Barcelone a fini de chanter “Can’t do Without You”, le souvenir du dernier week-end de mai s’estompe, on ne peut plus jouer dans la rue à qui-va-au-primavera. Non, il ne reste plus que des touristes rougeauds abreuvés d’Estrella Damm revenant de la plage, et des barcelonais se préparant pour le Sonar.
Ici, toute la semaine que dure le Primavera Sound est un moment à part, du moins pour ceux qui ont leur abonnement, et on en fait partie. On croise de plus en plus de tatouages, de Doc Martens, de looks tous plus improbables, plus IN que les autres. Ce n’est même pas de la fébrilité dans l’attente du début que l’on ressent, plutôt une certaine arrogance, disons une prétention, dans la coolitude, dans l’assurance que le week-end au festival est le seul envisageable fin mai.
Dès lundi, des concerts, entre autres, d’Ibeyi ou Vietcong, sont programmés dans une des rares bonnes salles de la ville, Sala Apolo. Mais on préfère se réserver pour les 3 vrais jours au Fórum. On connait le marathon. On la joue Prudence.
On ne se rend compte du privilège de vivre à Barcelone que lorsque des copains, copines y viennent depuis toute l’Europe. Il faut alors enfiler une des tenues préparées pour le Primavera (mais on sera Not Cool Enough, de toutes façons) se balader évitant les touristes, faire manger tout ce que l’Espagne a de plus gras à offrir et se diriger vers le site du festival.
On a beau y être préparé depuis quelques années, ou pas, c’est toujours avec un sourire aux lèvres, presque de fierté, que l’on débarque au Fórum, qui surplombe la mer. Et l’on se dit qu’on va voir les Strokes au bord de la Méditerranée. Le site monstrueux du festival, construit en 2004 pour y héberger un bide international, le Forum des Cultures, ne sert quasiment que pour ce week-end. Mais ce n’est pas maintenant que l’on va s’en formaliser.
© Dani Cantó
On rentre, on arrive encore à se surprendre par la branchitude des festivaliers, puis on râle déjà. Le miracle n’a pas eu lieu, et les bières sont toujours aussi chères. C’est pas le Pitchfork non plus, mais on est en Espagne quand même, 25% de chômage coucou. On ne réussit pas à avoir de places pour Panda Bear, mais pour en avoir, on aurait du être sur le festival à 16h00 et donc zapper les boquerones et les Bravas. Pas déconner.
On a donc le temps de fouiner dans les stands du merchandising, Rough Trade represent Primavera Sound cette année, et des posters sérigraphiés de concerts, certains sont très laids, du genre Fantasy, mais on se dit que si c’est au PS, c’est que c’est hype. Le festival sert aussi à ça, à se mettre à la future page. Puis on se dirige pour le premier concert de cette édition, et ce sera Childhood, qui n’arrive pas à nous faire danser ni même nous réveiller jusqu’aux 3/4 du concert et As I Am qui mérite la première danse du swag. Aussitôt vus, aussitôt oubliés, on bouge à la scène d’en face (à bien 500m) pour voir Baxter Dury, qui, bière à la main tout le concert, comme si de rien, entre deux “Patatos Fritos muy buen” et “Sisi, Españos es bien”, à la façon d’un Sébastien Tellier, nous sort quelques merveilles pop, mélancoliques à souhait (White Men, Leak at the Disco…). Le concert qu’il fallait pour vraiment entamer le festival. An english gentleman.
Mais les horaires ne nous attendent pas et il faut déjà longer le bord de mer pour aller voir une des attentes de la journée, les canadiens de Vietcong, sur la scène Pitchfork, traditionnellement consacrée aux nouveaux groupes les plus séduisants de l’année. Et alors que leur album est carré, puissant quoique mélodieux, on assiste médusé à un concert plat, sans variations, la faute à des chansons rallongées à l’extrême qui perdent leur essence. Continental Shelf fera illusion un instant, mais les voilà repartis sur un concert peut être trop dans une surenchère d’agressivité, mais c’est justement de nerf qu’il seront en défaut tout le long de leur prestance.
Pour évacuer la déception, on sort du site et on enfile des GinTonics dans un de ces bars “Manolo” qui seraient l’équivalent d’un Bar des Sports en France. C’est ça aussi, l’Espagne, et il faut la vivre sous tous ses aspects pendant le Primavera.
On revient pour Antony & the Johnsons, ayant raté Replacements et surtout Ought, qui auraient ridiculisés VietCong avec un concert très tendu. Et alors qu’on ne s’attendait pas forcément à grand chose sur une scène si grande en plein air, Antony survole le site du PS, bien aidé par l’Orchestre de Barcelone, et livre des chansons à bout de souffle, majestueusement, surréel dans son drap blanc. On aura raté Spiritualized, mais n’ayant entendu aucun feedback on serait à croire que tout le public s’était transporté pour ravaler larme sur larme, chanson après chanson (On aura du mal à les différencier, malgré tout).
