| Photos : Stephan Vanfleteren
Depuis près de quinze ans maintenant, pas une de nos playlists de mélancoliques endurci·e·s ne se fait sans un titre de Kristian Matsson, aka The Tallest Man On Earth. Entre ses notes parcimonieuses de banjo, ses accords fougueux de guitare et sa voix singulière, The Tallest Man On Earth fait partie de ces artistes que l’on ne présente plus. De retour avec un sixième album éblouissant, on est allé à la rencontre de Kristian Matsson avec qui nous avons partagé une bière et parlé d’amour, de l’état de notre monde et des rues bondées de New York.
Découvert avec The Wild Hunt courant 2010, l’artiste suédois d’origine se hisse rapidement au sommet. Avec des titres comme Love Is All, King Of Spain ou l’EP Sometimes The Blues Is Just A Passing Bird la même année, Kristian Mattson séduit à travers le monde et fait fondre nos petits cœurs. En l’espace de cinq ans, trois nouveaux albums s’offrent à nous. Avec eux : des morceaux iconiques comme 1904, The Gardener, There’s No Leaving Now ou Kids On The Run.
J’ai commencé par mettre quelques morceaux sur MySpace à l’époque (rires), puis j’ai continué à produire pour sortir un premier EP, puis l’envie de faire un album est arrivée, etc. J’y ai trouvé un véritable moyen d’expression, que je n’ai jamais réellement pu mettre de côté.
Avant de continuer, si vous vous êtes lancé·e dans cette lecture sans que le nom de The Tallest Man On Earth ne vous parle, ne partez pas. Installez-vous confortablement et lancez The Dreamer dans vos oreilles. Maintenant que vous êtes piqués, on peut continuer à vous vanter les mérites de cet artiste hors du commun.
Naviguant constamment entre l’Amérique et l’Europe, sa guitare à la main en guise de compagnon de route, l’artiste suédois nous explique à quel point ses voyages et ses rencontres forgent toutes ces histoires tumultueuses qu’il se complait à nous raconter au fil du temps.
Avec l’amour sous toutes ses formes en toile de fond, Matsson nous rappelle à quel point celui-ci peut faire aussi mal qu’il peut nous faire du bien ; nous rappelle à quel point nous avons parfois besoin d’être au plus bas pour un peu plus savourer la remontée.
Un leitmotiv ancré dans son ADN que l’on retrouve avec délicatesse à travers les onze morceaux composant son nouvel et sixième album : Henry St. Un recueil d’histoires et d’expériences humaines en tout genre dont les deux maîtres mots pourraient être liberté et authenticité et ce, tant dans sa création que dans son écriture.
Quand j’ai enregistré mon dernier album en 2018, je suis parti m’isoler pendant un mois entier dans mon appartement à New York où je n’avais pas tout le confort que mon studio possède. Pour être honnête, ce n’était pas l’expérience la plus plaisante qui m’ait été donnée de faire (rires). Pour Henry St., tout ce côté d’isolement a été très différent, j’ai voulu mettre l’accent sur la communion. On a donc tout enregistré de manière très organique dans mon studio en Suède. On ne pouvait pas s’empêcher de jouer, encore et encore.
De cette « célébration de tous ces moments passés ensemble durant l’enregistrement » nous dit-il, en découle des morceaux comme Foothills (avec le grand Phil Cook aux commandes) ou Every Little Heart où l’intimité et l’honnêteté nouvelle de Mattson se mélangent au talent de ces musiciens d’exception. Des morceaux qui, pour la plupart, prennent vie en l’espace d’une seule prise. Une fenêtre vers l’instantanéité audible dès les premières minute de ce nouvel album qui n’est pas pour nous déplaire.
Pourtant, si l’enregistrement de ce nouvel album a vu le jour de manière très naturelle, son écriture, elle, n’a pas eu cette chance. En effet, après la sortie en 2019 de son ineffable I Love You. It’s a Fever Dream, le monde entier se met en pause pandémie oblige.
Ce n’est pas la première fois que l’on aborde le sujet mais si pour bon nombre d’artistes, l’isolation de l’époque fut bénéfique, pour un extraverti passionné de rencontres comme Matsson, c’est bien tout l’opposé qui s’est produit. Arpentant les rues bondées et hyperactives de New York à l’époque, Kristian nous raconte : « New York fait partie de ces villes où tu peux rencontrer des personnes de centaines d’horizons différents, de ces villes en constante ébullition. Puis d’un coup, cette atmosphère très dystopique est apparue, comme si une tempête était sur le point d’arriver. Il y avait ce mélange de silence et de sirènes d’ambulances dans les rues. Je ressentais le besoin de revenir en Suède quelque temps, d’aider mes parents, de retrouver ce côté bucolique. »
Un retour au calme nécessaire qui pousse inéluctablement Matsson à prendre du recul sur l’état de notre monde, sur la nature humaine mais également sur la beauté que l’on peut toujours y trouver malgré tout. Comme à son habitude donc. Pourtant, c’est la page blanche pour le singer-songwriter suédois.
