Le nouveau projet de l’artiste suisse fait envie. Dans la belle lignée de Cat Power ou bien encore PJ Harvey, Emilie Zoé prend sa place et nous propose une belle introspection dans un projet fragile. Écrit en pleine pandémie et après une tournée intensive, Hello Future Me aura pris 18 mois pour voir le jour. Un temps logique vu les choix pris dans la production, tant les horizons proposés sont multiples et variés. De rock intimiste à bedroom pop, on se balade entre les morceaux comme avec les styles mais on ne s’y perd pourtant jamais, on s’égare sur des routes suggérées.
À travers une poignée d’instruments, la musicienne accomplie a pu réaliser ce projet fort pour un résultat organique et surprenant. Entre deux précédents albums et plusieurs collaborations dans le théâtre et dans le ciné-concert avec son dernier opus, l’artiste nous propose un album plus calme, réfléchi, posé sur ses interrogations, ses doutes et ses envies. Un journal intime qui laisse chacun libre de son interprétation, comme sur le titre I Saw Everything, qui explique la lassitude de la chanteuse face aux même œuvres que l’on répète, des classiques qui parfois prennent la poussière et qui manquent parfois de fraîcheur. Le doux piano d‘Across the Border se complète avec le riff de Parent’s House, une palette sonore choisie avec précaution par Emilie et son équipe, avec des instruments vintage, en guitare ou en synthétiseur, une petite obsession de l’artiste, pour mieux raconter ses histoires. Avec Nicolas Pittet au fût pour marquer le temps sur ces morceaux lancinants, nous sommes devant 8 titres, pour un plaisir qu’on ne peut pas bouder. Dans un style qui se fait en général sans trop de prise de risque, l’exercice ici est bien plus périlleux et permet d’apprécier de nouvelles couleurs dans ce style. Un côté brut mais percutant, qui laisse toute sa place à la douce voix d’Emilie Zoé.
J’ai trouvé qu’on était beaucoup à penser que cette période était dure et que rien n’allait s’arranger et au final j’ai décidé de ne plus perdre mon énergie vitale là-dedans mais plutôt de viser le côté opposé. J’ai pris le choix et je pense d’ailleurs qu’on a tous.tes la puissance de le faire, de mettre son énergie à la création, à l’optimisme et à aller vers un monde qui nous plaît – Emilie
Pour mieux appréhender ce projet, nous avons eu la chance de nous retrouver avec l’artiste qui nous accueille devant sa caméra avec le peps et le sourire.
La Vague Parallèle : Bonjour Emilie, tu sors ce troisième album après 18 mois de travail, c’est beaucoup plus de temps que pour tes autres projets, qu’as-tu vécu pendant cette période ?
Emilie Zoé : C’est vrai que mes deux premiers albums ont été conçus assez vite, une petite semaine ou deux maximum. Mais ici, je n’ai pas composé de la même manière, d’habitude je passe d’abord par la scène et en enchaînant les morceaux, je peux bien les ressentir et passer à l’enregistrement. Pour ce projet cela n’a pas été le cas, j’ai décidé de poser une date dans mon agenda pour écrire cet album, entre avril et juillet 2020. Finalement j’ai eu plus de temps que prévu mais je n’avais pas l’envie de composer, je voulais écouter et voir mais pas me poser pour écrire. Ensuite j’ai eu un grand moment d’introspection, de réflexion qui a découlé de Hello Future Me. On est ensuite passé aux premières démos, aux premiers enregistrements mais je ne sentais pas les morceaux malgré la qualité sonore de ceux-ci. J’y suis donc repassée et j’ai voulu contrôler chaque moment, répéter les prises maintes et maintes fois pour qu’elles finissent par être ce que j’avais vraiment en tête. Le maître-mot de ce projet était vraiment de prendre son temps et de chaque fois réussir à proposer ce que je désirais vraiment, c’est donc par conséquent mon disque le plus personnel.
LVP : Assez étonnamment ça reste un album naturel où on a l’impression que les morceaux coulent de source.