On s’éloigne du Heineken pour assister aux premières loges au FLOP du festival. Cette édition pêchait un peu pour les têtes d’affiches. Les Black Keys ont certainement fait leur job, et les filles étaient ravies de voir une copie de Ryan Gosling se déhancher sur Lonely Boy, mais c’est loin d’être suffisant pour mériter une place en première ligne sur le Line-up d’un festival exigeant comme le PS, qui y a placé entre autres Pulp ou Nick Cave. Oui, une batterie, oui, une guitare, mais jamais de flamme, ni dans la voix, ni dans le jeu. Hormis peut être sur Little Black Submarines, mais c’était déjà la fin, et il est assez difficile de ne pas soulever l’enthousiasme sur cette chanson.
Heureusement, on allait passer au concert le plus attendu de la journée, celui de James Blake. Le public s’est dispersé entre ce dernier, Jungle, et Gui Boratto, qui jouaient en même temps sur le créneau de 02:00, et selon les retombées, personne n’est sorti déçu. Jungle étant passé au Primavera Club (qui viendrait à être la Collection Hiver pour la Route du Rock), le choix était vite fait, malgré le succès de concert-là.
Et James Blake a mis tout le monde à sa place, se consacrant vainqueur en solitaire, “con el rabo y las dos orejas”, on reste en Espagne. Une expérience physique. Des basses qui résonnaient depuis le larynx jusqu’aux dernières entrailles du corps, et du coeur surtout, marquaient le tempo et sonnaient le départ de ce Live. Et il n’allait pas nous lâcher. A chaque fois que les basses diminuaient, notre tête s’envolait. Physique. Et beau. Parce que malgré la puissance sonore, la voix de James sur Retrograde, Limit To Your Love ou Whilem Scream envoûtait l’assistance, la berçait, la mouvait selon ses envies. Et cela, tout en restant assis, tout du long. Malgré toute la jalousie qu’un homme peut avoir pour lui, on a succombé a`son charme pour ce qui restera un des moments les plus forts de cette édition.
Il était 03:00 du matin, et malgré la fatigue avec laquelle il faudrait faire face pour toute la suite du festival, les dernières chansons du concert de Gui Boratto, dont Please Don’t Take Me Home, renouvelaient nos énergies pour aller voir les locaux de The Suicide Of Western Culture, qui non seulement pour le nom le plus sympa de la line-up, mais surtout pour leur Electroclash et leur tube Hate Politicians, Love Friends, méritaient la meute, surtout barcelonaise, qui s’était déplacé à la plus petite scène du festival, l’Adidas. Bonsoir.
Le Primavera, c’est une course de fond, il faut se réveiller à peu près en forme, tenir le coup jusqu’à 17h et aller aux premiers concerts de la journée. Ça se vit toujours un peu dans un état second, un peu dans l’inconscience, on se rendra compte de ce qu’on a vécu par la suite, mais sur le coup, on se laisse porter par les sensations, sans trop penser. Sauf si le premier concert est donné par The KVB, et alors, on rentre tout de suite dans le bain. Ils remportent une franche adhésion à coups de rythmes coldwave-no-joy, et méritaient certainement un concert à la nuit tombée. Les britanniques font mieux que défendre leur dernier album, Out of Body, et n’ayant pas la scène la plus facile pour leur genre (ATP, qui débouche sur une longue esplanade) qui aurait peut-être besoin d’une ambiance plus intimiste, enfumée, déversent un spleen désabusé qui fera écho au dernier concert de la journée, à savoir, The Soft Moon. Sylvan Esso était programmé à la même heure. Sans regrets.
Ensuite, le choc du week-end. Julian Casablancas. + The Voidz. Mais non pas un choc musical. Plutôt un choc radical, capillaire, esthétique. On est tenté de s’en amuser. Habillé comme un douchebag, avec une teinture rouge sur le côté des cheveux, et un visage empâté, on doute s’il a arrêté les drogues ou s’il a vraiment commencé l’alcool. Le concert en soi est difficile à apprécier, de par la quantité de distorsions dont abusent les Voidz, et qui nous empêchent d’entendre la voix de Julian. Mais sa voix nous paraissait plutôt touchante et émotive, loin de son statut. Et c’est peut être cela qu’il a voulu cacher sous la distorsion. Ils ont même “repris” Vision Of Division. C’est dire.
