Il y a certains projets qui retiennent plus l’attention que d’autres. Notamment lorsqu’un artiste fait le pari d’un album entièrement composé au piano. Certes, il y a eu l’excellence de Sofiane Pamart qui nous a redonné le goût de cet instrument majestueux. Aujourd’hui, découvrez Guillaume Drot, un Belge originaire d’Arlon et déjà sur les traces des plus grands. En décembre dernier, il a sorti un sublime premier album, White Raven, en totale autoproduction. Itinéraire d’une carrière prometteuse.
“Il y a un terme qui m’a toujours intéressé, c’est celui du paradoxe, des oppositions. C’est pour cela que j’aime faire des morceaux assez mélancoliques. Car la mélancolie, c’est déjà une sorte de contradiction.” À ces mots, Guillaume Drot a ajouté la phrase de Victor Hugo disant “La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste“. Il n’en faut pas plus pour comprendre les motivations musicales du pianiste pour cet album. Tout se joue autour du paradoxe, à commencer par le titre du disque, White Raven. Il a lié le côté sombre du corbeau, un animal de mauvaise augure associé la plupart du temps à des choses négatives, au côté lumineux de la colombe, synonyme de bonheur et de liberté.
Ensuite, il y a l’album en lui-même, où l’Arlonais a tenté de varier les morceaux pour ne pas s’enfermer dans quelque chose d’hyper linéaire. Il a gardé une tonalité commune du début à la fin tout en gardant des ambiances fort différentes. Prenez Glasshouse / Feelings, qui emprunte des sonorités jazzy et entraînantes et comparez-la à White Raven, beaucoup plus sérieuse, presque sombre et une nouvelle fois très marquée par la touche mélancolique. Ou encore Stag’s Flight, morceau qui lui tient le plus à cœur, plus moderne et offrant une ambiance particulière. “Je voulais que ça se rapproche un peu du style de Glass Museum, quelque chose d’un peu plus brut. Eux, la batterie ajoute du punch et un rythme que tu n’as pas forcément quand tu écoutes du piano tout seul. Je voulais un peu me rapprocher de ce style sans qu’il y ait d’autres instruments.“
Joue-la comme Pamart
Cette opposition, cette cassure, elle va même un peu plus loin, jusqu’à lui-même. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui poussent à le comparer à un Sofiane Pamart. Ils incarnent cette nouvelle tendance de pianistes qui jouent des réels chefs-d’œuvres mais qui ne portent pas de queues-de-pie, qui n’ont pas forcément le dos à 90° par rapport au sol lorsqu’ils jouent… Une génération qui a cette envie de mixer des univers qui, dans l’imaginaire collectif, ne sont pas compatibles. “Il y a un côté ultra théâtral qui m’ennuie un peu chez les pianistes classiques. J’ai l’impression de ne pas avoir la légitimité. En fait, je me vois mal arriver en me prenant pour un grand pianiste. Je compose et j’adore ce que je produis, mais je veux rester au maximum moi-même en composant et pendant mes concerts.” Une cassure avec cette sorte de contrat figé qui définirait les pianistes classiques d’une certaine manière et pas d’une autre. Sauf que les touches sur lesquelles les pianistes pressent leurs doigts produisent le même son qu’ils soient vêtus d’un costume trois pièces ou d’un t-shirt mal repassé. “Récemment, j’ai été enregistrer une émission pour TV Lux. Ils m’ont dit : «Tu vas garder ta casquette ?». Je leur ai répondu que je pouvais l’enlever s’ils voulaient. C’était inhabituel pour eux de voir un pianiste avec une casquette.“
Quand on parle d’influences, à nouveau le Gaumais ne donne pas la réponse que l’on pourrait attendre d’un pianiste classique. Évidemment, il a appris le classique lors de ses premières classes de piano. Il est passé par Bach, Debussy, Chopin. Ce dernier qu’il n’hésite pas à qualifier de “G.O.A.T absolu”. Ce n’est que plus tard qu’il s’engagea vers une autre sorte de piano, sans doute plus cinématographique. Celui de Ludovico Einaudi ou Yann Tiersen. Une influence que l’on ressent très fort dans sa musique à l’heure actuelle. Aujourd’hui, ses sources d’inspiration se trouvent dans la musique d’Alexandre Desplat, Hans Zimmer ou Ramin Djawadi. Mais pas que : il n’hésite pas en nous disant que ses véritables influences ne se situent pas dans le piano, mais plus dans le rock, le métal et beaucoup d’autres choses. À commencer par Thom Yorke. “Il n’a pas du tout un style comparable au mien, mais je trouve que ses harmonies sont à la fois excessivement complexes et à la fois elles sonnent de façon tellement logique… Il a cette manière de superposer des harmonies où tu te dis « ce n’est pas possible, ça ne peut pas marcher » et ça fonctionne parfaitement bien. C’est un génie absolu.“
Cette diversité des influences se ressent très fort en lui. Il ne reste jamais enfermé dans un carcan où il devrait se cantonner uniquement au piano. Il fait partie d’un groupe d’indie rock, Kaméléon, où ils travaillent plus un style à la Tame Impala ou Mac DeMarco. Mais il s’essaye également à la musique électronique avec un ami à lui, en tant que grand fan de Nils Frahm ou Moderat. “J’adore élargir le plus possible ma composition pour pouvoir répondre à une demande par après. Plus je fais de styles, plus je serai capable de dire après « Ah, ce style-là je l’ai déjà fait donc je connais, je ne pars pas de zéro »“.