Emilie Zoé : J’aime beaucoup le côté brut de la musique, du minimalisme et peu d’éléments, où on ressent surtout les musiciens derrière les instruments. J’ai donc voulu absolument garder ça malgré mes nombreuses prises. Il n’y a rien d’artificiel et de forcé, au contraire, je voulais sortir les morceaux le plus naturellement possible et cela a pris son temps.
LVP : On est aujourd’hui à la veille de ta sortie, quel est ton sentiment après ce dur labeur ?
Emilie Zoé : Tout ça me réjouit énormément, j’ai fait beaucoup de projets en parallèle, j’adore la collaboration. Après tout ça j’avais besoin aussi de respirer un peu pour prendre du recul entre toutes les étapes de création du disque, c’est quelque chose qui n’arrivera peut-être plus jamais dans ma carrière donc j’en ai profité. J’ai appris beaucoup dans l’enregistrement, et également dans ma façon de partager la musique. Je suis très excitée d’inverser mon processus et de maintenant pouvoir passer à la scène.
LVP : On te sent super impatiente de retrouver la scène, comment ça va se passer en live pour toi ? Solo, duo ? Un groupe ?
Emilie Zoé : Je joue pas mal de parties différentes sur le disque, il y a également des violoncelles et des chœurs, et on va ne pas travailler avec du sample. Je joue en duo depuis 2014, on s’est toujours battus pour avoir un son très large pour un duo et on a encore envie de creuser, que ce soit pour l’intensité ou pour la pure recherche sonore. Je veux donc vraiment garder ce format et m’améliorer là-dedans, je prépare de belles surprises pour cette tournée.
LVP : Ça donne envie ! Pour revenir à ton projet que tu as appelé Hello Future Me, tu as choisi un titre bien optimiste en cette période compliquée.
Emilie Zoé : C’est exactement ça ! J’ai trouvé qu’on était beaucoup à penser que cette période était dure et que rien n’allait s’arranger et au final j’ai décidé de ne plus perdre mon énergie vitale dans ce côté négatif mais plutôt de viser le côté opposé. J’ai pris le choix et je pense d’ailleurs qu’on a tous.tes la puissance de le faire, de mettre son énergie à la création, à l’optimisme et à aller vers un monde qui nous plaît. Le résultat n’est jamais sûr mais je préfère ouvrir la porte à cette possibilité car c’est le premier pas vers la réussite de ce dont j’ai vraiment envie. Je préfère tenter cette philosophie que de ne rien tenter et de rester dans le négatif et l’impuissance. J’ai d’ailleurs lancé un petit projet de carte postale que je propose près de chez moi où j’invite les gens à écrire ce dont ils ont envie et que je puisse les lire en concert s’ils le désirent. On a déjà eu le cas sur nos derniers concerts et c’est quelque chose de réconfortant, bourré d’optimisme, autant pour moi que pour celui qui écrit cette petite lettre.
LVP : C’est impressionnant de te retrouver avec autant de peps à la sortie d’un album où tu te retrouves parfois très vulnérable !
Emilie Zoé : Je pense que c’est mon état d’esprit de tous les jours. Ici je te souris tout le temps car c’est une période assez folle pour moi, c’est un accomplissement. Et ce dont j’ai envie dans ma musique ce n’est pas nécessairement des trucs qui font sourire mais c’est avant tout du naturel, quelque chose qui parle aux autres. J’ai envie que ça me fasse quelque chose à l’intérieur, même sans le définir, quitte à le comprendre plus tard. Que ça résonne avec des expériences que j’ai eues. Ce disque est donc plus posé par rapport à ce que j’ai fait. En fait, j’ai juste dézoomé et je me suis rendu compte qu’on est tout simplement minuscule. Ce n’est ni drôle ni triste, c’est juste profond et ça me fait prendre conscience de ce que je suis. On a vite fait d’être pessimiste mais nous avons la force de pouvoir être souple et de pouvoir changer les choses.
