Grand Veymont : “La musique est une quête de renouveau”
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Auteur·ice : Marion Fouré
29/06/2021

Grand Veymont : “La musique est une quête de renouveau”

Enfants de la Drôme des collines, envoûtés par la vue inlassable du plus haut sommet du Vercors, Béatrice Morel Journel et Josselin Varengo forment depuis plusieurs années Grand Veymont, un duo discret mais aventureux où l’immobilisme n’a pas de place. Animés par l’exploration sonore et la réflexion sur la forme, les deux artistes nous guident avec poésie et liberté vers les grands espaces, l’infini, où le temps semble être en suspension. Dans leur dernier disque Persistance & changement, le duo repousse une nouvelle fois les limites en livrant un unique morceau de quarante minutes ; un voyage sonore analogique et hypnotique à écouter en pleine conscience. Nous avons eu la chance de rencontrer Béatrice et Josselin à la sortie de leur concert à Villette Sonique pour en savoir davantage sur leur œuvre.

 

La Vague Parallèle : Bonjour Grand Veymont ! Qu’avez-vous ressenti aujourd’hui en rejouant devant un public ?

Josselin : Du bien ! Jouer en public, c’est ce qu’on aime faire. Faire des disques c’est chouette, mais c’est quand même bien de pouvoir les présenter, les adresser à des vrais gens. On avait hâte !

LVP : C’était quand votre dernier live ? 

Béatrice : Le dernier live avec des gens c’était en septembre, lors d’une petite tournée en France. Après on a fait des lives sans public pendant l’hiver. C’était cool de faire des concerts filmés, en plus le fait de n’avoir qu’un seul titre permet d’éviter le vide terrible qu’il peut y avoir entre deux morceaux. Ça crée quand même quelque chose d’assez bizarre, car tu joues pour des gens qui sont potentiellement en train de travailler et du coup ce n’est pas pareil. Bizarrement je n’ai pas pensé à ça aujourd’hui, comme si je n’avais pas réalisé ce qu’il se passait. J’étais contente que ça arrive mais il y avait un côté presque normal.

LVP : C’est la première fois que nous vous interviewons à La Vague Parallèle, du coup est-ce que vous pourriez vous présenter ? 

Béatrice : Alors moi c’est Béatrice, je joue du synthétiseur, de l’omnichord, de la flûte traversière et je chante.

Josselin : Et moi c’est Josselin, dans Grand Veymont je joue autant que possible avec tous mes membres ! D’un côté un clavier, de l’autre une batterie. De la trompette de temps en temps. Je chante aussi un petit peu. 

LVP : Comment vous êtes-vous rencontrés tous les deux ?

Béatrice : On ne se souvient plus vraiment car c’était il y a très longtemps ! En fait je suis la petite sœur d’un ami de Josselin, on s’est donc rencontré sans se rencontrer au départ. Par la suite, on a joué dans plusieurs formations. On fait de la musique ensemble depuis longtemps. 

LVP : Et comment est né Grand Veymont ? 

Josselin : C’était une volonté de s’extraire de là où on était dans nos précédents projets, d’une musique pop assez calibrée. C’était une envie déjà parce qu’on s’entendait très bien et surtout une envie d’explorer les formes et d’aller plus loin, de développer des choses qui nous tenaient à cœur et qu’on ne pouvait pas faire jusqu’alors. 

Béatrice : Je pense qu’on s’est rendu compte qu’on était content aux mêmes endroits, mais des endroits qui n’avaient pas leur place dans ce qu’on était en train de faire. Ça nous a donné envie de créer quelque chose ailleurs. 

LVP : Quelle histoire se cache derrière le nom de Grand Veymont ?

Béatrice : Alors le Grand Veymont c’est le sommet du Vercors, le point culminant. On vient tous les deux de ce coin-là, on a grandi en face, dans la vallée, c’est donc un clin d’œil à ce qu’on a vu depuis qu’on est tout petits. On s’est pas mal amusé sur des titres de morceaux dans les précédents albums en allant piocher dans la topographie locale car c’est souvent très poétique, très inspirant. On l’aime notre Vercors !

Josselin : C’est un coin très saisissant et hypnotique. Je vais souvent en haut de la colline près de chez moi où je vois tout le Vercors et ce Grand Veymont, massif, immuable. C’est inspirant mais c’est aussi un rapport un peu intimidant, car on se sent petit. 

LVP : Vous vous définissez comme un groupe de krautrock de salon, pourquoi ? 

Josselin : C’est une référence à la musique de chambre, avec cette idée qu’on fait une musique très répétitive donc qui peut s’apparenter au krautrock, aussi par les sonorités. C’est un son plutôt intime qui peut se jouer dans les salons, et qu’on aime d’ailleurs jouer chez les uns et les autres. 

LVP : Finalement le meilleur moment pour vous écouter, c’est où ?

Béatrice : Un canapé est vivement recommandé pour nous écouter (rires) ! Mais je pense que les concerts dans les maisons et les appartements, c’est vraiment chouette. On fait ça avec notre entourage, mais il y a aussi des gens, des inconnus, qui organisent des concerts chez eux.

LVP : Vous avez une préférence entre jouer dans un cadre intimiste ou dans un festival comme ici à Villette Sonique devant plus de monde ? 

Béatrice : Les sensations ne sont pas les mêmes, mais il n’y a pas de préférence. C’est juste différent. 

Josselin : Je pense que c’est plus dans notre rapport à la musique et au confort que l’on peut avoir en tant que musicien sur scène. C’est quand même souvent beaucoup plus simple dans des lieux intimes car nous sommes rarement ennuyés par des problèmes techniques ; mais globalement c’est le même élan. 

