Ian Caulfield, faire flirter l’imaginaire avec la beauté de l’innocence
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Auteur·ice : Joséphine Petit
08/11/2021

Ian Caulfield, faire flirter l’imaginaire avec la beauté de l’innocence

Avec la sortie de La boule au ventre, un premier EP très attendu, Ian Caulfield dévoile enfin au grand jour son projet que nous suivons de près depuis quelques années. S’il y a une chose que ce disque nous aura appris, c’est qu’il faut parfois prendre le temps de se trouver pour mieux se présenter au monde. Curieux d’en entendre un peu plus sur son rapport à la chanson, l’image ou encore J.D. Salinger, à qui l’on ne peut s’empêcher de penser en lisant son nom, nous avons filé à la rencontre d’Ian Caulfield après avoir assisté à son incandescente release party au Point Éphémère le mois dernier.

La Vague Parallèle : Salut Ian, on se retrouve un mois après la sortie de ton premier EP, La boule au ventre. Comment tu te sens aujourd’hui ? 

Ian : Ça va bien, je suis content d’avoir sorti l’EP car ça faisait longtemps que je le préparais. C’est un peu un soulagement.

LVP : Ça fait combien de temps qu’elles sont là, ces chansons ? 

Ian : Pour certaines quatre ans, pour d’autres deux ans ou quelques mois. J’attendais depuis longtemps de pouvoir enfin imbriquer tout ça pour faire cet EP, quitte à attendre quelques années. Ça représente toutes les années de travail qui sont derrière moi.

LVP : Le fait d’en avoir composées certaines il y a longtemps, ça influence ton interprétation aujourd’hui ? 

Ian : Maintenant que j’ai sorti l’EP, je peux enfin avoir enfin du recul sur ce que j’ai fait. Effectivement, quand je regarde les premières chansons comme Pas grand-chose, je sais qu’aujourd’hui je ne chante plus vraiment de la même manière. La chanson est très haute en termes de notes, elle est difficile à chanter. Aujourd’hui, je m’aventure moins dans cela quand je compose, parce que c’est plus agréable à chanter. Ça me correspond plus. Mais ça reste une chanson qui a un écho particulier et une histoire qui fait que j’ai eu envie qu’elle fasse partie de l’EP.

LVP : Si je ne me trompe pas, c’est d’ailleurs l’un des premiers morceaux que tu as composés en français. Avant tu flirtais plutôt avec l’anglais. La langue française, c’est devenu une évidence pour toi avec le temps ?

Ian : Ce n’est pas devenu évident du jour au lendemain. Au début, j’avais d’ailleurs du mal à entendre que le français était une option pour moi, parce que je ne le prenais pas vraiment au sérieux. J’ai construit mon projet en me disant que ça allait être de la pop en anglais, j’ai fait plein de concerts, et j’ai sorti un seul morceau. J’avais de bons retours, mais composer dix morceaux en anglais me paraissait un peu infernal. J’avais beaucoup de mal à donner de la cohérence à tout cela. Ça a pris du temps, et c’est pour cela que l’EP n’est pas sorti avant. J’avais quand même deux ou trois chansons en français. Il y avait déjà Pas grand-chose et Tu me manques et ces morceaux résonnaient plus que les autres. On me conseillait de plus en plus de m’orienter vers cela, parce qu’on trouvait cela plus original. Au début, j’avais du mal à l’entendre parce que je pensais que c’était juste un argument pour vendre plus de disques, et ça ne m’intéressait pas. Puis finalement, avec le temps, j’ai écrit d’autres morceaux en français pour essayer, jusqu’au jour où j’ai écrit La boule au ventre. J’étais fier de ce morceau, et je me suis dit que finalement, ça me plaisait beaucoup d’écrire dans cette langue. Je me suis rendu compte que j’arrivais à raconter des choses qui me plaisaient plus qu’avec l’anglais. Ce virage a duré à peu près un an et demi.

 

LVP : Le fil rouge de l’EP reste cette imagerie de l’enfance avec une certaine insouciance dans les mots, parfois teintée d’amertume et parfois plus légère. L’enfance, c’est quelque chose qui t’inspire ? 

Ian : Oui, ça m’inspire. Après, quand j’écris, je ne pense pas forcément directement à l’enfance, c’est simplement que ça m’inspire. Quand on est gamin, il y a beaucoup de choses qu’on s’autorise à imaginer et qu’on s’interdit après, ou qu’en tout cas on laisse un peu tomber. Cet aspect imaginaire laisse plus de place à des histoires qui peuvent être drôles ou tristes, et plus de possibilités de langage. Parfois, ça peut même permettre d’inventer des mots ! Aussi, musicalement, ça m’inspire beaucoup. J’ai pas mal d’instruments faits de jouets par exemple. Parfois ça produit des sons qui amènent des images particulières en tête.

