Photos : Melissa Fauve
On se met souvent à rêver à des mondes imaginaires dans lesquels “ceci” existerait ou alors, dans lesquels “cela” serait possible… Des mondes imaginaires qui parfois nous paralysent tant les atteindre nous parait si difficile et lointain. Les utopies sont ces lieux d’illusions, de fantaisies, de fantasmes et d’idéaux : et si…, et si… S’imaginer ce que pourrait être le futur est un exercice difficile et risqué. Mais ce n’est pas ce que nous vous proposerons aujourd’hui ! À la place on voudrait essayer de raconter, de vous raconter l’hétérotopie GIMIC.
Contrairement à une utopie, une hétérotopie est un lieu qui existe loin des projections et des hypothèses. C’est un espace qui permet au futur de se retrouver dans le présent. C’est-à-dire, laisser les imaginaires abstraits de côté, agir et faire preuve d’imagination ! Nous faisons le pari que GIMIC est une hétérotopie, un futur déjà en train de se faire, issu d’un processus à l’initiative de deux potes bruxellois, Arthur et Robin. C’est en train d’arriver en ce moment même et nous sommes allé·es à leur rencontre.
La Vague Parallèle : C’est quoi le concept autour de GIMIC ?
Robin : On a pensé l’ensemble du projet à partir de ce qui nous manquait dans des lieux qui pouvaient déjà exister. Par exemple, penser un endroit avec un intérieur et un extérieur. Un endroit dans lequel le partage de la musique puisse se faire dans un cadre plus intime. On a fait super attention à la qualité de l’écoute, c’est pour ça qu’on a mis des retours partout : il y a 10 enceintes dans le bar. On voulait faire une radio et un espace assez accueillant, cosy, où tu te sens chez toi. Ça peut être aussi un endroit de rencontre et de connexion entre tous les acteur·ices du secteur. On a beaucoup réfléchi au lieu aussi. On a demandé l’avis de pas mal d’architectes qui nous ont aidé sur le projet de manière globale. Léo Hénault a conçu le design du bar et du booth. De manière générale, on était entouré de personnes dont c’est le métier.
Arthur : On avait aussi pas mal d’inspirations, chacun avait des lieux en tête qu’on avait vu à Berlin ou ailleurs.
Robin : On avait cette envie de donner le sentiment d’un grand appart : le genre d’atmosphère qui donne l’impression que des gens sont venus et s’y sont installés à leur manière. Tout n’est pas parfaitement fini. On aimait bien cette idée d’un endroit dans son jus et qui évolue avec le temps.
Arthur : On a gardé cette idée de faire un maximum par nous-même. En fait, on voulait vraiment créer un endroit qui n’existait pas à Bruxelles.
LVP : Ça a pris combien de temps de faire tout ça ?
Robin : 6 mois pour la création du projet, 3 mois pour les travaux !
Arthur : Après il y avait des travaux qui avaient déjà été faits au préalable dans le bâtiment et qui ont pris du temps. Parce qu’il faut le dire, c’est un rapport à l’espace qui est particulier car on se trouve dans une ancienne taverne qui date au moins du 17e siècle. Et ce rapport particulier nous oblige à vivre avec le lieu de manière attentive, avec son architecture et sa vie. On voulait évidemment faire notre truc, mais on n’a pas touché à certains endroits. Il y a comme ça des indices de son ancienne vie qui trainent. Le booth, a été inspiré par les tours de contrôle d’aéroport. Il est conçu pour que tu puisses voir le bar quand tu mixes et aussi avoir des « eye contacts » avec la salle. Et en fait tout le monde peut te voir, mais surtout, toi tu peux voir tout le monde dans la salle.
LVP : Et le mauve ? Comment s’est venu ?
Robin : On voulait avoir un impact graphique fort, avec une identité assumée et spéciale. On s’est dit que la colorimétrie était un outil important. On a beaucoup réfléchi à la question, on a même fait des mind mapping. Et pas que pour la couleur d’ailleurs, le nom a été également une source de réflexion. Pour rester sur la couleur, on voulait quelque chose qui n’était pas encore repris ailleurs. Et puis le mauve, c’est aussi un bon mélange entre le jour et la nuit. Un entre-deux.
Arthur : Il y avait cette question : comment faire avec l’atmosphère de la musique électronique, qui est plutôt issue d’un monde de la nuit, quelque chose qui puisse se faire de jour, sans user d’instruments pour simuler ? Y avait tout ce rapport aux couleurs chaudes mais qui devaient aussi convenir à la journée et le mauve a finalement été cet entre-deux que nous cherchions.
LVP : Pour en revenir au nom, ça veut dire quoi GIMIC ?
