Ichon : « L’important c’est la chute, pas l’atterrissage »
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Auteur·ice : Mathilde Vanderweyen
25/10/2023

Ichon : « L’important c’est la chute, pas l’atterrissage »

| Photo : Nicola Delorme

Avec Ichon, pendant cette interview, on a pris de la hauteur. Beaucoup de hauteur. 

On est lundi, en fin d’après-midi et Ichon, comme tout artiste lors d’une veille de sortie d’album, court dans tous les sens pour préparer la sortie de KASSESSA. Il arrive tout de même à attraper son téléphone et à répondre à notre appel. Le Bon Gamin, tout sourire, apparaît à l’écran. S’ensuit une conversation itinérante du bas d’un bâtiment jusqu’à son troisième étage.  

Mais finalement, la forme des choses n’a que très peu d’importance face à l’enjeu de cet album. KASSESSA est un album pensé afin de casser des schémas sociétaux fossiles, casser des mécanismes d’autodestruction, casser l’accoutumance du mensonge et casser notre carcasse d’humanoïde altéré. De tout casser en somme. 

 LVP : Ichon, comment ça va ? On est à quelques jours de la sortie de ton album KASSESSA, t’es dans quel mood là ? 

 Ichon : Écoute, j’ai faim ! J’ai hâte que ça sorte, que ça existe. Parce qu’en fait c’est ça, partager un nouveau projet c’est une nouvelle histoire à rendre existante. Et ma plus grande hâte c’est de retourner sur scène, pour que ma musique vive ensuite. 

 LVP : Justement, tu as déjà fait un live récemment. Un retour sur scène un peu particulier car il s’est fait dans une cité. Tu peux nous en parler ? 

 Ichon : C’est un endroit où j’ai eu la chance d’être “accepté”. On a fait trois clips là-bas. C’est une cité qui s’appelle Les Fauvettes et qui va malheureusement être détruite l’année prochaine. Pendant l’écriture du film, je recherchais un endroit où aller tourner et Hannah Rosselin, une réalisatrice, a été contactée par des habitants de la cité pour y faire des photos. Sur place, elle se rend compte qu’il y a des oiseaux partout, que dans mon album je suis un homme qui aimerait être un oiseau, que cet endroit va être détruit et qu’en parallèle mon projet s’appelle KASSESSA. Beaucoup de faux mais heureux hasards. On a foncé dans cette idée. J’avais envie de leur rendre ce qu’ils m’ont donné en les intégrant à mon film, en discutant avec eux, en faisant mon merch ensemble.

LVP : Tu as signé ton retour avec PAGE BLANCHE. Superbe titre, chanté, rappé et clipé. Mais lorsqu’on regarde la tracklist, PAGE BLANCHE est le dernier morceau de l’album. Est-ce que finalement, tu le qualifierais de porte d’entrée ou de porte de sortie du projet ? 

 Ichon : Techniquement, c’était ma porte d’entrée. C’est le premier morceau qu’on a confectionné quand on s’est assis pour bosser cet album. Mais c’est une bonne question parce que finalement une page blanche c’est éternel. On en aura toujours. C’est la début et la fin de tout album. La fin d’un projet annoncera forcément (tant que je ne meurs pas) mon prochain album, donc une nouvelle page blanche. Mais musicalement parlant, PAGE BLANCHE reste ma porte d’entrée.

LVP : On va pas trop chipoter dans le passé mais les clips PAGE BLANCHE et SOUVENT font étrangement penser à deux de tes précédents clips Blue (2014) et 911 (2020) dans leur rapport à la chute. D’où te vient cette affinité avec le vide ? 

 Ichon : Pour moi la chute c’est le lâcher prise. Souvent on dit “l’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage”, moi je dis l’inverse (rire). L’important c’est la chute, c’est aussi ce moment avant et pendant le saut. Le courage que ça demande, l’histoire que ça va créer. Je me suis inventé toute une histoire avec le vide, le ciel et toute cette poésie qui nous entoure. Pour moi, l’endroit le plus pur et stable, c’est l’air. Et donc, le lâcher prise. Parce qu’on ne va pas voler tant qu’on ne va pas lâcher prise.

LVP : D’où ton attrait pour le bleu également ?

