante parce que la Belgique c’est aussi un ancrage pour le groupe. Bruxelles, jouer à l’AB, c’est iconique. Je ne sais pas pour Mathilde mais moi, je me sens mieux qu’à la sortie de l’album où on a tout de suite dû faire des shows. Là, on a déjà une dizaine de dates derrière nous donc il y a un truc où on commence à s’installer. Je suis excité, content. T’es comment Mathilde ?

M.F. : J’ai un peu la migraine. Je pense que c’est… comment on appelle ça ? Quand ton corps te fait des farces. C’est psycho-somatique. Mais avec l’adrénaline, tout passe.

LVP : Est-ce que vous avez l’impression de rentrer dans un personnage une fois sur scène ? 

M.F. : Je ne crois pas. Je crois que c’est un peu moi. 

P.S. : Il y a un truc tellement théâtral que ça devient un peu ton essence aussi.

M.F. : Pour moi, c’est à peine théâtral. Quand tu es sur scène, c’est le moment du spectacle. Moi, je me sens comme un enfant. Je suis la même personne que quand je faisais des spectacles pour mes parents. 

LVP : Merci beaucoup. On a hâte de vous voir sur scène.

© Inès Ziouane

Live Report

Et on a pas été déçu·es. La salle de l’Ancienne Belgique bouillonne ce soir, avide de hurler sur les tubes de ce groupe découvert pendant le covid, cauchemar fiévreux où la fête était interdite et la musique club reléguée aux murs étroits du salon. Plus qu’un concert, une sorte de catharsis collective se joue ce soir entre les balcons rougeoyants de l’AB. Le show est archi complet, à en croire la vitesse à laquelle s’échangeaient les tickets sur internet. On peut y croiser tous les gens qu’on connaît, Bruxelles entière semble être venue admirer les beats de Paul Seul et la voix stellaire de Mathilde Fernandez.

ascendant vierge ouvre avec le titre éponyme de ce premier album. Loops acharnées, Une Nouvelle Chance ne laisse aucun doute quant à la puissance et l’énergie que déploie le duo. Cramponnez-vous à vos tétons percés. Après un rapide détour par les eaux tendres et calmes de On a Mountain – histoire de nous déstabiliser un peu – le groupe enchaîne tour à tour sur Je suis un avion, Dedans (notre nouvelle chouchoute insoupçonnée), IRL et Juvénile, titres issus d’Une Nouvelle Chance dont le bpm est à rendre amorphe un groupe de gerbilles sous ecsta. La foule saute sur place, le souffle court.

S’ensuit le premier hommage à leur EP, Vierge, sorti au coeur du confinement, avec Faire et Refaire. Le sobre décor jusqu’ici rouge se pare soudain d’une lune bleue. La salle a mémorisé les paroles, de quoi cruiser jusqu’à Ce monde où tu n’existes pas, franchir le mont de vocalises et d’effervescence qu’est Petit Soldat, pour arriver à Au Top, toujours aussi miraculeuse (on aime cette chanson, on l’a déjà dit, on ne va pas s’excuser). Puis, dans un vrombissement extatique, vient l’heure d’Influenceur. Vient également le moment pour ces gens sur internet qui n’ont pas eu de billets de manger leur seum. C’est peut-être leur tube, et on est peut-être un peu basic, mais quand on entend “un passif de souffre-douleur“, nous aussi on est à nouveau propulsé·es entre les fameux murs étroits du salon. On l’a vécu en live pour le rapporter, Influenceur est officiellement la chanson d’une génération francophone confinée. L’assemblée est déchaînée. À cet instant de grâce, on se sent expirer au centre du monde.

Discoteca, autre morceau issu de Vierge, remue aussi de son air vintage faussement mutin. Slowlita suit, comme une grande sœur au gimmick transcendant. Aimer sur le long terme et À l’Infini donnent une dernière accélération, sommet de la performance de Mathilde Fernandez. En guise de rappel, le groupe joue Lubies, titre discret issu d’Une Nouvelle Chance qui sonne tant comme un générique de fin que de début. Il est à l’image de la trajectoire d’ascendant vierge : discrète ascension aux rebondissements entêtants, d’un vif espoir qui n’échoue jamais.

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