Her : la cause et le remède
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Auteur·ice : Paul Mougeot
08/04/2018

Her : la cause et le remède

Il n’a jamais laissé la place au doute. Quelques jours après la disparition de Simon Carpentier en août dernier, Victor Solf avait annoncé que Her poursuivrait sa belle aventure, entamée à l’aune d’une paire d’EPs plus qu’engageants et de prestations scéniques endiablées qui avaient immédiatement élevé le duo au rang de révélation de la scène musicale française. La promesse a bel et bien été tenue : à la clé, Her, un premier album forcément né dans la douleur, mais qui devra permettre au Rennais de repartir de l’avant. La cause et le remède.

Le phénomène n’est pas aussi simple qu’il en a l’air. Les lieux communs qui louent les bienfaits de la musique sont légions et assurément trop légers, bien qu’ils véhiculent une certaine vérité. La musique adoucit les moeurs, certainement. La musique rend libre, sans aucun doute. L’équation est néanmoins infiniment plus complexe lorsque la mort, la séparation et le poids de l’absence s’invitent parmi les muses.

Cette cruelle expérience, Victor Solf l’a vécue en perdant celui qui était tout à la fois son meilleur ami, l’une de ses influences, son partenaire sur scène et la moitié de Her. En résulte un album à l’aura forcément étrange, mélancolique, comme tiraillée entre l’omniprésence d’un frère disparu qui a posé sa patte sur la quasi-totalité des morceaux qui le composent et le manque criant de celui qui apportait un indispensable équilibre à l’affaire. Un album fatalement douloureux, aussi, dans sa conception même, puisqu’il s’est agi pour Victor de parvenir à préserver au maximum les enregistrements de Simon (avec deux pépites : Trying, tirée d’une session en studio, et For Him) et à en tirer le meilleur. Her est ainsi pour partie composé de morceaux qui figuraient sur de précédents enregistrements (le tube originel Quite Like, l’inévitable Five Minutes, Swim ou encore Blossom Roses) ou qui ont été dévoilés au public au fil des concerts du groupe (Neighborhood, We Choose).

Cet album, Her l’a voulu intime, sincère et authentique à défaut d’être surprenant, en manière d’ultime témoignage à l’immense musicien qu’était Simon, et à ce qu’était le groupe lorsqu’il était un duo.

Her s’ouvre d’ailleurs sur une phrase tirée d’un titre composé de longue date, We Choose, à l’allure amèrement prémonitoire : “we choose the way we’ll be remembered“. Tout sauf un hasard, d’autant que le clip de cette émouvante incantation soul, réalisé par Antoine Goulet et Giorgio Martinoli, transcrit précisément la terrible ambivalence dans laquelle est désormais plongé Her : la présence charismatique de Victor d’un côté, l’absence pesante de Simon de l’autre.

Pourtant, l’album se veut résolument optimiste et ne perd jamais de vue son idéal métissé : Her mêle avec brio le meilleur de toutes les influences qui le construisent, de la sensualité de la soul à la fougue du funk en passant par l’efficacité de la pop. Aussi, la tonalité lumineuse du tout tient au fait que chaque note sombre, mélancolique, est soigneusement contrebalancée par un message d’espoir teinté de poésie : c’est à cet effet que We Choose et son spleen sont immédiatement suivis de Five Minutes, véritable hymne pop du groupe, ou qu’Icarus, premier morceau composé par Victor après le décès de Simon et ode poignante à sa mémoire (“You’re still a part of me/Just I’m on the other side”) est illuminé par la poétique et douce Blossom Roses.

Si la prise de risque n’est pas au rendez-vous de ce premier opus, on notera tout de même une surprenante incursion urbaine en collaboration avec la révélation belge Roméo Elvis et Henning May, leader du groupe allemand AnnenMayKantereit, dont le format et l’originalité détonnent agréablement.

À la fois testament et promesse d’un avenir meilleur, source d’une indicible douleur et remède indispensable, Her est le plus fidèle témoignage de ce que fut Her à l’époque du fier duo constitué par Simon Carpentier et Victor Solf. À l’heure du recueillement, le groupe signe ici un premier album tout en maîtrise et nous assure qu’il est toujours debout : c’est là l’essentiel.

Après tout, Her a tout l’avenir devant lui pour nous étonner.

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