LVP : Justement, dans ton morceau La boule au ventre, j’entends comme une petite boîte à musique. Ça me fait penser à la musique de Danny Elfman, ça fait partie de tes influences ?

Ian : Carrément ! J’aime beaucoup la musique de Danny Elfman. Ça a été un vrai point de départ pour moi dans la création de mon projet, parce que je ne voulais pas faire de la pop classique avec des synthés, une voix et une boîte à rythmes. Je voulais qu’il se passe plus de choses que ça, que ça évoque des images. Les compositeurs de musique de films savent mieux que personne évoquer des dessins en utilisant des sonorités et des manières de faire qui ramènent à l’imagination. Au-delà de l’enfance, ce sont aussi des sons qui me touchent. Une boîte à musique, je trouve ça beau, et ça me plaisait d’en mettre une dans un morceau.

LVP : Dans cet esprit, ta reprise de J’ai dix ans de Souchon devient une évidence. Est-ce que c’est un morceau qui t’a marqué dans le temps ou bien que tu as redécouvert tout récemment ?

Ian : Ce n’est pas vraiment un morceau qui m’avait marqué plus que ça. Je cherchais une reprise qui correspondait à ma manière d’écrire, et à ma façon de faire de la musique. Je trouvais que les paroles de ce morceau étaient en lien avec ce que je disais dans mon EP et ça m’a plu de le chanter. Je me suis réapproprié l’arrangement musical en revanche, parce que la version de base correspondait moins.

 

LVP : Dans ton EP, on passe de morceaux qui semblent plus doux et universels comme Ne te retourne pas ou Plein d’imagination, à des titres qui semblent puiser un peu plus dans ton expérience personnelle, comme Tu me manques. Comment est-ce que tu abordes l’écriture lorsqu’elle touche à des sujets plus personnels ?

Ian : De manière générale, il a quand même pas mal de personnel dans ce que j’écris, même si parfois ça s’entend moins. Quand c’est personnel, je ne change pas vraiment ma manière d’écrire, je vais plutôt chercher un peu plus des phrases “de tous les jours”, parce qu’on a envie d’entendre la personne parler comme elle parle dans la vie quotidienne. Après, j’essaie de rester dans des choses intemporelles. Je n’aime pas trop utiliser des mots qui se réfèrent à une époque. Par exemple, je ne vais pas parler de téléphone, d’applications, ou d’un vêtement à la mode. J’aime bien qu’une chanson puisse être écoutée et réécoutée plus tard sans perdre son intérêt.

© Clara Rouget

LVP : J’ai aussi lu que la lecture de L’Attrape-cœurs de Salinger t’a beaucoup inspiré. Je trouve que la rencontre entre l’enfance et l’âge adulte dont témoigne le livre se retrouve un peu dans dans tes titres.

Ian : C’est vrai, ça m’a beaucoup inspiré. Au moment où j’ai créé le projet, je l’avais lu deux fois à deux âges différents. Chaque fois, il m’avait touché d’une manière différente, par les métaphores poétiques qu’il utilise dans sa manière de parler, de voir les choses. Quand j’ai commencé mon projet, je m’imaginais d’autres choses. J’étais moins ancré dans la culture française. Mon lieu d’imaginaire, c’était New York. Dans le bouquin, le personnage est dans cette grande ville, et en même temps, il y paraît tout petit. Je suis moi-même aussi allé à New York ensuite pour découvrir la ville. Ce livre m’a beaucoup inspiré par le regard que le personnage porte sur tout ce qu’il y a autour de lui. Il regarde tout d’une manière très sombre, mais drôle à la fois. On rit parfois tellement il tourne des choses en ridicule, simplement avec un regard innocent. Je trouve que l’auteur a vraiment réussi à transcrire l’absurdité de ce qu’on peut parfois avoir en face de nous. Il y a de l’humour, de la tristesse, de la mélancolie, parfois de la joie qui sort de nulle part, c’est très émotionnel. J’aime bien l’émotion dans la musique, et c’est aussi pour cela que ce livre m’a parlé.

LVP : Sinon, tu es aussi attaché à la photo et au cinéma, quand on voit la très belle série de vidéos que tu as fait pour accompagner la sortie de l’EP. Est-ce que tu peux nous parler un peu de ton rapport à l’image ?