Ichon : Oui, le bleu c’est le ciel aussi. On se rend pas compte que le ciel et le bleu sont autour de nous. Là on y est, même les pieds sur terre. C’est ce que j’essaie de raconter et encore plus avec ce nouveau projet pour lequel je me suis fabriqué des ailes avec mes textes pour l’envol, le vide, la chute. Je pense qu’on me verra chuter encore et encore.

LVP : On retrouve aussi une certaine continuité entre tous tes projets. Avec IL SUFFIT DE LE FAIRE où on retrouve une sorte d’impulsion, il fallait le faire à ce moment-là. Sur POUR DE VRAI, tu l’as fait mais avec ta propre vision des choses. Et finalement KASSESSA, c’est une finalité de déconstruction où tu fais les choses vraiment comme ça te chante ?

Ichon : C’est ça, bien résumé. Je me suis construit mes ailes avec mes textes et mes anciens projets. Maintenant je peux voler et je suis libre de faire ce que j’ai envie de faire. Là, c’est le moment de casser ça. Et KASSESSA représente plein de choses. C’est la déconstruction pour pouvoir s’envoler. C’est la synthèse de tout ce que j’ai pu faire avant. 

 LVP : KASSESSA je le vois comme un énorme monologue. D’ailleurs, on n’y retrouve aucun featuring, comme si personne d’autre ne pouvait interférer dans cette conversation. Ta volonté était de garder cet album comme un projet ultra personnel ?

Ichon : C’est drôle parce que non. POUR DE VRAI était plus personnel je trouve. Dans KASSESSA, j’essaie de parler aux autres car c’est à travers les autres qu’on se retrouve souvent. Donc oui, je donne des aspects de ma vie mais pour qu’ils servent aux autres. Mais la conception de monologue est intéressante. Parfois, je m’invente des conversations et ça découle sur une histoire à raconter. 

 LVP : C’est une conception que t’as déjà utilisée dans le titre Miroir, issu de ton précédent album, non ?

Ichon : Exactement, dans cette chanson je pensais écrire ce que ma copine était censée me répondre lors d’une dispute. Mais c’était une conversation purement inventée. Je me parlais à moi-même en fait. Du coup, c’est devenu Miroir.  

 *Interlude ascenseur*

 C’est précisément à ce moment-là que je me retrouve (virtuellement) nez à nez avec Ichon. En apesanteur comme dirait Calo. Pendant ce bref instant insolite, nous nous sommes échangé des banalités, rien de très croustillant à retranscrire mais le moment valait la peine d’être partagé. 

 *Fin de l’interlude ascenseur*

 LVP : On va à quel étage là ? 

 Ichon : Troisième (rire). 

LVP : T’as pris de la hauteur, ça tombe bien car récemment tu as dit sur les réseaux sociaux “On peut s’envoler sans voler”. C’est quoi l’idée derrière ce contre-pied poétique ?

Ichon : C’est ma clé personnelle pour m’en sortir dans la vie. J’aimerais donner cette vision des choses à celleux qui m’écoutent et c’est l’intention même de mon album. Cette phrase résonne en moi comme “Tout ce qui brille n’est pas de l’or”, qui peut parler à plus de monde. Il y a des choses plus pures et plus intenses que “voler” au sens propre du terme.

LVP : Musicalement parlant, tu étonnes énormément dans ce nouvel album. Tu rappes, comme à l’époque de Bon Gamin. Mais tu chantes beaucoup aussi. Sans vouloir mettre d’étiquettes sur ta musique, penses-tu que les choses que tu chantes ne seraient pas comprises de la même façon si tu les rappais, et vice versa ?

Ichon : Pour moi, ce ne sont pas les mêmes médiums. Mais je les aime tout autant. D’ailleurs, dans ce que je fais, je ne sais même pas si on peut qualifier quoi que ce soit. Quand j’ai commencé à faire du rap, on me disait que ce n’était pas vraiment du rap non plus. C’était un truc chelou. Bref, tout est complètement instinctif chez moi. J’ai beaucoup appris aussi évidemment mais je sais quand je dois rapper ou plutôt chanter et je pense pas avoir le même discours lorsque j’applique l’un ou l’autre.

LVP : On a plus qu’à te souhaiter de casser tout, de KASSESSA.

Ichon : C’est ça ! C’est ça ! C’est exactement ça ! Merci La Vague Parallèle. 

Tags: Ichon | KASSESSA

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