C’est très dur de réaliser que ton inspiration n’est plus là. Le monde que l’on connaissait avant la pandémie a clairement été chamboulé. J’ai beaucoup écrit sur la perte et l’amour en général depuis des années. Ne plus pouvoir donner ou recevoir de l’amour est quelque chose d’assez percutant, voire violent. L’amour au sens large du terme fait partie intégrante de moi. Se retrouver du jour au lendemain sans pouvoir parler ou voir du monde a été particulier pour quelqu’un d’extraverti comme moi.
Pas entièrement satisfait avec les nouvelles bribes que sa plume proposait, Matsson décide de mettre ses instruments de côté le temps d’un instant et se plonge à corps perdu dans la culture de la terre aux côtés de ses parents. Des mois durant, Mattson s’abandonne ainsi à la vie simple et retrouve quelques sensations, conclu-t-il : « entre la fatigue physique et mentale que ça apporte, tu remets pas mal de choses en perspectives. »
Son inspiration retrouvée, c’est tout naturellement que The Tallest Man On Earth reprend du service. L’écriture de ce nouvel opus qu’est Henry St. débute. « Écrire des morceaux à 23 ans est assez différent que d’en écrire à 39. Plus le temps passe, plus nos expériences évoluent. » nous dit-il. Une certaine évolution que l’on se passera de faire passer pour de la maturité musicale certes, mais qui nous ouvre la voie quant à cette notion d’intimité, exploitée de manière sublime tout au long de ce nouvel album.
En effet, à la manière d’un carnet de souvenir de ses dernières années de voyage et de vie newyorkaise, Henry St. nous invite à côtoyer un peu plus les émotions de Matsson. Entre émerveillement et excitation, c’est un véritable chapitre empli de sincérité et d’optimisme qui s’offre à nous avec le retour des beaux jours.
Si pour beaucoup, l’optimisme est un concept étrange et peu familier, pour d’autres (comme Matsson), il s’agit d’un véritable mode de vie. Ce nouvel album reflète ainsi avec ingéniosité toutes ces émotions différentes qui peuvent nous traverser quand on a l’impression de toucher le fond, d’être tout simplement perdu face à tout ce qui nous arrive. Le morceau éponyme de l’album en est ainsi l’hymne principal nous explique le singer-songwriter : « Henry St. est le morceau le plus triste mais de manière positive je dirais. J’avais envie que ce soit le point central de l’album, à la fois géographiquement parlant et émotionnellement. On est tous passés par ce stade dans nos vies. On va pas se mentir, le monde dans lequel on vit n’est pas tous les jours le plus beau (rires). »
« Et en même temps, nous avons cette capacité intrinsèque à pouvoir faire tant de belles choses » ajoute-t-il en arborant son sourire d’optimiste invétéré avant de conclure que « c’est nécessaire parfois de passer par ces émotions je trouve, ça nous renvoie à pas mal de choses essentielles qui nous rappellent qu’au final, tout ira bien ».
À côté de cette lueur d’espoir constante et de l’amour sous toutes ses formes, c’est de sa relation aux autres et de sa place dans le monde dont il est question sur ce sixième album. Après son passage à vide, Matsson se demande alors comment être la personne qu’il souhaiterait être. Alors que tout le monde est en recherche permanente de succès, Matsson réalise que souvent, celui-ci ne résout rien.
Un thème très personnel qui tend à résonner dans bon nombre de nos petits cœurs. Alors que des morceaux comme Every Little Heart et Looking For Love nous invitent à mettre nos peurs de côté, d’autres comme Goodbye, Slowly Rivers Turn, Foothills ou Bless You nous renvoient à notre fragilité. Et qu’est-ce que ça fait du bien.
Vous l’avez compris, Henry St. est probablement l’album le plus intime et sincère que The Tallest Man On Earth ait produit. Le temps passe et les choses évoluent, les humains aussi. Au fil du temps, Kristian Matsson a pu trouver la liberté musicale qu’il a longtemps cherchée. Si sa plume et ses nombreuses histoires ont évolué en même temps, celui-ci nous rassure et nous promet qu’il est toujours ce rêveur dont nous sommes tombé·es sous le charme il y a près de quinze ans.
Toujours au premier rang d’un concert par amour mais surtout parce que je suis le plus petit. Je fais de la mélancolie mon principal outil.