Gorillaz ou le streaming live réinventé
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Auteur·ice : Jeremy Vyls
21/12/2020

Gorillaz ou le streaming live réinventé

Pour 3 occasions à travers le globe, la Song Machine de Gorillaz émettait depuis les caves de leur Kong Studio à Londres. La bande à Damon Albarn remontait sur scène pour la première fois depuis 2018, avec les bras chargés de cet imposant album Song Machine, Season One: Strange Timez. On faisait partie du public virtuel de la 3ème et dernière soirée, celle pour les fans européens. Et même à cette époque on ne peut plus nulle où la coutume est aux émotions vécues sur Zoom, on est catégorique : un concert de Gorillaz, c’est tout simplement grandiose.

Gorillaz Song Machine Live - Damon

Damon Albarn, son look de braqueur d’un film de Guy Richie, et Peter Hook et Georgia dans le fond. © Gorillaz

20h tapantes. Un message défile en bas de notre écran : “Song Machine Live will start shortly“. On entend des bruits de soundcheck dans le fond, Damon ne tient déjà plus en place : “Hellooooo”, s’époumone-t-il dans son micro crachotant style PA d’avion. Des images des backstages apparaissent, à peine éclairés à la lampe de poche. La régie donne ses dernières instructions, et c’est parti : le générique familier de Song Machine, aux sonorités de télé-achat, se lance. À ce moment-là, calé dans notre canapé, on se surprend à trépigner d’impatience : l’adrénaline nous monte au ventre comme si on était physiquement dans cette salle de concert et que les lumières venaient de s’éteindre. C’est ça le sentiment que ça nous fait, un concert de Gorillaz.

Gorillaz Song Machine Live - Robert Smith

Robert aux mains d’argent. © Gorillaz

“Spinning around the world at night.” La voix hantée de Robert Smith s’élève. Notre cœur s’arrête de battre : oui, c’est bien le légendaire Robert Smith, en chair et en os, qui nous accueille à cette grand-messe. Le chanteur de The Cure n’a pas changé d’un iota : voix intacte, style goth figé dans les années 80, coupe de cheveux sortie d’un film de Tim Burton. En ouvrant avec Strange Timez, également plage d’ouverture de l’album, les bases sont posées : ce sera la bande originale de cette époque bien bizarre que nous sommes en train de vivre. Le tube fait mouche, Damon n’en revient pas : avec sa dégaine mi-cambrioleur (ce combo veste en cuir/petit bonnet retroussé du plus bel effet), mi-enfant dans un corps d’adulte (ces lunettes palmiers dorées) et son sourire jusqu’aux oreilles, il saute dans tous les sens. On se surprend de nouveau à sauter avec lui, dans notre salon. Entre les clips projetés en arrière-scène, des guests humains et des apparitions cartoonesques de Murdoc, 2-D, Noodle et Russel façon réalité virtuelle, voilà un aperçu de ce que sera cette mise en scène live de la Song Machine : une expérience kaléidoscopique, comme seul Gorillaz en a le secret.

 

Le super catchy The Valley of the Pagans enchaîne sans prévenir. Beck se dandine sous la forme d’un hologramme grandeur nature, tel un call vidéo dans Star Wars. Mais on gardera surtout en mémoire le deuxième gros highlight de la soirée, qui suit juste après. The Lost Chord, c’est le vrai tube surprise du dernier album. Un aller simple pour une certaine idée de la disco des 80’s, tout en soul sensuelle. Et puis un invité revenant, Leee John, star oubliée du groupe Imagination (responsables du méga-tube Just an Illusion). Le tout donne un morceau à la fois moderne et désuet, délicieusement kitsch et bourré de mélancolie. Sur scène, The Lost Chord entre dans une autre dimension : Leee John offre une véritable performance, habitée et pleine de majesté. Voix haut perchée parfaite, pas de danse enflammés, joie pure d’être de retour sous le feu des projecteurs. Damon Albarn, tout sourire de voir le plaisir se mouvoir sous ses yeux, a remis une couronne sur la tête du roi Leee John. La classe.