Robin : C’est quelque chose d’entêtant. En musique, un gimmick c’est la seconde ou la demi-seconde d’un son qui te marque et dont tu vas te rappeler. Ça peut-être deux ou trois notes et ça te reste en tête.
Arthur : Même si ça ne s’écrit pas de la même manière, il y a un truc très marrant au sujet du nom. Un jour quelqu’un·e m’a dit : « en fait vous avez un gimmick », parce qu’à tous les débuts de sets, on demande aux gens de nous faire un pouce pour nous dire que tout est ok et qu’on peut commencer.
Robin : Au moment de chercher le nom, on s’est rendu compte à quel point il y avait de radios différentes dans le monde. Le nom est un peu sorti comme ça et on voulait un truc qui n’avait pas encore été utilisé et qui en plus, graphiquement était assez facile.
LVP : En dehors des sets, il y aussi des podcasts, pouvez-vous nous en parler ?
Robin : On a deux podcasts pour l’instant. Mais on ne compte pas s’arrêter là. On va en additionner d’autres. Ce sont des podcasts qui se tiennent dans la cabine de DJ, et qui abordent des thématiques diverses et pour certaines peu abordées dans le milieu de la musique. Là on en a un, ça s’appelle Tales of… avec Mika Mayonnaise qui invite des artistes et des musiciennes à partager leurs morceaux. Et vu qu’elle est réalisatrice, il y a aussi des passerelles entre le cinéma et d’autres champs qui se font. C’est assez cool et détendu comme podcast. Il y a également Leah, qui fait un podcast qui s’appelle Backstage Talk Unfiltered et ça parle de sujets tabous de l’industrie : ça parle de féminisme, de maladie mentale, de minorités de genre et de tout un tas de sujets qui doivent être abordés.
LVP : On a déjà parlé du lieu et de l’architecture, du mélange des genres (bar-radio/radio-bar), on parlera de l’aspect « communauté ». Et maintenant, vous évoquez toutes ses thématiques abordées dans les podcasts. Toutes ces articulations nous font nous demander si finalement le projet GIMIC ne revêt pas un sens plus global ?
Robin : Le but c’était de faire de GIMIC un nouveau socle pour notre génération et à force, je crois que le but c’est d’être aussi un des piliers à Bruxelles de cette scène-là, de cette culture-là et de tous ce qu’elle englobe. Et pour la petite histoire, les podcasts, ça a été aussi pour nous une occasion de prendre le projet radio à la lettre et de le pousser un peu plus loin. On a des artistes comme DJ Rino qui viennent présenter leurs morceaux et je trouve ça cool, le côté « old school », ça change parce que là, il y a principalement des DJ et des lives…
Arthur : Vous avez mentionné l’aspect « communauté » qui nous tiens vraiment à cœur. Nous voulions quelque chose de tourné vers le rassemblement. On voulait que GIMIC soit un espace où justement tous les artistes pouvaient se retrouver. Et puis finalement, pas que les artistes mais toutes les personnes qui tournent d’une manière ou d’une autre autour de la scène électronique. C’est vrai qu’on peut croiser des gens en soirée et se mettre à discuter, mais nous tenions à faire de GIMIC un endroit plus intime propice aux rencontres. Je pense qu’un des objectifs de base avec cet espace, c’est de créer un lieu qui puisse être accessible à tout le monde. Et je suis assez content, car c’est ce qui est en train de se passer ces derniers mois, en tout cas, c’est le sentiment que j’en ai car je vois des connexions entre des communautés et des groupes qui n’ont pas forcément l’habitude de se côtoyer. Et c’est là, je crois, que Robin et moi y trouvons du sens.
Le concept est simple, GIMIC à le souhait de diffuser sur les ondes les propositions musicales d’artistes issu·es de la scène locale et internationale. On aurait tort de croire qu’il s’agit seulement de créer des connexions par la musique. Il s’agit de rassembler et de donner à voir ce qu’une communauté peut agglomérer autour des propositions musicales et du contexte de production, de faire du lien. Et que peut-elle, cette communauté ? Eh bien, elle imagine et met en pratique ce que seront nos demains. Elle invente des possibles. Spect-acteur·ices, artistes, collectifs et quiconque pour qui la musique à une place spéciale et importante. La musique non comme une valeur, mais la musique comme la base d’une éthique du vivre ensemble dans une communauté. C’est ça qui anime GIMIC ! La musique, par ailleurs, c’est aussi un moment qu’on prend pour se déplacer d’un état vers un autre – vers le dehors ou à l’inverse, vers l’intérieur. Le genre de moment qui favorise les rencontres et fait tomber quelques barrières. C’est également le moment où tu te lâches sans vraiment faire attention à ce qui se passe autour. En somme : les ondes comme moyens de « communication » ou de transmission.