Ian : Mon rapport à l’image a commencé comme pour tout le monde, en voyant de beaux films qui marquent. Mais dans le côté purement pratique, j’ai fait des études d’audiovisuel, et ce que j’y ai préféré, c’était l’analyse de films et d’oeuvres. J’adorais ça, et j’étais bon d’ailleurs. Ça m’inspirait, ça m’a donné envie de m’y intéresser plus, sans forcément faire de la photo dès le départ. Mais un jour, j’ai récupéré un argentique dans un Emmaüs, je l’ai essayé, et ça m’a donné goût à la photo. En classe, ils nous passaient aussi de bons films, et les coupaient toutes les dix secondes en nous demandant d’analyser. C’était un peu frustrant, mais inconsciemment, ça m’a forcé à mieux comprendre comment ces films étaient construits, et comment les images étaient tournées. Ça m’a donné envie de faire des tournages, avec une vision derrière et peut-être plus d’exigence, sans ne plus être simplement spectateur, mais acteur. J’ai donc voulu faire mes clips dès le début, et j’ai toujours eu quelqu’un avec moi pour filmer. J’ai toujours fonctionné en binôme sur les vidéos.

LVP : Tu réalises tous tes clips avec Nicolas Garrier-Giraudeau, c’est ça ? 

Ian : Oui. J’aime bien son travail, c’est comme ça que je l’ai rencontré. On s’est tout de suite bien entendus, et maintenant on fait plein de choses ensemble. On a des références communes.

LVP : Et le fait de garder toujours la même personne avec toi à la réalisation, ça te permet de garder une certaine continuité dans l’image ?

Ian : Oui, aussi ! J’aime bien installer un univers plutôt homogène dans les clips d’un même projet. Après, d’un EP à un album, ça peut changer. Mais dans un même contexte, j’aime que ça ne parte pas dans tous les sens. En termes d’image et de vision, un réalisateur va travailler avec les mêmes chefs opérateurs, qui vont eux-mêmes filmer de la même manière, ce qui donne une homogénéité au résultat. C’est aussi plus facile de passer d’un clip à l’autre avec quelqu’un qui connaît déjà la psychologie du projet, qui sait ce qu’on va pouvoir faire et ce qu’on ne pourra pas.

 

LVP : Tu as aussi un entourage musical plutôt riche. On a récemment pu voir Hugo Pillard ou encore Py Ja Ma partager la scène avec toi lors de ton dernier concert au Point Éphémère. Faire de la musique avec ses amis, ça revêt quelle dimension pour toi ?

Ian : Du fun surtout ! Après, quand je fais un concert, je suis toujours très concentré, donc inviter des gens, c’est parfois donner de l’énergie en plus. Ce n’est pas forcément évident, mais ça permet en revanche de se sentir plus à l’aise en n’étant pas seul. Ça donne aussi l’impression de mieux savoir comment donner et se relâcher, car mon public les connaît généralement aussi. Et puis j’aime aussi leur musique et leur façon de chanter bien sûr.

LVP : Justement, au Point Éphémère, on a aussi senti que tu avais un certain besoin d’être proche des gens quand tu es descendu chanter le dernier morceau dans la foule. Quel est ton rapport au live et au public ?

Ian : Ce rapport au live et au public, c’est quelque chose que j’ai eu très jeune, parce qu’avant de faire de la musique, je faisais du cirque. J’ai fait des spectacles très jeune. J’adorais me mettre en scène et faire n’importe quoi. C’est quelque chose qui m’a toujours transcendé, parce que je suis timide et introverti. Ça m’a permis de m’exprimer. Avec la musique, j’ai commencé par des concerts où il y avait peu de personnes dans le public, et où je me retrouvais donc plutôt à côté d’eux. J’aime bien retrouver ça aujourd’hui. Dans ces moments, les gens ont l’impression d’avoir vécu le moment avec toi, et pas seulement de t’avoir regardé là-haut sur scène. Dans ce sens, ma musique n’évoque pas quelque chose d’inaccessible, mais plutôt de la simplicité, et je trouve que ça y correspond.

LVP : Pour finir, tu peux nous confier ce qui tournait en boucle dans tes oreilles pendant l’écriture de l’EP ?

Ian : Il y en a eu beaucoup. Je pense à Lana Del Rey, Jamie XX, toujours Brassens qui m’accompagne depuis le départ, mais aussi M83, Beach House, et MGMT dans les débuts.

LVP : Beaucoup de références anglophones finalement !

Ian : C’est vrai qu’en musique, je me suis toujours inspiré de choses très anglaises. Je n’essaie pas tellement de puiser mes inspirations dans la chanson française, parce qu’à mes yeux, il y a déjà beaucoup de choses magnifiques. Au départ, je complexais de tous ces artistes qui écrivent extrêmement bien, et je ne voulais pas donner l’impression de copier maladroitement. J’ai donc finalement essayé de donner ma version de la chanson française sur des influences anglo-saxonnes.

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