Ghost Car : le sens du rythme et de la révolte
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Auteur·ice : Mathias Valverde
08/11/2022

Ghost Car : le sens du rythme et de la révolte

À l’heure où l’on jette de la soupe sur les œuvres d’art, Ghost Car est un concentré de tomate à prendre en pleine tronche ! Renouant avec une énergie punk parfois délaissée par les groupes dominants du rock, le girl band balance rythmes dansants, refrains à reprendre en cœur et paroles politiques. À la découverte de ce premier album qui va intégrer vos playlists !

L’entrée dans l’opus est certes un peu raide avec cette batterie un brin classique et ces premiers riffs de guitare, mais dès l’irruption des voix on est pris par une véritable excitation. L’album Truly Trash repose sur des chansons courtes et dynamiques qui résument la nécessité du groupe de brancher amplis et micros pour jeter un son comme on brandit des slogans en manif. « Selfish / Spoiled/ Can you even see what you destroy ? », voilà sur quoi se concentre le deuxième titre Selfish, Spoiled. Il se termine par cette phrase « Will you even open your eyes? » ; c’est à partir de ce moment que l’on prend conscience du potentiel énorme du groupe.

 

En écoutant bien les pistes, pourtant a priori classiques pour un album de garage rock, on entend bien les variations de la batterie ou des guitaristes, en plus de la voix caractéristique de Ceci Corapi (aussi entendue avec le groupe Qlowski), qui apportent une mélodie entraînante à chaque morceau et dénotent les multiples influences du groupe. Les ruptures de rythmes et les variations du chant en font un vrai objet de musiciennes, loin des groupes de slacker et de DIY. Alors en poursuivant l’écoute on se plaît à profiter de chaque nuance de la musicalité des titres.

La forme de ces sons permet ainsi aux paroles de vous parvenir claires comme les revendications du mouvement « Just Stop Oil ». Enfin, avec un peu plus de subtilité et en rappelant que l’art est avant tout une forme de subversion. À l’écoute de Truly Trash, on rêverait de rassembler tous les amis et ennemis du nouvel Agit Prop écologiste et de les faire chanter le refrain de Selfish, Spoiled. Tout le monde aurait envie de prendre de la peinture et de la soupe pour arroser les œuvres, non pas que des musées, mais aussi des halls d’immeubles des grands groupes pétroliers et bancaires.

En écoutant bien les paroles et ce que les artistes disent dans le matériau distribué à la presse, on se réjouit de voir un groupe prendre si volontairement le flambeau du rock engagé. Alors que l’Europe s’endort tout doucement sur les valeurs démocratiques en laissant monter l’extrême droite aux quatre coins du continent, Ghost Car nous balance des synthés années 60 et des gros riffs de guitares glams pour appeler à la révolte. En interview, le groupe annonce la couleur : “F*ck Trump, f*ck Boris, f*ck the right wing, f*ck the DUP too”. En effet, le groupe est international et le revendique ! Une Irlandaise (de qui vient la référence au parti Unioniste de l’Irlande du Nord, contre une réunification totale de l’île en plus d’être anti-avortement et anti-LGBTQ+), une Anglaise, une Italienne et une Espagnole composent le quartet. Entre le Brexit, l’accession au pouvoir des néo-fascistes italiens, la percée de Vox en Espagne, il y a effectivement de quoi se révolter (en plus de la montée de l’extrême droite en France). Le dernier morceau Truly Trash est un vrai hymne à l’émeute avec ce « Truly, Truly trash / Wankers ! » qu’on imagine en réponse à toute la lie de la politique européenne autant qu’à tous les hommes qui ont largement empêché l’ascension du groupe.

 

Le féminisme revendiqué dans toutes les interventions du quatuor rappelle qu’un gros travail reste à faire pour débarrasser le rock de ses tendances virilistes et violentes. Le groupe affirme qu’au début de leur aventure, les hommes n’arrêtaient pas de les sexualiser et de les infantiliser. La chanson Basta vient réaffirmer la liberté sexuelle queer qui ne tolèrera aucune discrimination ou oppression, et envoyer un message simple : basta ! avec la manière de vouloir contrôler la sexualité des unes et des autres ! La chanson Sex, qui continue sur ce rythme énergisant avec ces notes répétées au clavier accompagnées d’une voix rapide et rageuse, affirme : “They wanna be between us but they don’t even try / You can take me to the backroom, where we can be more private”.

Cependant, ces cris rageurs sur les pistes de Truly Trash sont également mis en œuvre dans la vie du groupe. Alors que la pandémie leur avait bloqué la possibilité de sortir l’album plus tôt, une autre maladie chronique a retardé l’exposition du travail du groupe : la domination masculine ! Ghost Car avait signé chez Burger Record avant de se retirer suite aux accusations d’agressions sexuelles et d’exploitation des femmes commises par des membres du label et certains de leurs artistes. Le célèbre label californien a d’ailleurs depuis fermé ses portes (loué·e·s soient les militant·e·s !). Et Ghost Car, signé chez One Independant Label, peut poursuivre sa route en condamnant par les actes et dans leurs chansons le patriarcat et l’oppression des masculinités.

La politique est donc présente sur l’ensemble de l’album sans jamais réduire le groupe à ses slogans. Les paroles, loin d’être simplistes, invitent à prendre la mesure des différents problèmes qui nous font face tout en profitant d’un son fort, ciselé et tellement agréable. Le morceau Clown Town représente bien cette tendance. Il s’ouvre ainsi : “All my friends are leaving the town / Another bad decision, another ghost town / Horrible decisions, are not in their hands / System, politics, eat out of their hands”. Les sons aigus et spectraux des synthés nous font immédiatement penser au Ghost Town des Specials quand la cadence élevée du morceau souligne que tout s’est aggravé depuis les années 80. La technologie aliénante, critiquée dans le titre No History, renvoie à la théorie de l’accélération sociale développée par le sociologue Hartmut Rosa, rappelant que l’emballement moderne découle de ce capitalisme nécessitant toujours plus de consommation et de compétition pour prospérer.

Ghost Car propose donc un retour bienvenu à l’utilisation des instruments de musique comme armes de mobilisation massive. En plus, il apporte des chansons aux nuances de garage rock, de punk, de glam rock et de psych rock. Que demander de plus ?! Promis, à la prochaine manif, on balance Selfish, Spoiled en tête de cortège. « Wankers » !