LVP : En y réfléchissant, on a l’impression qu’en fait ce que vous êtes en train de faire petit à petit, c’est de créer un espace culturel dont le prisme est la musique électronique. Un espace musical où la culture de la musique électronique est considérée comme une culture à part entière. Ce qui nous amène maintenant à vous poser cette question : riche de tout ce que vous mettez en place, comment dialoguez vous avec ce quartier des Marolles, dans lequel vous vous êtes installés ?
Arthur : La dimension culturelle des Marolles est très forte, c’est un lieu de vie qui vibre. Plus spécifiquement, la dimension culturelle de l’électronique est présente dans des lieux que l’on considère comme culturel. Ce ne sont pas des centres culturels, mais ce sont des espaces qui tourne autour de la musique électronique dans le quartier, comme le Fuse pour sortir ou encore Crevette Records pour acheter des disques. Pour toutes ces raisons et bien d’autres, ça avait grave du sens de s’installer ici et pas ailleurs : il y avait déjà une dynamique qui était présente dans le quartier pour cette culture électro et qui recherchait ce type d’endroits comme GIMIC. Tout ça brasse du monde et on commence à voir apparaitre des « trajets » de la part des personnes qui viennent ici. Des gens me disent : « j’étais au Fuse hier, aujourd’hui je suis passé voir chez Sono Ventura Records et Crevette puis je finis chez vous ! ». Y a comme un circuit de la musique électronique dans le quartier et GIMIC en fait partie.
GIMIC est située dans les Marolles en plein centre d’un des poumons historiques et culturels de Bruxelles. À deux pas de la place du Jeux de Balle, GIMIC est le nom d’un vaisseau spatial venu de la galaxie d’Andromède ou d’une voisine, ayant atterrit dans le paysage sonore et visuel de la ville. Radio-Bar ou Bar-Radio, peu importe, le cœur du vaisseau est cette cabine mauve néonisée accueillant les technicien·nes des ondes. Passer la porte de GIMIC « means bringing your purest energy and passing it on to the artists, the staff and everyone else present with you. »
Arthur : Autre chose que j’aimerais ajouter concernant les Marolles et la façon dont on s’est inséré dans le paysage. Les Marolliens et Marolliennes, sont assez drôle. Quand quelque chose se passe dans le quartier, tout le monde est au courant ! (rires) Le bouche à oreille donne lieu à des moments très drôle. Entre l’histoire que nous racontons à la première personne et celle qui nous est rapportée par la 20e, tu passes de l’espace culturel, du bar et de la radio à la boite de nuit ouverte jusque 6h du mat’. (rires) C’est vraiment le petit village des Marolles. Le mot s’est vite répandu. Mais on prend le temps d’expliquer à tout le monde, d’être accueillant aussi vis-à-vis du quartier. Au début, c’était compliqué parce que on a eu un rapport assez frontal lié à ce que GIMIC pouvait représenter : la musique électronique, le monde de la nuit et le monde que ça peut amener. Mais après c’est pareil de ce côté-là, petit à petit on s’installe et les personnes du quartier viennent aussi se poser et juste kiffer.
LVP : Comment faites-vous pour sélectionner les artistes avec qui vous souhaitez collaborer ?
Robin : On a une soixantaine de résident·es qu’on a déniché·es avant l’ouverture pendant les mois de préparation. Ces résident·es représentent un spectre assez large de la scène bruxelloise actuelle. Il y a aussi des personnes qui sont plus dans des styles qu’on a envie de pousser, un peu plus émergents ou un peu plus « niches », comme la musique atmosphérique, la techno mentale, le break ou la dub, qu’on considère comme notre base. Et puis, pour les demandes, c’est moi qui m’occupe de la programmation. La personne peut s’inscrire sur le site pour nous faire une proposition et nous expliquer un peu son parcours. On a déjà reçu des centaines de demandes.
LVP : D’où viennent les artistes qui vous contactent ?
Robin : La plupart des demandes sont internationales. A l’heure actuelle, on a tous les jours quelqu’un·e qui joue venant de partout ailleurs dans le monde. On a beaucoup de chance ! Après, ce qui est embêtant c’est que la diversité des propositions nous oblige à faire des choix. On reste super attentif aux questions de parités avec un œil tout particulier sur l’inclusivité. Mais sinon on se tient informé de ce qui se fait et on va diguer des propositions qui nous semble intéressantes. On démarche pas mal d’artistes pour enrichir nos propositions et mettre en avant des styles qu’on aime.
Arthur : Pour le premier mois, on avait dû trouver pas mal de personnes et résultat, c’est que ça a été complet très vite !