Cette volonté de répondre à une demande n’est pas étrangère à son amour pour le cinéma. Son rêve absolu, c’est d’ailleurs de composer pour le septième art. “On ne me l’a jamais demandé car je n’ai pas une exposition assez large. Il y a beaucoup d’autres musiciens spécialisés là-dedans.” Il compose tout de même actuellement l’habillage sonore d’un court métrage, ce qui lui apprend une toute autre facette de son art. Car composer pour lui-même repose dans la retranscription de ses propres émotions, tandis que pour un film, il faut s’adapter à l’émotion du réalisateur, comprendre ce que lui a voulu faire passer.
L’amour des touches
Le parcours de Guillaume Drot est rythmé par l’amour de la musique. Il a commencé à côtoyer le piano très jeune pour soigner ses problèmes de concentration et ne l’a plus quitté depuis. Et naturellement, il s’est rapidement mis à composer. “Quand j’ai senti que je ressentais quand même beaucoup de choses en jouant, je me suis dit que ce serait hyper cool de pouvoir faire ressentir ça aux autres aussi.” Arrivé en fin d’humanités, il décide de s’inscrire sur Instagram et commence à poster ses réalisations sur le réseau social. “C’était la première fois où je me suis dit « Là, je tiens quelque chose ». C’était aussi la première fois où j’avais des retours sur ma musique autres que ceux de mes parents.
Son premier EP est lui aussi venu naturellement. Avec son meilleur ami, ils ont déposé l’idée sur la table. Mais sans notions d’enregistrement, il a fallu se débrouiller. “À l’époque, je ne savais même pas ce qu’était un mix ou un mastering.” Ils ont donc improvisé : un synthé branché sur un ordinateur, un logiciel d’enregistrement cracké, une image de fond pour YouTube et le tour était joué. Par la suite, il a collaboré avec un ami à lui ingénieur du son qui a pu rendre la chose plus professionnelle. Et les retours positifs ont déterminé la suite de son parcours.
Plus le temps passait, plus il a commencé à se professionnaliser au niveau de sa composition. Au dilemme entre conservatoire et études d’économie, il a opté pour la sécurité vis-à-vis de lui et ses parents. “Le conservatoire, c’est beaucoup d’appelés pour très peu d’élus… Je ne regrette pas, car la musique restera une passion toute ma vie. Mes études, c’est quelque chose de solide et ça m’aidera peut-être à me lancer dans le futur.” Un choix qui ne l’a toutefois pas empêché d’étudier la théorie des accords afin de regarder plus en profondeur lorsqu’il compose.
La suite, il l’a créée de ses dix doigts. Enfin, les siens et ceux de ses proches qui l’accompagnent. “J’ai la chance de ne bosser qu’avec des potes qui sont excessivement doués dans leur domaine et qui prennent du temps pour moi et qui n’ont pas énormément à y gagner à part mon développement et ma satisfaction personnelle.” White Raven est sorti en indépendance totale avec comme seule promotion ses posts Instagram, Facebook et le bouche à oreilles. “En moins d’un mois je suis arrivé à emmagasiner plus de 10 000 streams sur l’album, c’est quand même motivant. Si j’avais une plus grande exposition au niveau marketing, ça pourrait m’amener à un public beaucoup plus large, mais je ne sais pas si je suis prêt pour ça.“
Sa volonté, c’est de pouvoir disposer de sa musique comme il l’entend et garder 100% de contrôle sur ce qu’il fait. Construire, composer un morceau quand il en a envie et quand il en ressent le besoin. Une chose est certaine, on n’a pas fini d’entendre parler de Guillaume Drot.
J’aime passer de la musique en soirée mais mon goût musical décline généralement au fil des bières.