Exit Patti Smith, on se dit que bon, Horses, elle va pas le réinventer. Bizarrement, tous les médias se mettent d’accord pour ne parler que de son concert, et il aurait été mythique. Mais on n’a croisé personne qui l’ai vue pour corroborer. Après Marc Ribot qui donnait avec les Ceramic Dogs, dans l’auditoire fermé étoilé, une leçon de guitare et de rock simple et un peu jazzy, on revient sur les scènes extérieures pour Belle & Sebastian. On ne s’attend à rien de bon, mais tout de même, la dose d’insuline nécessaire à supporter le concert – et la kind-pays-des-bisounours-good-mood-attitude- est équivalente à celle dont aurait besoin le petit gros de Charlie et la Chocolaterie. Y’en a même qui sont montés sur scène à la fin. La chance. L’alternative horaire était Damien Rice.
La programmation est si bien faite au Primavera que pour le concert suivant, on a pu se remettre du baume à l’âme avec des Riot songs bien tenues par les trois américaines de Sleater-Kinney. On a toujours l’impression que les Punk-Riot bands jouent constamment les mêmes accords, mais c’est efficace. Et leur dernier album est bien d’actualité, No Cities To Love.
Puis vient le moment de la reformation annuelle (avec les Replacements) que nous offre le Primavera. Après Pulp, Slowdive ou My Bloody Valentine, c’est Ride qui s’y colle. On ne comprend pas trop au début la foule qui se présente devant le groupe. On ne comprendra pas, d’ailleurs. Au début, on a pensé qu’Oasis jouait, en fait. Mêmes airs, mêmes coupes, mêmes lunettes, même. Ride sont antérieurs, mais le concert n’a rien apporté et on ne tient pas tout le long. On se présente alors devant une des surprises du festival, un groupe de Math Rock instrumental (Le leader zozote, ceci explique peut-être cela), luxembourgeois, avec un nom qui nous a fait nous y déplacer, Mutiny on the Bounty. Les spectateurs se rendent bien à leur son -un peu axé sur le premier album de Foals- qui nous fait sauter et danser comme on n’en a pas encore eu l’occasion. Après coup, on a le temps d’écouter les dernières chansons d’Ariel Pink. Il n’a pas l’air très frais, mais c’est sans doute partie du jeu, et on se laisse prendre à son détachement surfeint.
On revient vers la scène principale pour Alt-J, qui surprend tous ceux qui s’attendaient à un concert terne et incolore et s’en voulaient déjà de rater John Hopkins jouant Immunity. Pour leur premier concert à Barcelone, ils commencent avec Hunger of the Pine, et font résonner “I’m a female rebel” (C’était le jour) et donc Miley Cirus dans le temple artcool qu’est le PS. Ils enchainent par un set impeccable, très léché et professionnel, mais graphique, visuel, puissant et touchant, qui passe en revue les chansons de leur premier album devenu classique et fait apprécier celles du deuxième au travers de jeux de chant particulièrement poussés sur Nara et Bloodfloond Pt.II. Un concert intime renforcé par une basse suave et dansante qui leur a permis de démontrer qu’ils forment un des groupes les plus créatifs de la pop actuelle.
On part sur Breezeblocks, mais on part vite, car le plat fort du jour, c’est tout de suite, à 03:00 du matin, sur le Rayban stage (le seul avec des gradins, qui permettent d’avoir un aperçu sur la mer, la scène et la foule) et c’est RATATAT. Un des concerts les plus attendus cette année, et il y a de quoi, pour leur retour en Europe, après 4 sans tournée. Et ils ont triomphé. Un groupe encore vangardiste, qui joue sur ses tonalités électro découpées par des riffs de guitarres et a renversé le public de par son élégance, sa sensualité, son unicité et surtout grâce à ses classiques, Wildcat, Seventeen Years et Gettysburg en tête. Ils ont même pu finir sur une note un peu plus douce avec Shempi, afin de nous donner beaucoup d’amour.
Mais comme cette soirée était dingue, il fallait encorer se dépêcher pour écouter The Soft Moon, à 04:00. Sur le coup, ça paraissait logique, mais on se dit plus tard qu’enchainer Ratatat-Soft Moon à 03:00 du matin, c’est la marque d’un grand festival. La foule n’est pas tout à fait au rendez-vous, et les forces commencent à fléchir, mais Luis Vazquez nous rallume avec une des chansons de l’année so Far. Puis la chaine se défoule sur Zeroes et sur les coeurs d’outre-tombe de Being. Le concert finira en eau de boudin après qu’un cable saute et qu’il faille attendre une dizaine de minutes avant la dernière chanson, instrumentale, bien noisy, bien cold.