Robin : Maintenant, le rapport s’est inversé et on commence à voir arriver beaucoup de gens et du coup, on est obligé de faire des choix. On est dans ce double rapport : à la fois aller chercher dans les propositions qu’on reçoit et à la fois, essayer de trouver ailleurs ce qui ne nous est pas proposé et qu’on aimerait voir. Je suis à peine en train de lire les demandes de novembre ! Et enfin, parmi tant d’autres moyens, on a la chance d’avoir des contacts avec des artistes qui passent à Bruxelles !
LVP : Y a-t-il un aspect qu’on a abordé jusqu’ici et que vous souhaiteriez approfondir ?
Robin : Si je devais approfondir une question, ça serait celle de la direction artistique du lieu, de son identité visuelle et graphique. On a eu la chance de travailler avec Ozon Studio basé à Amsterdam, qui fait du super taf. Ils sont présents dans pas mal de lieux et font partie d’un média appelé Minimal Collective. C’était marrant parce que pendant les deux premiers mois on a passé pas mal de temps à concevoir le lieu, on avait pas mal d’inspirations et après coup, on s’est tous les deux rendus compte que c’était Ozon Studio qui les avaient tout conçu pour la plupart. On a tout de suite fait appel à iels.
Arthur : C’était vraiment un hasard de fou puisque quand on les a contacté, après avoir vu leur travail, on ignorait qu’iels faisaient partie du Minimal Collective. C’était une bonne surprise. On craignait de ne pas recevoir de réponse et finalement, tout s’est super bien passé et iels ont été super gentil et conciliant·es.
LVP : On arrive bientôt au bout et comme on aime bien terminer par le commencement : pourriez-vous vous présentez ?
Arthur : Pas mal, pas mal, j’aime bien cette question en avant-dernière ! Moi c’est Arthur, mon nom d’artiste c’est VCR, je suis le cofondateur de GIMIC Radio. Dans le projet, je m’occupe de l’espace, du streaming et de l’accueil des artistes et puis un peu de plein d’autres choses en dehors de la radio même. Je suis DJ, producteur à Bruxelles et je fais également partie du collectif Breaxx avec Robin justement. Je suis ingénieur son de formation.
Robin : Moi je suis Robin, je suis aussi DJ, producteur sous le nom de KŌMA. Je suis dans le collectif Breaxx, comme l’a dit le jeune homme. (rires)
Arthur : On a deux ans d’écart… (rires)
Robin : Moi je m’occupe de la progra, de la direction artistique. Et voilà quoi, j’ai co-fondé le projet avec le jeune homme ici. On est même en coloc. On peut presque dire que le projet est né dans le canapé. (rires)
LVP : C’est une très belle phrase pour commencer ça, « Le projet est né dans le canapé » !
Robin : C’est vrai, on dirait un sitcom.
LVP : Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite ?
Robin : Une bonne année 2025.
Arthur : Ouais, une bonne année 2025 et pleins de belles choses. Une semaine de vacances aussi, qu’est-ce que ça va faire du bien !
Robin : Mais en vrai on est assez serein. Il y a plein de belles choses qui vont arriver. Ce qui est cool avec ce projet, c’est qu’il peut prendre plein de formes différentes. C’est tellement modelable, ce qu’on aime par-dessus-tout, c’est les communautés qui se créent autour du projet. J’attends de voir tout ce que ces personnes vont apporter au projet. Parce qu’au final ce projet on le commence à deux mais on ne va jamais le finir à deux !
Arthur : Ouais c’est ouf. Surtout quand on voit la quantité d’amour qu’on reçoit, c’est abusé quoi ! Le nombre de gens qui nous remercie pour avoir mis sur pied un endroit comme GIMIC. Ça fait plaisir, merci !
Une hétérotopie est le nom donné par le philosophe Michel Foucault à des espaces permettant de se retrouver ailleurs tout en étant ici. Le lit des parents, un bateau ; la table de la salle à manger, le toit d’une tente ; la clairière, un royaume ou une forêt magique. “L’hétérotopie a pour règle de juxtaposer en un lieu réel plusieurs espaces qui, normalement, seraient, devraient être incompatibles” écrivait Foucault en 1967. Le jour et la nuit, l’ivresse avec conscience, les modes d’existence ” électronique ” et les changements du monde actuel. Un lieu physiquement là d’espaces et de corps, de souffles et de câbles, de regards et de sons; une expérience physiquement présente, ou encore une fenêtre d’action à partir des Marolles. 120 mètres carré – un bloc de béton venu des étoiles discret et présent – affirmé et bienveillant rénové par une trentaine de volontaires gardant au maximum les codes d’ADN de l’architecture de départ tout en essayant de produire une atmosphère électronique riche de variation et d’imagination.
La cabine diffuse mercredi, jeudi et dimanche de 14h à 22h, et jusque minuit les vendredi et samedi.