Gilles Vanneste: 5 ans d’actionnariat culturel
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Auteur·ice : Franck Limonier
14/10/2016

Gilles Vanneste: 5 ans d’actionnariat culturel

La Femme, Flavien Berger, Turzi, Koudlam, Benjamin Clementine, Indian Jewelry, Poni Hoax, Acid Arab ou The Experimental Tropic Blues Band… Cela pourrait être une playlist de La Vague Parallèle, tant tous ces artistes, dans des genres pourtant très variés, méritent une oreille plus qu’attentive. Ce samedi, j’ai rendez-vous avec le gars qui a eu le goût exquis d’amener tous ces groupes, souvent pour la première fois, et toujours dans des lieux intimistes, à Bruxelles.

L’heure de l’apéro a déjà rempli tout l’intérieur de Chez Franz, Gilles Vanneste m’attend donc en terrasse, malgré le ciel menaçant. Il vient de redéposer à la gare Nova Materia, la tête d’affiche de la première date du mini-festival qu’il organise à l’occasion des 5 ans des Actionnaires. 5 ans de spéculations et d’investissements sur fonds propres dans le secteur de la culture, ça se fête.

Une fois de plus, Gilles a tapé juste dans sa programmation : la veille, bien accompagné par MUGWUMP et FRONT DE CADEAUX, le duo franco-chilien a secoué le BRASS avec son live à la fois electro pêchue et terriblement rock : « Les Nova Materia, échappés du groupe post-punk Panico, sont allés faire un documentaire dans le désert chilien, où ils ont été puiser de nouvelles inspirations sonores, entre la réverbération des dunes ou l’utilisation des matériaux locaux, comme des pierres qu’ils utilisent lors de leur live. » Pas de risque de sécheresse à la terrasse de chez Franz, une bonne drache commence. Gilles me propose de se réfugier dans sa voiture, direction place Brugmann où les canapés retro flashy du Balmoral – Milk Bar nous accueillent au sec. Devant un cola zero et un machiatto, Gilles peut reprendre.

« Tout a commencé par une blague à Paris en 2008. En voyant les fêtes organisées pour les nouvel-ans russe et chinois, j’ai lancé le bruit que nous aussi, les Belges, nous avions notre propre nouvel-an décalé, quand les astres le décidaient. L’occasion de voir jusqu’où les Parisiens nous adoraient, les petits Belges, en organisant plusieurs concerts et soirées bien barrés mettant à l’affiche des talents du plat pays. Le Nouvel An Belge (NAB) était né. A la fin on envahissait carrément tout Montmartre. Il y avait même un défilé de fanfares et majorettes !  Avec l’organisation du NAB, j’ai mis un pied dans la scène alternative belge et j’ai pénétré différents réseaux de musiques, françaises également.

Voilà comment un Tournaisien fait parler de lui à Paris et se lance dans l’évènementiel. La fièvre alternative gagne vite Gilles, qui se met à explorer la scène musicale belge et fouiner dans les réseaux indés. Partagé entre Paris et Bruxelles, Gilles décide de ne pas choisir et se positionne en vecteur entre les deux capitales.

« Je voulais montrer aux Parisiens ce que les Belges faisait, avec le NAB. Mais aussi inversement. Labels, fanzines, magazines et autres découvreurs de talent français, des actionnaires intéressés par un autre type de dividendes. J’ai fini par leur proposer de monter, ensemble, des dates à Bruxelles, sous forme de soirées itinérantes. »

Une fois à la Maison du Peuple, une autre fois au Café Central ou à l’Archiduc. Les Actionnaires de Gilles se rassemblent : le Gonzaï Magazine, les labels Pan European Recording et Ekler’O’Shock, le Collectif Mu… Ils s’incarnent en corps d’hommes avec des têtes d’animaux, devenus les symboles des Actionnaires. Pas de chauvinisme, on retrouve aujourd’hui aussi des Actionnaires belges, comme les labels Jaune Orange et Subfield ou le journaliste Serge Coosemans. Mais peut-on choisir de devenir Actionnaire ?

« Il suffit d’une rencontre, d’affinités. Il faut raconter une histoire. Lui trouver le lieu approprié. Tout le monde met la main à la patte, ça crée du lien. Au niveau musical, j’ai des goûts éclectiques. »

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Gilles dans l’entrée du Balmoral à Brugmann

Effectivement, après l’énergie brute de Nova Materia au Brass, la mélancolie noire et punk freak de Nicolas Ker a gagné l’Archiduc, avant que le tremblement kraut rock des Die Wilde Jagd ne secoue la Maison du Peuple et que Rick Shiver ne fasse rougir The Hope avec ses disques pornographiques, à l’occasion de la sortie d’un beau livre qui compile des affiches de films X dans les années 70-80. Enfin quelqu’un qui a compris que les alterno-enthousiastes étaient rarement monomaniaques.

