Grave : critique mordante
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Auteur·ice : Philippe Binot
17/04/2017

Grave : critique mordante

Grave (le titre original, Raw, est plus parlant je pense) fait parti de ces films qui, avant même d’être visionnés, disposent d’une petite odeur de souffre. Des rumeurs de festivaliers concernant des malaises et des nausées durant les projections, une bande-annonce assez dérangeante sur une thématique potentiellement malsaine (le cannibalisme), et un film de genre réalisé par une jeune réalisatrice, Julia Ducournau (dont c’est le premier long-métrage). Qui plus est, le film est une production franco-belge, le plat pays livrant parfois des films atypiques (C’est arrivé près de chez vous, Dikkenek…).

Quand un film est précédé d’une telle réputation, il y a deux possibilités souvent : soit on est face à une hype de communication orchestrée par des festivaliers, soit on est face à une pépite qui vaut mieux que ces “on dit”. Ici, on est clairement dans la seconde catégorie.

On suit une jeune femme, Justine, incarnée par Garance Marillier (à la fois fragile et inquiétante), qui quitte le foyer parental (où tout le monde semble végétarien) pour commencer des études de vétérinaire. Elle rejoint sa sœur, un peu perdue de vue depuis un moment, qui est elle déjà en deuxième année. Lors des épreuves de bizutage, elle rencontre son nouveau colocataire, un jeune homosexuel extraverti (Rabat Naït Oufella, à l’aise et crédible), et consomme de la viande. Cette “expérience” va la bouleverser.

Le film est visuellement remarquable, surtout pour une première réalisation. Julia Ducournau travaille ses plans et pose une ambiance, à la fois hypnotique et angoissante. L’atmosphère n’est pas sans rappeler l’excellent It follows (si vous aimez les films d’angoisse de qualité, foncez, ce film c’est de l’or en barre). On sent qu’un gros travail a été fourni sur l’ambiance sonore : le score de Jim Williams accompagne admirablement de nombreux effets visuels, et vice versa (un autre point commun avec It follows d’ailleurs).

Au départ je craignais grandement le pamphlet végétarien, dépeignant les mangeurs de viande comme des monstres. On en est loin. Si le film lorgne un peu sur le message subliminal, il le fait avec modération, sans être sentencieux ou moralisateur. Et il reste très terre à terre. Dans ce genre de film on sait que l’objectif est atteint quand le spectateur se fait au moins aussi peur avec ses appréhensions et ses craintes qu’avec ce qu’il voit effectivement à l’écran. Le contrat est donc pleinement réussi. Pour résumer : d’excellents jeunes acteurs, une réalisatrice dont le premier travail donne envie de voir la suite de sa carrière, et un film de genre qui crée une tension certaine avec une mise en scène et une bande originale inventives et efficaces.