Glauque, la couleur des sentiments
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
27/03/2020

Glauque, la couleur des sentiments

Il y a des claques que l’on n’oublie pas. Retour en décembre 2018, Glauque résonne alors pour la première fois sur les plateformes sombres des Internets, pour délivrer les premiers fracas d’un beau vacarme d’art et de poésie. Rencontre du troisième type, ovni musical inopiné, la scène belge a dû faire place à un collectif audacieux et avant-gardiste. Une bande d’essayistes à la plume fine et aux émotions vives. Des sentiments que le quintet namurois déverse aujourd’hui sur un premier disque éponyme, recueil d’états d’âme et de divagations psyché, mâtiné de spoken words incendiaires. Entre éclats électroniques électrisants et douces décadences dédaléennes, la musique de Glauque ne vous manquera pas. Touché·es en plein cœur.

Jouant sur la double définition du verdâtre et du lugubre, leur nom de scène est le reflet fidèle de l’essence même du groupe : l’incertitude, le dédoublement. Une ambivalence qui se ressent tant sur leurs visuels parfois virevoltants, parfois aériens, que sur leurs textes, aisément balancés entre connotations sexuelles et références au Monde de Nemo. C’est comme si l’écriture des morceaux se faisait à travers une plume multiple, un pied dans l’ombre et l’autre dans la lumière. En témoigne le titre Quelques papiers, une ballade poignante scandée par un flot arachnéen de rimes et de vers entrelacés sur deux tempos différents, capturés entre houle et accalmie. Louis Lemage, parolier de l’équipe, y délivrait toute la finesse de son talent d’écriture. Un processus naturel, comme il nous le confiait il y a quelques mois :

Il n’y a pas de secret, tout est purement instinctif : je me pose, j’écris et si j’aime bien je garde.

Il n’y a pas forcément de réflexion profonde.

Mais pour l’ouverture de leur premier opus, pas de mots. Enfin, presque. Intro est une ode instrumentale semi-stellaire, semi-métalleuse, dont les nappes électroniques tintent telle une kyrielle de cris bien clairs, évocateurs des détresses et des urgences qui lui succèdent. Beaucoup de messages s’en dégagent et l’interprétation est plurielle. Un peu comme toute la discographie de Glauque, finalement. Un registre qui s’appuie sur une abstraction empreinte de mysticisme, sans cesse au service de l’imaginaire de l’auditeur·rice. Le morceau est un condensé effervescent d’expérimentations aux saveurs sci-fi, qui jouit d’une force scénique étincelante en live. Au croisement entre la fibre minutieuse d’un Superpoze et la fougue d’un banger à la SebastiAn, cette introduction ouvre les hostilités avec force et aplomb, pour alarmer d’entrée de jeu nos synapses innocentes à ce qui suit.

Des quatre morceaux à texte de la galette, certains occupent déjà fidèlement nos playlists depuis un bout de temps. L’occasion pour nous de les redécouvrir. C’est le cas de Robot, premier élan poétique des musiciens, qui avait fait mouche en 2018. Imposant l’univers si novateur d’un genre hybride, perdu quelque part dans les méandres d’un rap acéré et d’une électro froide, le morceau constitue aujourd’hui encore le manifeste glauquien. L’émotion primant ici est sans équivoque une forme brute de colère ou de hargne. S’infusent alors aux rythmes saccadés des crachats introspectifs vibrants, qui n’ont rien à envier aux slams virulents des plus grands noms du genre.

Dans la même veine, Plane capture la même fièvre pour transposer le thème de l’addiction à la musique si spéciale de la clique belge. Les couplets prennent pied sur un flow ravageur, débitant rimes sans concession, avant de s’élancer sur des refrains plus instrumentaux. Comme la reproduction sonore et rythmique d’une profonde défonce anesthésique. Mais si le morceau se présente comme un pamphlet à l’encontre des déviances liées aux substances illicites qui tachent nos quotidiens, le thème est en réalité plus général.

Tout le monde est dépendant à quelque chose, tout le monde a des addictions, qu’elles soient sentimentales ou autres. Tu peux éventuellement ne pas pouvoir te passer de ton café le matin, c’est une forme de dépendance comme une autre. Du coup, c’est un sujet ultra universel et c’est la force du morceau : la dépendance, on la vit tous, et donc chacun peut interpréter Plane à sa façon.

Arrive alors Vivre. Le traitement semi-psychanalytique des textes si justes de Glauque se cogne ici aux réalismes affolants de notre époque moderne. “On est tous voués à vivre” clame le refrain, résonnant vigoureusement dans nos esprits tiraillés par les battements effrénés rythmants cette composition désarmante, sur le qui-vive. Constat fébrile et tristement réaliste des impérities de nos sociétés, le morceau est un véritable cri du cœur, qui dépeint brillamment nos angoisses existentielles les plus profondes. Fidèles à leur vibe nébuleuse et nuancée, les cinq esthètes nous livrent leur version de l’hymne à la vie, sur des tons de vertiges et d’inconfort. Deux notions que l’on retrouve sur les tableaux accompagnant le titre et réalisés par le groupe lui-même. Les Namurois se sont ainsi amusés à assembler une myriade d’images d’archives et de souvenirs de tournée, pour composer un clip dystopique, alarmant et hautement visuel. Frissons garantis.

Mais là où la verve poétique de Glauque gagne le plus hargneusement nos cœurs, c’est lorsque le chahut étourdissant laisse place à la quiétude onirique et mesmérisante d’ID8. Chez eux, le texte et l’instru sont complémentaires. L’un n’existe pas sans l’autre. Un constat qui saute aux yeux ici, de par l’alchimie étonnante des deux éléments. Minimalisme et maestria lyrique signent alors la pépite de l’EP, jouant sur une parcimonie textuelle où chaque mot a sa place, chaque note son impact et chaque seconde sa propre saveur. Si l’esprit tranquille des trois premières minutes nous laisse le temps d’atteindre un certain ailleurs suspendu, les dernières secondes nous écrasent brutalement au sol, sur fond d’explosion instrumentale mélodieuse et criarde à la fois. Un maelström sentimental, qui ne laissera personne indifférent·e.

Outro conclut le disque comme Intro l’a débuté : avec brio. Une influence d’ambient s’insuffle alors ici, nous plongeant une dernière fois dans l’univers glauque d’un premier disque sans failles. Un EP narrant les tribulations intérieures de cinq mecs comme vous et moi, sujets à des doutes corrosifs et des élans lancinants d’émotions multiples, apposés sur six titres annonciateurs de beaucoup de belles choses. C’est du moins ce que l’on souhaite à ce projet sans précédent, qui prend aujourd’hui le parti de l’audace, pour temporiser la folie actuelle à coups de poésie et de talent.


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