« J’étais seulement réfractaire au reggae. Mais même là, je me suis rendu compte que c’était avant tout parce-que je ne connaissais pas. En rentrant dans la logique du truc, j’affine mon oreille et je suis sûr que je pourrais trouver plein de choses géniales ! Il faut éviter de rentrer dans la facilité d’une niche, d’un réseau pré-établi. Benjamin Clementine, je n’avais pas particulièrement flashé à la première écoute. Puis je l’ai vu sur scène, j’avais presque une réincarnation de Nina Simone devant moi. Il fallait que je propose quelque chose.»  Quand quelques temps après, j’ai été moi aussi impressionné par le chanteur soul, il remplissait le Cirque Royal. Quel nez, ce Gilles !

Avec son tout premier Actionnaire, Gonzaï Magazine, et plus particulièrement son éditeur Bester Langs qui s’est installé à Bruxelles, Gilles a plus récemment lancé les Gonzaï Nights, inspirées des soirées organisées par le magazine à Paris. Une à deux fois par mois, ils font venir à Madame Moustache des « vrais héros de la contre-culture d’hier et de demain, les hommes de l’ombre, les rebelles et les bras cassés de la pop. » (Ca vient du site de Gonzaï, je suis fan). « C’est aussi l’occasion de faire connaitre le magazine en Belgique. Il y a moyen de trouver le format papier chez quelques disquaires, comme Veals N Geeks. Pour le futur, on pense quitter Madame Moustache, malgré tout focalisé sur le rock, pour retrouver la liberté de l’itinérance et adapter le lieu à l’artiste. » On ne se refait pas.

En préparant les 5 ans des Actionnaires, Gilles a pensé mettre un point d’orgue à l’aventure et passer à d’autres projets. « Un projet européen, complètement utopiste, mais je ne peux pas encore en parler. » Mais en plein dans la programmation des 5 dates, de nouvelles idées et propositions sont venues. Le mot Actionnaire revenait encore. Il y a encore de nouvelles histoires à partager.


Interview Paris-Bruxelles

  • Organiser un évènement, trouver une belle salle, c’est plus facile à Paris ?

Non, en fait. Ca reste sensiblement la même chose. Quand tu travailles avec la scène alternative, tu n’as pas envie d’aller dans les salles officielles et convenues. On voudrait plus d’endroits alternatifs à Bruxelles mais si tu cherches bien, tu as Le Lac, qui va construire une vraie scène de concert, le Barlok, ou le Rumsteek. Après, ces lieux ont leur gérance propre, tu n’y arrives forcément pas avec n’importe quoi. A Paris, il y a un vrai développement de lieux en banlieue, sur de friches, dans des anciens bâtiments désaffectés. C’est souvent plus intéressant que ce qui se passe intra-muros dans les salles parisiennes classiques.

  • Tes spots coup de cœur pour écouter de la musique dans chaque ville ?

Le Beursschouwburg et les Ateliers Claus sont pour moi les deux lieux les plus irréprochables de la ville : une programmation pointue et des prix accessibles, et pourtant, ils sont là depuis toujours. Dommage que les publics francophones et flamands sont souvent très scindés. Après, mes derniers coups de cœur bruxellois, ce sont le Rumsteek et les soirées queer Chaudière au Bokal Royal. Punks à chien, gays flamboyants ou fumeurs d’herbe, on s’y mélange, la liberté est totale.

Du coté de Paris, je dirais La Station – Gare des Mines, une gare SNCF désaffectée  à la Porte d’Aubervilliers en plein périph’, investi par le Collectif Mu qui travaille dans le son et l’art contemporain. Excellent.

  • Tu préfères qui en soirée, le Bruxellois ou le Parisien ?

Les attitudes restent relativement les mêmes en soirée que la journée. Le Parisien a cette réputation arrogante, cette assurance, parfois gueularde, alors que le Belge est plus low-profile, dans la modestie. Il se mettra moins en avant, ne devra surtout pas montrer qu’il a la niaque.

A Bruxelles, on a aussi ce côté public plan-plan, difficile à faire se déplacer et habitué à avoir tout gratuit. 10 euros, ils trouvent ça cher, ils veulent être sur la guest list. Même si je me refuse à faire jouer un dj qui demande 1500eur de cachet, il y a un moment, il faut pouvoir subsister, sans parler d’en vivre.

Après, au-delà des codes et des façades appris dès l‘enfance, on est tous pareils, surtout bourrés à 3h du matin.


Les prochaines dates des 5 ans des Actionnaires :

La prochaine soirée Gonzaï à Bruxelles :

Les bonnes adresses de Gilles :

Les sites des Actionnaires et du Gonzaï Magazine :

Actionnaires.be

Gonzai.com

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