On se dit qu’après cette journée, on est rassasiés. Le lendemain, on ne l’est plus du tout, et on en veut toujours plus. On commence par Swans, à l’Auditorium, mais on n’y est pas préparé et on préfère se la couler douce au soleil en écoutant DIIV, qui montrent peu de présence en LIIV et seront une des déceptions du festival. On écoute ensuite d’une oreille (on ne pense qu’au concert des Strokes depuis qu’on est levé) American Football, qui continuent sur le son dont on a besoin après trois jours de festival, c’est à dire un son Indie-mélancolique pendant qu’il fait beau. On ne va donc pas voir Mac de Marco, mais on reçoit de ses nouvelles, et, étonnamment, il aurait cassé une corde de sa guitare et pendant ce temps son groupe aurait joué Coldplay. Trop de COOL tue le COOL.
Avant les Strokes, on part écouter un mythe, les Einstürzende Neubaten, rénovateurs du rock industriel allemand depuis les années 70, qui ont entre autres fait partie de la clique de Nick Cave lorsqu’il était à Berlin. Des dégaines de psychopathes ou de dandy-mafioso, et des chansons en anglais et allemand (que l’on découvre, soyons honnêtes), qui nous laissent bouche-bée de par leur force, leur lyrisme, leur capacité de surprise (une tronçonneuse, des tuyaux, des vis, sonneront mélodiquement), leurs lamentations, leurs cauchemars, leur tension dans l’angoisse. Parait que Foxygen jouait à la même heure. Ça ne devait pas être pareil.
On zappera Interpol pour être dans la fosse devant les majestés Strokes. On s’attend à voir Julian avec un look de rigueur, c’est à dire en blouson en cuir de rigueur, sans mèches rouges, sans boutons. On pense qu’il allait de toutes façons se re-métamorphoser en lui. Mais il apparait avec le maillot jaune fluo du Barça qui vient de gagner la coupe d’Espagne, une espèce de veste en jean, et la même mèche rouge et les joues bouffies. Le temps que l’on se remette de notre stupéfaction, le concert commence et à partir de là, on y perd trois côtes, un genou, un poumon, sur Someday, Automatic Stop, Juicebox, Hard To Explain, The Modern Age…On aura aussi droit à quelques chansons du dernier album, mais on aura vu et écouté, en vrai, toutes celles qu’on voulait. Et non, évidemment, ils n’ont pas fait de grands sourires, ni à nous, ni entre eux, mais on n’en voulait pas. Ecouter au plus près ces chansons qui nous suivent depuis une dizaine d’années, c’était juste ça le deal. Contrat tenu. On ne saura jamais s’il s’agissait d’un bon concert, on ne pourra pas être objectif. La voix de Julian n’a quand même jamais paru aussi réelle, aussi sincère. Contrairement à leur tournée précédente, en 2013, on a eu la sensation qu’ils se “plaisaient” sur scène, malgré toute la lassitude qu’ils arborent, par jeu ou bien par habitude. Pourtant, ce concert aura du mal à rentrer dans la catégorie des mythes et légendes du Primavera Sound, sans que l’on sache dire pourquoi. Quelque chose a peut-être manqué, sans que l’on réussisse à capter ce que c’était.
On rate Underworld, mais le choix de Shellac à 02:00 du matin n’est pas le bon. On ne rentre jamais dedans et on va donc attendre la clôture du festival avec Caribou, sur la scène aux gradins. Et quoiqu’on l’ait déjà vu ailleurs, ils font leur concert le plus abouti, le plus festif, le plus fun. Avec cet enchainement devenu classique Odessa- Can’t Do Without You, hymne que reprend tout le public, comme s’il le chantait non pas à Caribou, non pas à leurs copains, copines, mais au Primavera lui-même, à ces jours enchantés. Parce que la dépression post-PS est une réalité pour de nombreux barcelonais. On pouvait encore en profiter un instant pour s’éclater sur Sun, avant que le DJ officiel de fermeture, DJ Coco, enchaine avec maitrise les classiques Indie sous les feux d’artifice, jusqu’au lever du soleil. Le site est rempli de verres, “on dirait de la neige” dit une copine, on vivait bien une réalité parallèle.
Malgré le manque d’un concert référence, malgré tout ce que l’on puisse râler sur les incompatibilités horaires, sur le prix des bières, sur l’invasion de T-shirts Joy Division (un jeu d’ailleurs, celui de les compter: 28 en 4 heures de jeu); la qualité globale du festival, les claques prises en concert, le site, l’ambiance, les retrouvailles incongrues au beau milieu des scènes, les commentaires ironiques sur les groupes et les festivaliers, les commentaires d’admiration sur les groupes et les festivaliers(ères), le sourire qui ne s’éteint que sur le long chemin de retour à la maison le matin- valent un abonnement vital au Primavera. Qu’importe la line-up. Quoique, Radiohead 2016…
Hugo Kermorvant