LVP : Est-ce qu’il y a un morceau qui résonne particulièrement pour toi dans ce sens sur ton projet ?
Emilie Zoé : Je pense que c’est avant tout un ensemble de morceaux. Il faut savoir que déjà on a enregistré treize morceaux et on en a gardé huit, la suite arrive très vite. On passe quand même par beaucoup d’univers différents dans mon projet, j’aime vraiment ça, et chaque chanson prend son sens avec les autres. S’il y en a une que je retiens particulièrement c’est tout simplement Hello Future Me. Même au mixage elle me touchait particulièrement et je pense que c’est celle qui dans les paroles est le plus premier degré avec mon intention.
LVP : Il y a un titre qui met une belle claque sur ce projet, c’est Apollo qui vient surprendre sur la fin du projet.
Emilie Zoé : Oui ! Cette chanson a vraiment une énergie différente et elle a failli ne pas finir sur l’album. J’apprécie l’énergie lumineuse de ce morceau et je trouve qu’elle apporte un coup de frais dans mon projet, un petit coup de simplicité. Il me fait beaucoup de bien, il met une belle pêche à la fin comme tu dis (rires). Il y a une énergie similaire dans Roses on Fire. J’ai voulu mettre d’ailleurs une chorale pour Apollo mais en 2021 ça n’était pas la meilleure période pour ramener du monde en studio.
LVP : Vu le temps qu’a pris la création du projet, quels événements ou créations t’ont marquée durant ce processus?
Emilie Zoé : Musicalement, ça peut choquer mais je n’écoute pas énormément de musique. Ce n’est pas un truc que je fais tout le temps, j’ai besoin de silence pour avoir envie d’en composer. J’ai beaucoup aimé l’album WHEN WE ARE FALL ASLEEP, WHERE DO WE GO? de Billie Eilish pour sa simplicité, mais aussi son efficacité dans les textes et dans la production. Le fait que ça soit si calme et épuré fait ressortir les moments de basse et de drop et je trouve que ça fait l’équilibre et le charme de ce projet. J’ai également énormément apprécié le projet The Red Hand Files de Nick Cave qui nous propose de lui poser des questions sur son site et il choisit librement d’y répondre. Des questions sur tout et n’importe quoi et j’ai trouvé ça très touchant et créatif. Je ne suis pas tout le temps d’accord avec lui mais j’apprécie le geste et certaines lettres sont très fortes. Ça m’a touchée d’avoir cet espace public proposé par un artiste avec un parcours hors du commun et ça m’a également rassurée et marqué mon projet.
LVP : D’où l’idée de tes cartes postales ?
Emilie Zoé : Je ne pense pas être légitime de répondre à des questions aussi personnelles mais proposer un espace de partage, ça oui, bien sûr. C’est ce que j’essaye de faire également avec ma musique, c’est un but dans mon écriture de pouvoir partager et de pouvoir inclure des personnes dans mes créations, qu’elles puissent être libre dans leur interprétation.
LVP : C’est quoi la suite pour toi ?
Emilie Zoé : Je suis évidemment très concentrée sur la tournée et j’ai envie de tourner un maximum. J’espère pouvoir un peu souffler après mais la priorité n’est pas là pour l’instant. Que ce soit en festival ou en petite salle intimiste, j’ai très envie de jouer et de voir les réactions du public sur mes musiques en concert. J’ai aussi eu des propositions pour faire des musiques de film.
LVP : C’est vrai qu’on ressent beaucoup de cinématographie dans ta musique.
Emilie Zoé : C’est sûr, je pense notamment à la nature et aux rassemblements, un tas d’images comme ça qui reviennent quand je réécoute l’album.
LVP : Le mot de la fin est pour toi Emilie ! Un qui vient du cœur.
Emilie Zoé : (rires) J’ai déjà mis beaucoup de mon cœur dans le projet et j’espère que ça résonnera avec d’autres personnes.
Merci Emilie ! En concert au Botanique le 16 mars, venez apprécier l’album Hello Future Me en live !
Musique, métro, musique.