 

Après un déroulement toujours aussi dansant, entre singles incontournables (Pac-Man, The Pink Phantom) et découvertes de bonus tracks (MLS et Opium), c’est le moment que choisissent Murdoc et 2-D pour faire leur apparition sur notre écran. Les deux lascars, habituellement visages animés du groupe, semblent ce soir relégués à un rôle d’inspecteurs des travaux finis en régie. “Dis Murdoc, tu savais qu’on avait une salle si grande au sous-sol du studio ?”, demande 2-D, incrédule. Petit point technique pour vous rendre compte de l’ampleur de la production de ce Song Machine Live : la cave du Kong Studio fétiche de Gorillaz (en fait les immenses studios de télévision et de répétition LH2 à l’ouest de Londres) s’est mise au niveau de la démesure (en même temps, what else quand on parle de Gorillaz). Un décor immense en mode “pièce à bazar” avec tout un tas de babioles truffées de références à l’histoire du groupe, une scène géante pour 7 musiciens et 6 choristes, un salon, un garage pour la moto et la voiturette de golf, une petite scène adjacente feutrée,… Ils ont visiblement mis le paquet, au vu également du nombre de personnes en prenant plein les yeux et les oreilles depuis le bord de scène, et constituant ce soir les seules acclamations humaines à la fin de chaque chanson.

Les années 80 modernisées sont un peu le gimmick de cette soirée (et de cet album). Aries, avec en nouveau guest le bassiste vétéran de Joy Division/New Order Peter Hook, ne nous contredira pas. La jeune Georgia est là aussi, martelant ses fûts électroniques. Ça claque et ça file tout droit. Voilà près d’une heure qu’on est scotché et qu’on n’a pas vu le temps passer. La ballade R’N’B downtempo Dead Butterflies nous charme, et l’autre ballade, Désolé, déjà un classique, finit de nous emporter. Damon va refermer le chapitre Song Machine de la soirée avec son atout punk, qu’il semble avoir attendu comme un gamin depuis le début. “Maintenant, on va faire beaucoup de bruit”, prévient-il. On devine alors qu’on a intérêt à s’accrocher pour le ska-punk Momentary Bliss, d’autant plus qu’on a droit à la présence des deux enragés de Slaves et du encore plus enragé slowthai (avec son sourire de démon et sa capuche aux petites cornes qui lui vont si bien).

Quand ce diable de slowthai débarque dans ton salon. © Gorillaz

Après ce moment de défoulement intense (oui, on a fait un pogo dans le salon), on tamise les lumières et on se replonge dans les archives de Gorillaz. L’ambiance se fait mystérieuse, un homme en robe de bure s’avance : c’est l’acteur Matt Berry, qui déclame le monologue de Fire Coming Out of the Monkey’s Head (une première en live depuis 2010). Sacré cadeau pour les fans, qui recevront une autre jolie friandise un peu plus tard avec Dracula (la dernière fois c’était en 2002 !). Damon et tout son groupe ont migré vers une petite scène intimiste, comme s’ils venaient de s’installer dans notre salon, juste à côté du sapin. Last Living Souls accompagnera l’habituel final en concert avec Don’t Get Lost In Heaven et Demon Days. Moments suspendus qui nous foutent définitivement les poils. Avant de dire au revoir, Damon nous présente un instrument on ne peut plus vintage : l’omnichord, une étrange autoharpe électronique… Et lorsqu’il presse un bouton, il envoie une dernière fois la sauce avec l’intro de Clint Eastwood. Ça part carrément en sucette lorsque ce classique des classiques de Gorillaz est remixé en direct façon dancehall jamaïcain avec le MC Sweet Irie, et tous les invités de la soirée dans un gros pogo qu’on aurait bien imaginé dans une fosse.

Gorillaz Song Machine Live - Damon and band

En tête-à-tête avec Damon. © Gorillaz

À l’ère (éphémère, espérons-le) du live à distance, Gorillaz s’est une nouvelle fois imposé comme les réinventeurs du genre avec ce Song Machine Live. Alors qu’ils n’ont cessé d’innover musicalement durant près de 20 ans de carrière, tant dans les sonorités que dans les codes, on attendait forcément plus qu’un simple concert. Ils nous ont proposé une expérience totale, où la direction artistique époustouflante du génial Jamie Hewlett s’est comme toujours mariée à merveille avec la malice musicale et l’énergie de l’inépuisable Damon Albarn. Le rêve qu’on a vécu ce soir nous a fait un bien fou. Maintenant qu’on s’est réveillé, on passera les prochains mois à espérer de (re)vivre ça en vrai l’été prochain.


  • 3 juin : We Love Green
  • 10 juin : Festival de Nîmes
  • 23 juin : Garorock
  • 1er juillet : Rockhal (Esch-sur-Alzette – LU)
  • 3 juillet : Rock Werchter (Werchter – BE)

 

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