LVP : Qu’est-ce que vous voulez transmettre à travers votre musique ? 

Béatrice : Il n’y pas d’objectif formulé mais je pense qu’on transmet quelque chose qu’on aime bien, à savoir une certaine idée de calme et de tranquillité.

Josselin : Si on peut embarquer le public là-dedans, c’est tant mieux ; ça prouve que notre musique est communicative. C’est aussi peut-être dans l’air du temps, ce besoin de souffler un peu, de sortir de l’hystérie. 

LVP : Votre dernier album, Persistance & changement, ne comporte qu’un seul morceau de 40 minutes. Comment a-t-il été composé ? 

Josselin : Tout est parti d’une séance d’improvisation en 2018 où on avait choisi de partir d’un nouveau set up. On a abandonné les orgues que l’on utilisait pour d’autres types de claviers. L’essentiel du morceau est né à ce moment-là. Nous l’avons ensuite rafistolé et ornementé.

LVP : Comment pourriez-vous définir votre processus créatif ? 

Béatrice : On part toujours de rien, ensemble, avec les contraintes des instruments que l’on a décidé d’utiliser. Ça se fait petit à petit. On passe des heures et des heures à improviser. Après, en réécoutant l’enregistrement, on se dit qu’il y a des passages dont on peut faire quelque chose ; alors on les retravaille. Tout se construit sur le moment et c’est aussi pour ça qu’on fait des morceaux aussi longs, je pense. Avant ce disque on faisait déjà des morceaux très longs, là on est juste allé un peu loin dans le processus parce que cette improvisation s’y prêtait, avec plusieurs moments différents qui pouvaient se succéder.

Josselin : Dans Persistance & changement il y avait par exemple une espèce de césure au milieu qui tombait très bien en termes de timing pour l’imaginer sur un disque. Finalement, toutes ces contraintes de départ se sont transformées en forces ou en solutions. 


LVP : En tant qu’artistes, quelle est votre perception de la musique ?

Josselin : La musique est une quête de renouveau. C’était surtout l’idée du projet de Grand Veymont d’avoir une vraie réflexion sur la forme. Tout est une question de forme. 

Béatrice : Mais ce n’est pas conceptuel non plus. On ne s’est pas dit, “Tiens, et si on faisait un morceau de quarante minutes ?” . On essaye de ne pas se mettre de barrières tant que c’est beau et bon.

Josselin : C’est finalement la force de l’improvisation de nous amener à des endroits que l’on n’avait pas forcément anticipés. Ça s’impose à nous quelque part, même s’il faut ensuite écouter, faire le tri et réfléchir. 

LVP : Lorsqu’on vous écoute, on détecte des influences comme Stereolab, Can ou encore Broadcast. Quelles sont vos sources d’inspiration ? 

Béatrice : Effectivement ce sont des groupes que l’on aime beaucoup et que l’on a beaucoup écoutés à une période. Grâce à mon grand-frère j’ai découvert Pram et Stereolab à 12 ans.  Après je pense qu’il y a aussi plein de choses qui ne s’entendent pas forcément comme des références clairement identifiables dans notre musique mais qui sont bel et bien là. On écoute chacun beaucoup de musique de films, de la musique italienne de films des années 70 par exemple. On aime beaucoup Piero Umiliani, Piero Piccioni et puis des tas d’autres. On écoute aussi de l’exotica, de la musique brésilienne, de la musique indienne de Bollywood mais aussi des musiques traditionnelles ; beaucoup de vieilles musiques électroniques aussi, comme Terry Riley et Harmonia.

Josselin : En fait, on est surtout nourri de vieilles choses. Contrairement à ces époques-là où les uns et les autres s’influençaient beaucoup, aujourd’hui on ne se sent pas vraiment influencé par nos contemporains français. Il y a quand même des groupes qu’on aime bien, comme Aquaserge, pour ne citer qu’un exemple. 

LVP : Persistance & changement c’était il y a un an. Où en êtes-vous aujourd’hui ? 

Béatrice : Pas grand-chose n’a changé mais on persiste (rires) ! En ce moment, on ne compose pas pour Grand Veymont, mais dans d’autres projets. 

Josselin : Le timing du confinement a fait que tout s’est un peu décalé. On a pris le temps de se dire, “On va jouer le disque quand on pourra”, du coup nous ne sommes pas encore rentrés dans une nouvelle phase de composition. 

LVP : Vous parliez d’autres projets à côté de Grand Veymont, pouvez-vous nous en dire plus ? 

Béatrice : Il y a quelques temps j’ai finalisé deux petits disques en solo. Le projet s’appelle Epépé. Ce sont des choses que j’enregistre chez moi avec ce que j’ai sous la main et ce que je suis capable de jouer. Il y a des chansons, des instrumentaux et d’une certaine façon ça sort du même moule que Grand Veymont, avec les mêmes obsessions et les mêmes références, mais juste avec une seule personne. 

Josselin : Moi aussi en parallèle j’ai réussi à matérialiser des idées que j’avais à travers un label, SMSS Productions, avec ce fantasme de label de musique de library, d’illustration. Je produis donc des enregistrements en solo et plus récemment en collaboration avec un ami. Le projet s’appelle Reliefs Jacobins et le disque vient de paraître. C’est une musique instrumentale, pas forcément facile d’accès, mais j’en suis fier. 

LVP : Où est-ce qu’on pourra vous voir cet été ? 

Josselin : En août on jouera à la Route du Rock, mais aussi au festival Baignade Sauvage dans le Tarn et aux Siestes Teriaki du Mans. 

LVP : Merci Grand Veymont !

 

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